Les projets de requalification tardent souvent à se mettre en branle en raison de la difficulté à donner une nouvelle vocation à un édifice ou à un ensemble de bâtiments. Certaines approches peuvent aider à surmonter ce défi.
En 2018, la Société québécoise des infrastructures (SQI) a reçu le mandat de piloter la requalification de l’ancien hôpital Royal Victoria, à Montréal, un complexe de 17 bâtiments construits de 1891 à 1993. Mais lui trouver un nouveau rôle n’est pas une mince affaire.
L’Université McGill a obtenu l’autorisation de créer un pôle de recherche, d’enseignement et d’apprentissage en développement durable et politiques publiques dans une partie du site. « Nous devons toutefois identifier de nouveaux usages pour le reste », précise Sophie Mayes, architecte, directrice générale de la requalification du site Royal Victoria pour la SQI.
La SQI élabore un plan directeur d’aménagement en collaboration avec la Ville de Montréal, l’Université McGill et des ministères québécois. Plusieurs exercices de consultation alimentent ses réflexions. À l’automne 2019, elle a mis sur pied un comité consultatif indépendant et réalisé un forum de discussion avec une centaine de membres d’organismes et d’institutions des milieux de l’aménagement, de l’action communautaire, de la culture, des affaires, de l’environnement et du patrimoine.
Elle a tenu plus récemment des séances d’information et d’échange avec des groupes du quartier.
« Puisqu’il s’agit d’un ensemble patrimonial, nous participons aussi à des consultations populaires menées par l’Office de consultation publique de Montréal, ajoute Sophie Mayes. La prochaine vocation devra répondre aux besoins et aux préoccupations des parties prenantes, sans quoi elle n’aura pas d’acceptabilité sociale. »
S’ancrer dans la communauté
L’organisme Écobâtiment croit fermement à l’importance de ces étapes de consultation dans la recherche d’une nouvelle vocation. « Ce ne sont pas toujours de grands débats publics, explique l’architecte Marie-Chantal Croft, responsable architecture, culture et collectivités à Écobâtiment. Parfois, ce sont des rencontres plus ciblées avec des parties prenantes ou des ateliers de cocréation. L’objectif reste de comprendre les besoins de la communauté et de savoir comment cet édifice a été utilisé dans le passé et ce qu’il représente pour les gens. »
Les idées de nouvelles vocations doivent aussi s’articuler avec une analyse de l’état du bâtiment et de ses fonctionnalités. « Parfois, certaines caractéristiques ou des problèmes techniques rendent impossible l’usage souhaité, ou en décuplent les coûts », prévient Marie-Chantal Croft.
Sa collègue et directrice générale d’Écobâtiment, Léa Méthé, donne en exemple les anciennes églises. « Leurs gros volumes donnent envie de les transformer en lieux culturels, comme des auditoriums, illustre-t-elle, mais une grande partie est souvent construite en bois et donc combustible. Or, les normes d’incendie sont sévères lorsqu’il est question de bâtiments culturels. » Elle estime qu’il faudra adapter les différentes normes, y compris le Code du bâtiment, à la pratique de la requalification.
Redécouvrir l’histoire
L’étude patrimoniale constitue une autre étape majeure en amont des projets. « Elle sert à évaluer la signification patrimoniale, à identifier les composantes architecturales marquantes d’un bâtiment et à connaître son histoire et son contexte », explique Gabriel Laferrière, chargé de projets à Passerelles, une coopérative qui agit dans le milieu de l’aménagement et de la conservation du patrimoine.
Cette étude est cruciale, car le respect de l’ancienne vocation du bâtiment est l’un des aspects les plus importants d’une requalification. Par exemple, on peut parler de bris d’usage lorsqu’un édifice qui a toujours servi la collectivité devient un espace privé inaccessible.
« Les promoteurs d’un projet et les architectes pourront s’appuyer sur cette étude pour développer une stratégie d’intervention qui tient compte des besoins du projet, des normes et de la valeur patrimoniale du bâtiment », affirme Gabriel Laferrière.
Étape par étape
La difficulté d’imaginer de nouveaux usages peut ralentir la requalification d’un bâtiment. L’ancienne bibliothèque Saint-Sulpice, construite en 1914 en plein cœur du Quartier latin, à Montréal, a ainsi été laissée à l’abandon pendant 17 ans avant que le ministère de la Culture et des Communications du Québec annonce, en juin 2022, son intention d’en faire la Maison de la chanson et de la musique du Québec.
L’occupation transitoire peut éviter ce piège. « Plutôt que d’attendre de trouver le projet parfait pour amorcer une requalification, mieux vaut expérimenter de nouvelles vocations », souligne Francis Durocher, architecte, directeur des projets d’Entremise, un organisme d’économie sociale qui conçoit, met en œuvre et gère des projets immobiliers collectifs.
Cette approche ne consiste pas seulement à utiliser un bâtiment le temps qu’un projet de requalification surgisse. Elle sert de plus en plus à imaginer ce projet et à le mettre à l’épreuve jusqu’à ce qu’on définisse une version qui pourra devenir pérenne.
Francis Durocher cite l’exemple de la Maison Mère, à Baie-Saint-Paul, l’ancien couvent des Petites Franciscaines de Marie. On y trouve désormais des OBNL, un musée, des petits commerces, un espace de travail collaboratif et une auberge de jeunesse. « Ce projet-là s’est développé petit à petit, avec l’appui de la communauté, en testant des usages et en se donnant la possibilité de commettre des erreurs », précise-t-il.
En juin dernier, le gouvernement du Québec a annoncé un investissement de 30 M$ pour y installer un Espace bleu. On y aménagera une salle d’exposition permanente sur les personnalités qui ont marqué la région, une autre salle qui accueillera des expositions itinérantes, une salle de médiation et une aire de restauration.
« Habituellement, conclut Francis Durocher, on laisse un bâtiment vide, on tente de trouver un projet, puis l’on se met à la recherche de financement, ce qui se révèle ardu avec un ensemble aussi gros que celui-là [17 000 m2] ou que l’ancien hôpital Royal Victoria. L’occupation transitoire permet d’éviter cet écueil. »