Innovation Fier alu Structure, revêtement, mobilier urbain. Les applications de l’aluminium sont nombreuses et variées en architecture. Et au Québec, ça ne fait que commencer. Corinne Fréchette-Lessard Il y a quelques années, Alexandre de la Chevrotière cherchait une firme d’ingénierie américaine avec laquelle travailler pour réaliser un projet de passerelle aérienne en aluminium qui relierait des condos à un stationnement étagé, à San Diego. « Un des ingénieurs à qui j’ai parlé m’a dit : “L’aluminium, ce n’est pas un matériau de construction, ça sert à faire des cannettes.” J’ai répondu que, dans ce cas-là, il devrait éviter de prendre l’avion : plus de la moitié de l’appareil est en aluminium! » raconte-t-il. Manifestement, l’Américain connaissait mal son interlocuteur. Alexandre de la Chevrotière travaille avec l’aluminium depuis l’âge de 18 ans, alors qu’il faisait ses débuts en architecture navale sur les chantiers maritimes de la MIL Davie. Il est ensuite devenu ingénieur en mécanique et a continué d’explorer son matériau de prédilection, tant au niveau de la fabrication que du design. Il y a cinq ans, il a fondé Maadi Group, le seul bureau d’études canadien se consacrant exclusivement à l’aluminium. Selon lui, tout, ou presque, peut se faire en alu. PROPRIÉTÉS DISTINCTES « C’est un matériau de choix », soutient Marie-Christine Gagnon, analyste technique des affaires au Centre des technologies de l’aluminium du Conseil national de recherches du Canada (CTA-CNRC), un organisme qui vise à stimuler le développement de nouvelles technologies de fabrication de produits en alu. « Il peut servir autant pour la structure d’un bâtiment que pour le revêtement, les composantes architecturales comme les fenêtres, ou encore le mobilier urbain, comme les bancs de parc et les lampadaires. » C’est que la liste des propriétés de l’alu est longue : durable, malléable, recyclable, léger, résistant, etc. Sans oublier la possibilité d’extrusion, une technique qui consiste à chauffer un cylindre d’aluminium et à le pousser dans un moule (une matrice) pour en faire des pièces de formes complexes. « Par exemple, pour des portes ou des fenêtres, on fait des nervures à même la matrice qui vont permettre d’insérer les joints étanches. Toutes les structures auxquelles je travaille sont faites d’extrusions. Sans la possibilité d’extrusion, on perdrait la moitié des avantages de l’aluminium », estime Alexandre de la Chevrotière. Selon lui, si les principes de base sont respectés, les formes possibles n’ont d’autres limites que la créativité des concepteurs. Ce qui amène Hugues Wilquin à parler de « pensée alu » : « La plupart des architectes ou des ingénieurs en bâtiment pensent encore le métal comme l’acier. Or, il y a vraiment une façon de « penser aluminium » : avec l’alu on peut tout faire en un », explique Wilquin, professeur à la Faculté polytechnique de Mons et auteur de Construire en aluminium (Le Moniteur, 2001). UN CERTAIN RETARD Bien que le Canada soit le troisième producteur d’aluminium au monde, le matériau demeure peu utilisé dans les bâtiments du Québec et de l’Amérique du Nord. « En 2008, environ 14 % de l’aluminium utilisé en Amérique du Nord était destiné au domaine de la construction. C’est deux fois moins qu’en Chine (28 %) et en Europe (27 %). Nous sommes à la traîne par rapport à la moyenne mondiale », constate Marie-Christine Gagnon. Comment expliquer cette situation? D’abord, le fric. « L’aluminium coûte quatre fois plus cher que l’acier. En Europe, le prix n’est pas un facteur déterminant. Ici, quand on construit, il ne faut pas que ça coûte cher », croit Alexandre de la Chevrotière. Cette attitude traduit un manque de vision à long terme, selon lui, puisque la durabilité de l’aluminium amortit passablement la facture originale. « Le pont en aluminium de Shipshaw, construit en 1950, ne rouille pas, illustre Luc Roby. Il n’a pas besoin d’être repeint tous les 10 ou 15 ans comme ceux en acier. » Sans compter qu’une structure en alu nécessite souvent moins de métal que si elle était en acier. Ensuite, même si on produit l’aluminium depuis le début du siècle dernier au Québec, l’industrie de la transformation est encore jeune. « On a commencé à parler de transformation seulement en 1984, au moment où Alcan a annoncé une modernisation de ses usines qui