Il y a maintenant cinq ans que l’inspection périodique des façades est devenue obligatoire pour tous les bâtiments de cinq étages ou plus au Québec. Depuis, plusieurs architectes se sont vu confier ce type de mandats. Mais cette nouvelle occasion d’affaires n’est pas sans défis.
En juillet 2009, une femme attablée devant un immeuble de la rue Peel, à Montréal, meurt écrasée par un bloc de béton tombé du 18e étage de la façade. Quelques mois plus tôt, le bris d’une dalle de béton dans un stationnement souterrain montréalais a aussi entraîné la mort d’une personne. Dans les deux cas, les coroners dénonceront le manque d’entretien et d’inspection des édifices. La façade de la rue Peel, par exemple, n’avait jamais été inspectée en 40 ans d’existence.
En réponse aux recommandations des coroners, la Régie du bâtiment (RBQ) et le gouvernement québécois adoptent le Règlement visant à améliorer la sécurité dans le bâtiment par l’ajout du chapitre Bâtiment au Code de sécurité, entré en vigueur en mars 2013. Il oblige entre autres les propriétaires d’immeubles de cinq étages hors sol ou plus à en faire inspecter les façades tous les cinq ans par un architecte ou un ingénieur. Si le professionnel détecte des conditions dangereuses, il doit en informer le propriétaire et la RBQ. Une condition est considérée comme dangereuse lorsqu’un élément de la façade peut, « de façon imminente, se détacher ou s’effondrer ».
Le coût de la prévention
En décembre 2013, la RBQ a publié un guide explicatif précisant certains aspects de la méthodologie à suivre. Il demeure tout de même quelques zones de flou d’après certains professionnels. « La réglementation stipule qu’il faut inspecter les édifices de cinq étages ou plus, mais ce n’est pas toujours aussi clair en pratique, dit Anne Bélanger, architecte et présidente de JBC Architectes, à Montréal.
Un clocher d’église, par exemple, ça fait combien d’étages ? Si un cégep comprend plusieurs ailes, dont la plupart font trois étages, mais dont l’une en compte six, il faut inspecter tout le bâtiment. Ce n’est pas logique. Il faudrait spécifier une hauteur plutôt qu’un nombre d’étages et nuancer certaines exigences. »
L’architecte s’inquiète aussi du fait que certains rapports finissent sur une tablette chez le client. Le professionnel ne doit envoyer son rapport à la RBQ qu’en cas de risque imminent. Si des travaux importants mais moins urgents sont nécessaires, seul le propriétaire le saura. « Et plusieurs d’entre eux ont tendance à retarder les travaux en raison des coûts », précise l’architecte.
Car ces inspections coûtent effectivement cher aux propriétaires. La facture diffère beaucoup d’un bâtiment à l’autre, mais il est généralement question de quelques dizaines de milliers de dollars. « Les honoraires des professionnels ont une incidence budgétaire et certaines inspections révèlent des travaux à effectuer qui n’avaient pas été prévus dans les dépenses de maintien d’actifs », note Pierre Dubé, gestionnaire de projet à la Direction des immeubles de l’Université de Montréal.
De son côté, la Commission scolaire de Montréal (CSDM) compte cinq écoles soumises à cette réglementation, mais inspecte aussi régulièrement ses bâtiments de moins de cinq étages. « Les honoraires professionnels peuvent être assez élevés, puisque ces inspections peuvent durer plusieurs semaines, indique Chantale
Montpetit, ingénieure coordonnatrice au Bureau de projets du Service des ressources matérielles de la CSDM. Il y a aussi les frais relatifs à l’entrepreneur maçon, incluant sa main-d’œuvre, à la location de la nacelle, parfois au permis d’occupation de la voie publique et d’autres frais connexes. »
Malgré ces coûts, les deux responsables admettent que ces inspections ont eu des impacts positifs du point de vue sécuritaire. « Après certaines inspections, nous avons procédé à des travaux de sécurisation, explique Chantale Montpetit. Cela nous oblige à réaliser des inspections plus fréquemment pour nous assurer de l’efficacité de cette sécurisation ou suivre l’évolution des problèmes observés. D’autres types de travaux ont pu être planifiés à court ou à long terme, à la suite des recommandations des professionnels. »
Richard Trempe, architecte et expert principal en réglementation et transfert des connaissances au CLEB, déplore le fait que la RBQ ne collige pas de statistiques sur l’impact des inspections. Puisque seules les inspections révélant des conditions dangereuses lui sont signalées, elle n’en a pas une vue d’ensemble.
