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Photo : Shridhar Gupta, Unsplash

Gérer le volume de travail en fonction de la capacité de production d’un bureau d’architecture n’est pas toujours une mince affaire. D’une firme à l’autre, l’approche varie énormément, selon ce que nous avons constaté sur le terrain.

Pour Kim Pariseau, fondatrice d’Appareil Architecture, une firme située à Montréal qui compte une dizaine d’employés, gérer le volume de travail représente l’aspect le plus difficile de ses activités.

« Les architectes ne sont pas formés pour être des gestionnaires, admet-elle d’emblée. Ayant travaillé pour d’autres bureaux avant de fonder ma propre firme, je pense que les plus petites firmes ont plus de difficulté à s’occuper de cet aspect. Cela ne signifie pas qu’elles sont moins bonnes, mais je crois que si une entreprise a une meilleure structure, cela l’avantage dans la création. »

Prête à apprendre les rudiments de la gestion sur le tas, Kim Pariseau a lancé son agence en 2010. Les ressources offertes par l’Association des architectes en pratique privée du Québec (AAPPQ), notamment le contrat type, lui ont fourni des balises. « On ne construit pas une firme d’architecture seul. Je suis allée chercher de l’aide lorsque j’en ai eu besoin. Je me suis associée avec des professionnels qui m’aident. J’essaie ainsi de consacrer autant de temps à la création qu’à la gestion. J’aime m’impliquer dans la conception avec mon équipe en lui donnant de la latitude pour me surprendre et essayer de nouvelles choses », ajoute-t-elle.

Des outils de précision

L’architecte Viviane Zhang, d’Architecture49, qui compte 250 architectes et techniciens dans une dizaine de bureaux au Canada, dont un à Montréal, croit qu’il est possible d’apprendre la gestion sur le tas. Toutefois, pour porter le titre de gestionnaire de projets chez son employeur, il faut obtenir la certification PMP (Project Management Professional) du Project Management Institute (PMI). Reconnue à l’échelle inter­nationale, cette dernière nécessite le cumul d’expérience professionnelle et d’activités de formation pertinentes. « Les cours nous donnent les outils nécessaires pour faire le travail de manière presque scientifique, alors qu’avant les architectes y allaient de façon intuitive », précise Viviane Zhang.

Le nerf de la guerre demeure la planification avant même que le projet commence, selon elle. Comme outil, elle dit utiliser Microsoft Project. « Nous nous servons également de logiciels maison, qui nous permettent de faire les suivis, et du Cost Performance Index (CPI), une mesure de l’efficacité financière et de l’efficience d’un projet, qui représente la quantité de travail accompli pour chaque unité de coût dépensée. »

Trouver la perle rare

Chez Riopel + associés, qui regroupe une vingtaine d’employés dans le Vieux-Montréal, on a choisi de confier le suivi des projets à une coordonnatrice d’atelier.

« Dès le départ, nous savions que nous avions besoin d’une personne qui comprend bien les projets d’architecture. Nous avons donc trouvé une diplômée en technologie de l’architecture qui se cherchait un emploi plus lié à la gestion », explique Geneviève Céré, architecte associée.

La coordonnatrice d’atelier doit notamment s’enquérir auprès de chaque employé de l’état d’avancement de ses projets. Elle assiste ensuite à la rencontre des associés et fait son compte rendu. « Cela nous permet d’avoir le son de cloche d’une personne qui n’est pas un patron. Cette personne sert également  de pivot, de référence dans notre bureau », poursuit-elle.

Afin de bien gérer le volume de travail, la firme utilise un fichier Excel avec un code de couleurs indiquant à quelle étape du projet les employés en sont. Cela permet de déterminer « en un coup d’œil » si chaque membre de l’équipe respecte son échéancier et d’estimer le temps de livraison. « Nous jouons la transparence avec le client. Si nous savons que nous ne sommes pas en mesure de livrer un projet, nous préférons le refuser. Mais si le client veut travailler avec nous, nous lui proposons un échéancier plus réaliste », précise Geneviève Céré, ajoutant que la firme fait parfois appel à des pigistes.

Connaître son domaine

Savoir gérer les attentes des clients et maîtriser les aspects liés aux échéanciers et aux coûts est essentiel pour piloter un bureau selon sa capacité de production, affirme Sylvain Morrier, associé principal chez Jodoin Lamarre Pratte, firme qui compte 115 employés à Montréal. Il faut par ailleurs bien connaître son champ d’expertise. « Un gestionnaire qui a appris son métier auparavant sera toujours plus connecté à la réalité de son secteur qu’un gestionnaire qui arriverait d’un autre domaine ou qui est sans expérience », dit-il. Selon lui, le mentorat auprès d’un architecte chevronné représente une avenue intéressante pour un professionnel qui veut ajouter cette corde à son arc.

Chez Jodoin Lamarre Pratte, un architecte patron est responsable de la gestion du personnel. Il est assisté de deux personnes, dont une qui possède une formation en ressources humaines. Un comité de pilotage de projets formé de 15 personnes est également mis à contribution toutes les deux semaines, pour faire la revue du personnel et des projets. « Plusieurs architectes s’intéressent au rôle de gestionnaire, mais pas uniquement à la gestion proprement dite. Au-delà de cet aspect, ce qui fait notre grande force comme architectes, c’est de rester connectés à nos projets et à nos clients », affirme Sylvain Morrier.

Il souligne que, pour l’heure, l’industrie et les clients doivent s’adapter au manque criant de ressources humaines. « Tous les corps de métier de la construction sont en pénurie de main-d’œuvre; conséquemment, les soumissions sont très chères (majoration de 25 à 30 %). La même situation s’applique d’ailleurs aux bureaux d’architectes et d’ingénierie. Dans ce contexte, les échéanciers qui semblent irréalistes doivent donc être rajustés. »

Échange d’employés

De son côté, Michel Veilleux, d’ABCP, firme qui emploie une cinquantaine de personnes dans la région de Québec, reconnaît aussi que la planification des projets demeure la clef pour éviter les périodes de surcharge. Pour cela, il faut bien connaître les besoins des clients et ne pas craindre de penser littéralement « en dehors de la boîte » !

« Nous faisons parfois des échanges de ressources avec d’autres bureaux, explique-t-il. Nous sommes des concurrents, mais également des collègues de travail. C’est une excellente manière de se sortir de certaines impasses. Nous ne voulons pas perdre nos ressources quand nous n’avons pas d’ouvrage et nous ne voulons pas les surcharger quand nous en avons beaucoup, car elles sont longues à former et difficiles à trouver, surtout en période de pénurie de main-d’œuvre. »

En somme, les approches varient grandement d’un bureau à l’autre quand il est question d’arrimer la capacité de production au volume de travail. Entre souplesse administrative, perfection­nement et technologie, les choix des architectes semblent surtout motivés par le désir de rester près de leur rôle de professionnel.