allait entraîner une réduction des effectifs. Pour pallier la perte d’emplois, la région s’est tournée vers la transformation », raconte Luc Roby, directeur général de la Société de la Vallée de l’aluminium, une organisation qui cherche à faire du Saguenay–Lac-Saint-Jean un des pôles mondiaux de la transformation de l’aluminium. Résultat de ce retard : les produits et l’expertise adaptés à la construction sont encore rares. Enfin, les applications de l’aluminium en architecture demeurent méconnues, comme en témoigne l’anecdote de la cannette. « Les mauvaises utilisations de l’aluminium d’il y a 30 ou 40 ans (faire un renvoi au texte d’Hélène?) ont laissé une mauvaise image. Mais on a réalisé beaucoup de progrès depuis », assure Alexandre de la Chevrotière. Il cite en exemple les vieux destroyers de la marine canadienne dont les chandeliers en aluminium (les poteaux dans lesquels sont passés des câbles pour prévenir les chutes par-dessus bord) étaient vissés directement dans le pont en acier. « Quand l’alu est en contact avec un autre métal, une corrosion galvanique se produit. Avec l’eau salée, extrêmement conductrice, la détérioration était incroyable. Maintenant, on sait qu’il suffit d’isoler électriquement l’aluminium pour éviter la corrosion. » PRODUIT LOCAL L’aluminium est tout de même présent ici et là dans des constructions au Québec. Au Saguenay–Lac-Saint-Jean, l’architecte Alain Voyer travaille avec le matériau depuis une dizaine d’années. « Dans la région, les deux ressources principales sont le bois et l’aluminium. Beaucoup de commandes publiques demandent l’utilisation des deux », explique-t-il. En consortium avec les bureaux Léo Lapointe architecte et Lemay Associés, Alain Voyer a conçu le bâtiment du CTA-CNRC, inauguré en 2005 à Saguenay. En plus des murs-rideaux, de la fenestration et des pare-soleil, les concepteurs ont utilisé l’alu comme élément de structure pour la partie de la façade qui dissimule l’atrium. L’ensemble de l’espace (sur trois niveaux) est réalisé avec des poutrelles et des colonnes ajourées en alu, une approche novatrice. Trois façades du bâtiment sont revêtues d’aluminium. Pour sortir des sentiers battus, les concepteurs ont laissé de côté les produits manufacturés existants et ont plutôt demandé à l’entrepreneur d’acheter de l’alu en rouleau, de le plier selon leur propre design et de l’installer au mur. « On avait employé une technique similaire pour un pavillon de réadaptation du centre hospitalier de Jonquière qui abritait une piscine. Le design du bardage rappelait les écailles d’un poisson. Ça a très bien marché et c’est performant. » En 2005, le bâtiment du CTA-CNRC a remporté un prix d’excellence en architecture de l’Ordre des architectes du Québec dans la catégorie des projets industriels et le prix Energia pour l’efficacité énergétique et le développement durable de l’Association québécoise pour la maîtrise de l’énergie (AQME). BON USAGE Autre innovation qui met à profit les propriétés du matériau : les murs amovibles en aluminium conçus par la compagnie StarWall et utilisés entre autres dans l’immeuble de la Caisse de dépôt, à Montréal. Essentiellement, il s’agit d’une ossature en aluminium dans laquelle s’insère une cloison, en bois ou en verre par exemple. « L’assemblage est rapide. Ça rend les reconfigurations de bureaux très simples : il suffit de démonter les murs et de les replacer ailleurs. Ça ne crée pas de déchets », explique Luc Roby. Les murs amovibles sont aussi entièrement recyclables. Une particularité intéressante, si l’on considère la valeur résiduelle de l’alu. « En ce moment la scrap se vend 80 cents la livre. Même si une structure devient désuète, elle vaut quand même quelque chose », précise Alexandre de la Chevrotière. Certes, l’aluminium n’est pas approprié dans toutes les circonstances. « Ce qu’il faut viser, c’est une complémentarité des matériaux », estime Luc Roby. Avoir recours à l’alu là où c’est avantageux. Sur un pont, par exemple. « Pour le tablier d’un pont l’aluminium est très intéressant. Sa légèreté permet de réduire le poids par rapport au béton et donc d’augmenter la charge utile tout en diminuant la charge morte », explique Alexandre de la Chevrotière. La technique, de plus en plus utilisée en Europe, pourrait faire son chemin jusqu’ici. La légèreté de l’alu le rend aussi