Illustration : Blue Planet Studio, Adobe Stock
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Un assureur qui a payé une indemnité à un entrepreneur peut-il poursuivre l’architecte responsable de la surveillance des travaux si la faute relève de l’entrepreneur ou de son sous-traitant ? Cette situation soulève la question de la faute première, qui est revisitée ici.

Récemment, la Cour supérieure a été appelée à se prononcer concernant la demande d’un architecte visant à obtenir le rejet d’une action intentée à son encontre. Après avoir rappelé les principes de droit applicables, le tribunal a tranché en faveur de l’architecte et a rejeté l’action. Bien que cette décision ait été portée en appel, les principes demeurent pertinents.

Dans cette affaire, un entrepreneur général agit pour un projet de construction d’un entrepôt réfrigéré. De son côté, l’archi­tecte est chargé de la confection des plans et devis et de la surveillance du chantier. Enfin, un sous-traitant est mandaté pour effectuer les travaux de toiture.

Durant l’exécution du contrat, l’entre­pôt en construction est endommagé par des infiltrations d’eau provenant de la toiture. L’entrepreneur général effectue les travaux de réparation et est indemnisé en vertu d’une police d’assurance chantier.

Or, l’assureur qui a indemnisé l’entre­preneur général réclame ensuite à l’archi­tecte le remboursement des sommes versées à l’entrepreneur, lui reprochant notamment d’avoir commis une faute dans la surveillance des travaux de toiture et d’avoir émis une mauvaise recomman­dation concernant ces travaux.

Pour sa part, l’architecte demande le rejet de la poursuite, alléguant que l’ultime responsable des travaux est l’entrepreneur ou le sous-traitant, lequel ne peut se plain­dre d’un défaut de surveillance à son égard pour se justifier d’avoir lui-même commis une faute dans l’exécution des travaux. L’architecte ajoute qu’advenant qu’il soit tenu responsable envers l’assureur de la mauvaise exécution des travaux, la quittance intervenue entre le sous-traitant, l’entrepreneur général et le propriétaire de l’ouvrage le prive de son droit d’être indemnisé par le sous-traitant.

Concernant la mauvaise recomman­dation liée aux travaux de toiture, l’archi­tecte allègue que celle-ci n’est pas la sienne, mais celle du sous-traitant. De plus, comme architecte, il approuve les maté­riaux, la composition de la toiture, mais la méthode d’exécution des travaux relève de la seule responsabilité de l’entrepreneur général ou du sous-traitant.

Qu’en est-il ?

Le tribunal rappelle que l’ultime respon­sable de la mauvaise exécution des travaux est l’entrepreneur ou le sous-traitant. En effet, si l’architecte chargé de la surveillance des travaux peut en être tenu responsable, il demeure que la respon­sabilité première de l’exécution des travaux est celle de l’entrepreneur ou du sous-traitant.

Considérant ce qui précède, étant donné la quittance consentie par l’entrepreneur général en faveur du sous-traitant en lien avec les travaux exécutés sur l’immeuble, l’entrepreneur ne peut plus réclamer à l’architecte une compensation pour son défaut de surveillance de ces mêmes travaux. En effet, le tribunal est d’avis que, par cette quittance, l’entrepreneur a libéré non seulement le sous-traitant, mais aussi les autres débiteurs solidaires. L’assureur subrogé aux droits de son assuré n’ayant pas plus de droits que ce dernier, il ne peut poursuivre le sous-traitant et l’architecte.

Le tribunal précise que l’obligation de surveillance de l’architecte est stipulée au bénéfice du propriétaire de l’ouvrage, qui peut seul s’en prévaloir, auquel cas l’archi­tecte pourra exercer ensuite son recours en garantie contre le sous-traitant fautif, à qui doit incomber la responsabilité ulti­me de la faute.

En ce qui a trait au reproche d’avoir formulé une mauvaise recommandation en lien avec les travaux de toiture, le tribunal précise que les dommages récla­més à l’architecte sont directement associés à l’exécution des travaux par le sous-traitant. En effet, selon le tribunal, la demande ne concerne que les dommages liés aux travaux exécutés par le sous-traitant, lesquels sont visés par la quit­tance consentie en faveur de celui-ci et dont bénéficie l’architecte.

Dans ces circonstances, le tribunal est d’avis que le recours intenté par l’assureur à l’encontre de l’architecte est manifes­tement mal fondé et qu’il y a lieu d’accueil­lir la demande en rejet de l’architecte.

Le jugement ayant cependant été porté en appel le 7 septembre 2021, c’est avec attention que nous suivrons le dénouement de cette affaire.

Toutefois, peu importe l’issue de l’appel, le jugement constitue un rappel important qu’en principe, le surveillé n’a pas de recours contre le surveillant lorsqu’il a lui-même commis la faute première.