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Quel est le rôle de l’architecte dans l’analyse des soumissions ? Un jugement récent éclaire la question.

L’architecte est souvent appelé à se prononcer sur les soumissions reçues pour le compte de son client. Or, son opinion est susceptible d’entraîner des conséquences majeures. En effet, le client justifiera l’octroi du contrat à l’entrepreneur en fonction des recommandations de son professionnel. Un jugement rendu par la Cour supérieure en 2014, puis confirmé en appel en 20161, permet de circonscrire la responsabilité de l’architecte en pareille situation.

Bref retour sur les faits

L’entrepreneur Y, dont la soumission n’a pas été retenue, poursuit la Ville de Z pour la perte de profits découlant de la non-attribution du contrat. Il prétend que l’offre du plus bas soumissionnaire X, n’était pas conforme puisqu’elle était entachée d’une irrégularité majeure. En effet, les documents d’appel d’offres comportaient une clause dite « d’expérience » qui demandait que l’entrepreneur joigne à sa soumission la description de trois projets d’envergure et de complexité comparables au projet à réaliser. De plus, la Ville se réservait le droit d’exclure le soumissionnaire en l’absence de cette information. C’est dire l’importance qu’elle accordait à ce critère.

Après analyse des soumissions, l’architecte informe la Ville de l’identité de l’entrepreneur ayant présenté la soumission la plus basse, soit X. Il ajoute cependant à sa lettre une réserve quant à l’expérience de X. D’après les documents présentés par cet entrepreneur, il est clair qu’il n’a jamais réalisé de projets comparables. Cependant, X précise s’être adjoint les services d’un chargé de projet d’expérience.

Dans ce contexte, l’architecte informe la Ville de son droit d’analyser à nouveau la soumission et de la rejeter en se prévalant de la clause d’expérience. La Ville, sans autre démarche, octroie le contrat à l’entrepreneur X, malgré la réserve de l’architecte.

Dans le cadre de la poursuite de l’entrepreneur Y, la Ville procède à un appel en garantie contre l’architecte (c’est-à-dire qu’elle demande qu’il soit tenu responsable à sa place), alléguant qu’elle a octroyé le contrat en se fondant sur ses recommandations.

Analyse et décision de la Cour

La Cour supérieure se penche sur le comportement attendu du professionnel en pareilles circonstances et précise que l’obligation à laquelle est tenu l’architecte est une obligation de moyens. Le juge est aussi d’avis que la réserve contenue dans la lettre de l’architecte était claire et qu’au surplus, il ne fallait pas être un expert pour saisir que l’entrepreneur X n’avait pas d’expérience dans la construction de projets similaires.

La Cour s’exprime ainsi : « Devant une telle réserve clairement exprimée par écrit par l’architecte à la recommandation de l’architecte (sic), la Ville se devait de se pencher sur le dossier et soupeser les conséquences juridiques de sa décision. (…)L’architecte est compétent dans son domaine, c’est-à-dire l’évaluation de la conformité au point de vue technique, mais il n’est pas le conseiller juridique pour émettre une opinion quant aux conséquences pour la Ville du choix du soumissionnaire X au lieu de Y. »

La Cour supérieure est d’avis que l’architecte n’a pas commis de faute et qu’il a rempli son devoir de conseil; la Ville a donc pris sa décision en toute connaissance de cause. Condamnée à verser à l’entrepreneur Y plus de 700 000 $, celle-ci porte le jugement en appel.

La Cour d’appel confirme le jugement rendu par la Cour supérieure. Elle précise de plus que la Ville ne se trouvait pas dans une situation de déséquilibre par rapport à l’architecte, et ce, dès le début du projet. En effet, les officiers municipaux concernés avaient les compétences professionnelles nécessaires pour juger du libellé de la clause d’expérience rédigée par l’architecte. Ainsi, si un doute subsistait dans l’esprit des décideurs de la Ville, que ce soit en ce qui a trait à la clause d’expérience ou au choix du soumissionnaire, ils auraient dû demander une opinion juridique, ce domaine d’expertise n’étant pas celui de l’architecte.

Que retenir de cette décision ? L’architecte n’est pas le conseiller juridique de son client. Il doit agir avec prudence lorsqu’il analyse les soumissions et qu’il émet une opinion à cet égard, surtout si le client est un néophyte en matière de construction. Il doit demeurer dans la sphère technique de l’analyse des soumissions et ne pas se substituer à son client, ce dernier ayant le dernier mot dans la décision d’octroyer ou non un contrat. Et surtout, il ne doit pas hésiter à recommander à son client d’obtenir une opinion juridique en cas d’ambiguïté. Il s’agit d’une recommandation payante !

1. 2014 QCCS 5067 et 2016 QCCA 1912