approprié pour élargir un pont existant afin d’y ajouter un passage piétonnier ou une piste cyclable, comme l’a notamment fait Alexandre de la Chevrotière en Caroline du Nord. Cette année, l’ingénieur a également conçu cinq passerelles d’accès en aluminium (assemblées sans soudage selon un concept de son cru de type Meccano) pour relier au quai un bateau converti en spa flottant qui ouvrira prochainement ses portes dans le Vieux-Port de Montréal. FUTUR RAPPROCHÉ De l’avis de tous, l’utilisation de l’aluminium en architecture ira croissant, au Québec comme ailleurs. « Les industries militaires et de l’aviation continuent de mener des recherches et leurs innovations, comme des alliages toujours plus résistants, finissent par être utilisées dans la construction», avance Alexandre de la Chevrotière. À l’heure du développement durable, certaines caractéristiques de l’alu seront aussi de plus en plus prisées. « L’aluminium se recycle à plus de 90 % et sa légèreté présente des avantages, notamment sur le plan du transport des structures. Quand les gens vont payer leur pétrole cinq fois plus cher, ils vont trouver ça intéressant. Ce n’est qu’une question de temps », croit Patrick Gougeon, chef de groupe, Soudage et traitement laser, au CTA-CNRC. Les façades intelligentes utilisant l’aluminium et intégrant entre autres des volets automatisés, des cellules photovoltaïques et des systèmes de vitrage intelligents sont aussi promises à un bel avenir. Par ailleurs, l’industrie québécoise se mobilise pour favoriser le développement des deuxième et troisième transformations. « Le nombre d’emplois dans l’industrie diminue chaque année parce que les usines sont de plus en plus automatisées. Pour des raisons politique et économique, il faut transférer les emplois de la production à la transformation », affirme Patrick Gougeon. À l’initiative de Maadi Group et de l’École de technologie supérieure, Montréal sera même l’hôte de la 12 e Conférence internationale sur l’aluminium (INALCO), en 2013. « C’est un matériau à découvrir. À nous, les concepteurs, de démontrer qu’on peut en faire bonne usage », conclut Alain Voyer. VOIR AILLEURS Depuis une quinzaine d’années, de grands architectes ont utilisé l’aluminium de façon inédite. Visite commentée de quelques-unes de ces constructions innovatrices. • Philharmonie de Paris, France Architectes : Ateliers Jean Nouvel Projet lauréat d’un concours lancé en 2007, la future résidence de l’Orchestre de Paris devrait voir le jour en 2012. Conçu par Jean Nouvel, tout le bâtiment sera en aluminium (pavés de fonte d’alu, plaques courbes lisses, plaques courbes poncées, etc.) et produira des jeux de teintes et de lumière. • Magasin Selfridges, Birmingham, Angleterre Architectes : Future Systems Ouvert en 2003, le bâtiment est couvert de 15 000 disques d’aluminium d’un diamètre d’environ 60 cm chacun. Selon les concepteurs, cette enveloppe métallique rappelle « les écailles d’un serpent ou les paillettes d’une robe de Paco Rabanne ». Le bâtiment a remporté plusieurs prix, dont le prix du Royal Institute of British Architects en 2004. • Passerelle LM Harbour, Copenhague, Danemark Architectes : Steven Holl Dans la recherche d’une nouvelle icône pour le port de Copenhague, le choix s’est arrêté sur la proposition de Steven Holl : deux tours reliées à 63 m dans les airs par une passerelle vitrée, dont les parois en aluminium devraient se refléter dans l’eau. • Maison Aluminium, Kanazawa, Japon Architectes : Atelier Tekuto Avec ce projet, l’Atelier Tekuto cherchait à créer des murs en aluminium qui agiraient à la fois comme structure et comme radiateurs. Les cavités des extrusions contiennent des tuyaux d’eau chaude et d’eau froide ainsi que des fils électriques. • La cave Bodega d’Ysios, Laguardia, Espagne Architecte : Santiago Calatrava Érigé sur un vignoble, ce bâtiment sert à fabriquer, entreposer et vendre du vin. Le toit en aluminium contraste avec la façade en cèdre, un rappel des cuves (alu) et des barriques (bois) utilisées dans la vinification. Innovation: Fier Alu Bodega Ysios, Laguardia, Álva, Espagne, Santiago Calatrava SA Photo: Steven Van Vaerenbergh Bodega Ysios, Laguardia, Álva, Espagne, Santiago Calatrava SA Photo: Steven Van Vaerenbergh Structure, revêtement, mobilier urbain. Les applications de l’aluminium sont nombreuses