Il concède que certains propriétaires ne sont pas très heureux de payer les frais d’inspection, mais il croit que, dans l’ensemble, la réglementation est assez bien perçue. « Cela permet d’établir un programme d’entretien préventif et d’étaler les investissements d’entretien dans le temps », dit-il. Cependant, il met en doute la fréquence imposée. « Nous devons inspecter les mêmes éléments tous les cinq ans, rappelle-t-il. On peut penser qu’il serait acceptable, par exemple, de réaliser une inspection générale tous les 10 ans, puis une inspection plus ciblée après cinq ans, ou encore d’allonger le délai à environ huit ans. »
La sécurité ou l’argent ?
Pour les architectes, l’inspection des façades recèle de nombreux défis. « Il faut connaître les différents systèmes de construction utilisés depuis le début du 20e siècle », souligne Richard Trempe. Avec le Fonds des architectes et l’OAQ, il a d’ailleurs offert une série de conférences sur le sujet.
De son côté, sa collègue Anne Bélanger rappelle que la procédure comporte deux étapes : l’inspection générale, qui est surtout visuelle, et l’inspection détaillée, qui exige non seulement de voir de près les éléments, mais aussi de les toucher et de les manipuler. Or, les éléments les plus importants, comme les attaches des composants, sont souvent dissimulés dans les murs. Pour y accéder, il faut pratiquer des percées exploratoires.
« Et cela coûte cher, souligne l’architecte. Il est normal qu’un propriétaire cherche à en limiter le nombre. Par conséquent, notre diagnostic est toujours basé sur un échantillonnage. L’information est toujours parcellaire. »
Selon la réglementation, c’est au professionnel que revient la responsabilité du choix de la méthode, donc du nombre de percées exploratoires. La norme américaine ASTM E2270, qui recommande trois percées par façade, est la plus souvent utilisée. Toutefois, pour diminuer les coûts, certains professionnels décident de ne pas en pratiquer du tout. En effet, Anne Bélanger constate que certains inspecteurs se contentent de l’approche visuelle. Ils gèrent le risque en souscrivant une assurance responsabilité professionnelle conséquente et exercent ainsi une pression à la baisse sur les prix.
Anne Bélanger juge cette approche peu sécuritaire et pense que son impact sur la concurrence pourrait décourager certains architectes d’accepter ce type de mandats. En effet, ceux qui refusent de déroger aux bonnes pratiques pourraient devoir se résoudre à abandonner ce marché. Ce serait dommage, puisque les architectes affichent actuellement un excellent bilan. Au Fonds des architectes, Marie-Pierre Bédard, analyste au service des sinistres, ne relève qu’une seule réclamation en lien avec la production d’un rapport d’inspection de façade.
Le Fonds recommande aux architectes qui souhaitent investir ce domaine de s’assurer d’avoir de solides connaissances de l’enveloppe. « Surtout, il est très important de documenter tout le processus d’inspection, ajoute Marie-Pierre Bédard. Il faut détailler les démarches, expliquer les raisons de chaque vérification. Il faut également obtenir un mandat clair et détaillé de la part du propriétaire, afin de se protéger le plus possible contre d’éventuels recours. »
L’inspection des façades est un incontournable pour assurer la sécurité du public, à l’intérieur comme à l’extérieur des bâtiments. Toutefois, comme on dit, le diable est dans les détails. Il reste des précisions à apporter à la procédure afin que la même rigueur soit observée dans toutes les inspections.