et variées en architecture. Et au Québec, ça ne fait que commencer. Corinne Fréchette-Lessard Il y a quelques années, Alexandre de la Chevrotière cherchait une firme d’ingénierie américaine avec laquelle travailler pour réaliser un projet de passerelle aérienne en aluminium qui relierait des condos à un stationnement étagé, à San Diego. « Un des ingénieurs à qui j’ai parlé m’a dit : “L’aluminium, ce n’est pas un matériau de construction, ça sert à faire des cannettes.” J’ai répondu que, dans ce cas-là, il devrait éviter de prendre l’avion : plus de la moitié de l’appareil est en aluminium! » raconte-t-il. Manifestement, l’Américain connaissait mal son interlocuteur. Alexandre de la Chevrotière travaille avec l’aluminium depuis l’âge de 18 ans, alors qu’il faisait ses débuts en architecture navale sur les chantiers maritimes de la MIL Davie. Il est ensuite devenu ingénieur en mécanique et a continué d’explorer son matériau de prédilection, tant au niveau de la fabrication que du design. Il y a cinq ans, il a fondé Maadi Group, le seul bureau d’études canadien se consacrant exclusivement à l’aluminium. Selon lui, tout, ou presque, peut se faire en alu. Propriétés distinctes Bodega Ysios, Laguardia, Álva, Espagne, Santiago Calatrava SA Photo: Hans Brinker Bodega Ysios, Laguardia, Álva, Espagne, Santiago Calatrava SA Photo: Hans Brinker « C’est un matériau de choix », soutient Marie-Christine Gagnon, analyste technique des affaires au Centre des technologies de l’aluminium du Conseil national de recherches du Canada (CTA-CNRC), un organisme qui vise à stimuler le développement de nouvelles technologies de fabrication de produits en alu. « Il peut servir autant pour la structure d’un bâtiment que pour le revêtement, les composantes architecturales comme les fenêtres, ou encore le mobilier urbain, comme les bancs de parc et les lampadaires. » C’est que la liste des propriétés de l’alu est longue : durable, malléable, recyclable, léger, résistant, etc. Sans oublier la possibilité d’extrusion, une technique qui consiste à chauffer un cylindre d’aluminium et à le pousser dans un moule (une matrice) pour en faire des pièces de formes complexes. « Par exemple, pour des portes ou des fenêtres, on fait des nervures à même la matrice qui vont permettre d’insérer les joints étanches. Toutes les structures auxquelles je travaille sont faites d’extrusions. Sans la possibilité d’extrusion, on perdrait la moitié des avantages de l’aluminium », estime Alexandre de la Chevrotière. Selon lui, si les principes de base sont respectés, les formes possibles n’ont d’autres limites que la créativité des concepteurs. Ce qui amène Hugues Wilquin à parler de « pensée alu » : « La plupart des architectes ou des ingénieurs en bâtiment pensent encore le métal comme l’acier. Or, il y a vraiment une façon de « penser aluminium » : avec l’alu on peut tout faire en un », explique Wilquin, professeur à la Faculté polytechnique de Mons et auteur de Construire en aluminium (Le Moniteur, 2001). Un certain retard Bien que le Canada soit le troisième producteur d’aluminium au monde, le matériau demeure peu utilisé dans les bâtiments du Québec et de l’Amérique du Nord. « En 2008, environ 14 % de l’aluminium utilisé en Amérique du Nord était destiné au domaine de la construction. C’est deux fois moins qu’en Chine (28 %) et en Europe (27 %). Nous sommes à la traîne par rapport à la moyenne mondiale », constate Marie-Christine Gagnon. Comment expliquer cette situation? D’abord, le fric. « L’aluminium coûte quatre fois plus cher que l’acier. En Europe, le prix n’est pas un facteur déterminant. Ici, quand on construit, il ne faut pas que ça coûte cher », croit Alexandre de la Chevrotière. Cette attitude traduit un manque de vision à long terme, selon lui, puisque la durabilité de l’aluminium amortit passablement la facture originale. « Le pont en aluminium de Shipshaw, construit en 1950, ne rouille pas, illustre Luc Roby. Il n’a pas besoin d’être repeint tous les 10 ou 15 ans comme ceux en acier. » Sans compter qu’une structure en alu nécessite souvent moins de métal que si elle était en acier. Ensuite, même si on produit l’aluminium depuis le début du siècle dernier au Québec, l’industrie de la transformation est encore jeune. « On a commencé à parler de transformation seulement en 1984, au moment où Alcan a annoncé une modernisation de ses usines qui allait entraîner une réduction des effectifs. Pour pallier la perte d’emplois, la région s’est tournée vers la transformation », raconte Luc Roby, directeur général de la Société de la Vallée de l’aluminium, une organisation qui cherche à faire du Saguenay–Lac-Saint-Jean un des pôles mondiaux de la transformation de l’aluminium. Résultat de ce retard : les produits et l’expertise adaptés à la construction sont encore rares. Enfin, les applications de l’aluminium en architecture demeurent méconnues, comme en témoigne l’anecdote de la cannette. « Les mauvaises utilisations de l’aluminium d’il y a 30 ou 40 ans ont laissé une mauvaise image. Mais on a réalisé beaucoup de progrès depuis », assure Alexandre de la Chevrotière. Il cite en exemple les vieux destroyers de la marine canadienne dont les chandeliers en aluminium (les poteaux dans lesquels sont passés des câbles pour prévenir les chutes par-dessus bord) étaient vissés directement dans le pont en acier. « Quand l’alu est en contact avec un autre métal, une corrosion galvanique se produit. Avec l’eau salée, extrêmement conductrice, la détérioration était incroyable. Maintenant, on sait qu’il suffit d’isoler électriquement l’aluminium pour éviter la corrosion. » Produit local Projet de passerelle LM Harbour, Copenhague, Dannemark, Steven Holl Projet de passerelle LM Harbour, Copenhague, Dannemark, Steven Holl L’aluminium est tout de même présent ici et là dans des constructions au Québec. Au Saguenay–Lac-Saint-Jean, l’architecte Alain Voyer travaille avec le matériau depuis une dizaine d’années. « Dans la région, les deux ressources principales sont le bois et l’aluminium. Beaucoup de commandes publiques demandent l’utilisation des deux », explique-t-il. En consortium avec les bureaux Léo Lapointe architecte et Lemay Associés, Alain Voyer a conçu le bâtiment du CTA-CNRC, inauguré en 2005 à Saguenay. En plus des murs-rideaux, de la fenestration et des pare-soleil, les concepteurs ont utilisé l’alu comme élément de structure pour la partie de la façade qui dissimule l’atrium. L’ensemble de l’espace (sur trois niveaux) est réalisé avec des poutrelles et des colonnes ajourées en alu, une approche novatrice. Trois façades du bâtiment sont revêtues d’aluminium. Pour sortir des sentiers battus, les concepteurs ont laissé de côté les produits manufacturés existants et ont plutôt demandé à l’entrepreneur d’acheter de l’alu en rouleau, de le plier selon leur propre design et de l’installer au mur. « On avait employé une technique similaire pour un pavillon de réadaptation du centre hospitalier de Jonquière qui abritait une piscine. Le design du bardage rappelait les écailles d’un poisson. Ça a très bien marché et c’est performant. » En 2005, le bâtiment du CTA-CNRC a remporté un prix d’excellence en architecture de l’Ordre des architectes du Québec dans la catégorie des projets industriels et le prix Energia pour l’efficacité énergétique et le développement durable de l’Association québécoise pour la maîtrise de l’énergie (AQME). Bon usage Autre innovation qui met à profit les propriétés du matériau : les murs amovibles en aluminium conçus par la compagnie StarWall et utilisés entre autres dans l’immeuble de la Caisse de dépôt, à Montréal. Essentiellement, il s’agit d’une ossature en aluminium dans laquelle s’insère une cloison, en bois ou en verre par exemple. « L’assemblage est rapide. Ça rend les reconfigurations de bureaux très simples : il suffit de démonter les murs et de les replacer ailleurs. Ça ne crée pas de déchets », explique Luc Roby. Les murs amovibles sont aussi entièrement recyclables. Une particularité intéressante, si l’on considère la valeur résiduelle de l’alu. « En ce moment la scrap se vend 80 cents la livre. Même si une structure devient désuète, elle vaut quand même quelque chose », précise Alexandre de la Chevrotière. Certes, l’aluminium n’est pas approprié dans toutes les circonstances. « Ce qu’il faut viser, c’est une complémentarité des matériaux », estime Luc Roby. Avoir recours à l’alu là où c’est avantageux. Sur un pont, par exemple. « Pour le tablier d’un pont l’aluminium est très intéressant. Sa légèreté permet de réduire le poids par rapport au béton et donc d’augmenter la charge utile tout en diminuant la charge morte », explique Alexandre de la Chevrotière. La technique, de plus en plus utilisée en Europe, pourrait faire son chemin jusqu’ici. La légèreté de l’alu le rend aussi approprié pour élargir un pont existant afin d’y ajouter un passage piétonnier ou une piste cyclable, comme l’a notamment fait Alexandre de la Chevrotière en Caroline du Nord. Cette année, l’ingénieur a également conçu cinq passerelles d’accès en aluminium (assemblées sans soudage selon un concept de son cru de type Meccano) pour relier au quai un bateau converti en spa flottant qui ouvrira prochainement ses portes dans le Vieux-Port de Montréal. Futur rapproché Magasin Selfridges, Birmingham, Angleterre, Future Systems Photo: Ell Brown Magasin Selfridges, Birmingham, Angleterre, Future Systems Photo: Ell Brown De l’avis de tous, l’utilisation de l’aluminium en architecture ira croissant, au Québec comme ailleurs. « Les industries militaires et de l’aviation continuent de mener des recherches et leurs innovations, comme des alliages toujours plus résistants, finissent par être utilisées dans la construction», avance Alexandre de la Chevrotière. À l’heure du développement durable, certaines caractéristiques de l’alu seront aussi de plus en plus prisées. « L’aluminium se recycle à plus de 90 % et sa légèreté présente des avantages, notamment sur le plan du transport des structures. Quand les gens vont payer leur pétrole cinq fois plus cher, ils vont trouver ça intéressant. Ce n’est qu’une question de temps », croit Patrick Gougeon, chef de groupe, Soudage et traitement laser, au CTA-CNRC. Les façades intelligentes utilisant l’aluminium et intégrant entre autres des volets automatisés, des cellules photovoltaïques et des systèmes de vitrage intelligents sont aussi promises à un bel avenir. Par ailleurs, l’industrie québécoise se mobilise pour favoriser le développement des deuxième et troisième transformations. « Le nombre d’emplois dans l’industrie diminue chaque année parce que les usines sont de plus en plus automatisées. Pour des raisons politique et économique, il faut transférer les emplois de la production à la transformation », affirme Patrick Gougeon. À l’initiative de Maadi Group et de l’École de technologie supérieure, Montréal sera même l’hôte de la 12 e Conférence internationale sur l’aluminium (INALCO), en 2013. « C’est un matériau à découvrir. À nous, les concepteurs, de démontrer qu’on peut en faire bonne usage », conclut Alain Voyer. Voir ailleurs Depuis une quinzaine d’années, de grands architectes ont utilisé l’aluminium de façon inédite. Visite commentée de quelques-unes de ces constructions innovatrices. Philharmonie de Paris, France Architectes : Ateliers Jean Nouvel Projet lauréat d’un concours lancé en 2007, la future résidence de l’Orchestre de Paris devrait voir le jour en 2012. Conçu par Jean Nouvel, tout le bâtiment sera en aluminium (pavés de fonte d’alu, plaques courbes lisses, plaques courbes poncées, etc.) et produira des jeux de teintes et de lumière. Magasin Selfridges, Birmingham, Angleterre Architectes : Future Systems Ouvert en 2003, le bâtiment est couvert de 15 000 disques d’aluminium d’un diamètre d’environ 60 cm chacun. Selon les concepteurs, cette enveloppe métallique rappelle « les écailles d’un serpent ou les paillettes d’une robe de Paco Rabanne ». Le bâtiment a remporté plusieurs prix, dont le prix du Royal Institute of British Architects en 2004. Passerelle LM Harbour, Copenhague, Danemark Architectes : Steven Holl Dans la recherche d’une nouvelle icône pour le port de Copenhague, le choix s’est arrêté sur la proposition de Steven Holl : deux tours reliées à 63 m dans les airs par une passerelle vitrée, dont les parois en aluminium devraient se refléter dans l’eau. Maison Aluminium, Kanazawa, Japon Architectes : Atelier Tekuto Avec ce projet, l’Atelier Tekuto cherchait à créer des murs en aluminium qui agiraient à la fois comme structure et comme radiateurs. Les cavités des extrusions contiennent des tuyaux d’eau chaude et d’eau froide ainsi que des fils électriques. La cave Bodega d’Ysios, Laguardia, Espagne Architecte : Santiago Calatrava Érigé sur un vignoble, ce bâtiment sert à fabriquer, entreposer et vendre du vin. Le toit en aluminium contraste avec la façade en cèdre, un rappel des cuves (alu) et des barriques (bois) utilisées dans la vinification.