École des métiers de la restauration et du tourisme de Montréal, Affleck de la Riva, architectes et Vincent Leclerc + Associés Architectes Photo : Marc Cramer
École des métiers de la restauration et du tourisme de Montréal,
Affleck de la Riva, architectes et Vincent Leclerc + Associés Architectes
Photo : Marc Cramer

La requalification des bâtiments désuets gagne en popularité en raison de la lutte aux changements climatiques et d’un intérêt accru envers la préservation du patrimoine. Elle continue toutefois de se heurter à bien des obstacles.

Dans les années 1990, le changement d’usage de l’ancienne usine Dominion Corset, à Québec, représentait déjà un bel exemple de requalification. Le nouvel édifice, nommé La Fabrique, accueille depuis 1993 l’École d’art de l’Université Laval et des bureaux de la Ville de Québec, et a conservé la qualité architecturale de l’ancien. 

On ne doit pas confondre la requalification avec la rénovation et la réhabilitation. Ce n’est pas le même exercice. La rénovation est une opération esthétique qui vise à redonner du lustre à un immeuble défraîchi. La réhabilitation consiste à remettre à niveau un lieu ou un bâtiment ou encore à en réaménager une partie (l’intérieur, par exemple) tout en en conservant une autre (comme la structure ou la façade). 

Pour sa part, la requalification repose sur un changement d’usage. « Il s’agit de trouver une nouvelle utilité ou vocation à un édifice dont le rôle est désuet ou inadapté aux nécessités contemporaines, tout en assurant sa pérennité, son authenticité et sa signification », explique l’architecte François Racine, professeur au Département d’études urbaines et touristiques de l’ESG-UQAM.  

Un contexte favorable 

La requalification a beau ne pas être automatique, elle sort de l’ombre depuis quelques années, à tel point que la récente Politique nationale de l’architecture et de l’aménagement du territoire la mentionne abondamment. Deux raisons principales expliquent cet engouement. 

D’abord, le Québec hérite actuellement de nombreux bâtiments qui ont perdu leur utilité initiale en raison de change­ments sociaux (ex. : églises) ou écono­miques (ex.  : anciennes usines). Certains sont patri­moniaux, ce qui oblige à réfléchir à leur préservation et à leur trouver de nouveaux usages. En effet, le souci pour le patrimoine gagne en importance depuis quelques années, notamment en raison de pressions publiques. 

Puis, la crise climatique explique ensuite l’intérêt porté à la requalification. « Démolir un bâtiment, c’est un peu comme jeter un sac de plastique aux poubelles, illustre Gavin Affleck, architecte associé chez Affleck de la Riva. C’est un geste beaucoup plus grave aujourd’hui dans le contexte de lutte contre les changements climatiques. » 

En démolissant pour reconstruire, non seulement on produit des déchets dont certains seront enfouis, mais on recommence un autre cycle d’émission de gaz à effet de serre (GES).  On le sait, la construction d’un bâtiment génère beaucoup de ces GES, notamment lors de la fabrication et du transport des matériaux. Par conséquent, plus on prolonge l’existence de ce bâtiment, plus on répartit dans le temps l’impact de ces émissions.  

« La nouveauté, c’est que les considéra­tions patrimoniales et environnementales ne sont plus examinées de manière isolée, elles se conjuguent dans les réflexions sur l’avenir des bâtiments dont l’usage est désuet », souligne Gavin Affleck. Cela explique, par exemple, qu’on envisage parfois la requalification même pour des édifices dont la valeur patrimoniale est considérée comme moins élevée. 

Des obstacles 

Pour autant, la requalification n’est pas toujours prise en considération à la place d’une construction neuve. « Si le bâtiment a une valeur patrimoniale reconnue, il doit en règle générale être conservé, rénové, réhabilité ou requalifié, indique Eline Bonnemains, conseillère en aménagement du territoire et urbanisme à Vivre en Ville. Malheureusement, dans des cas où le bâtiment ne présente aucune valeur patrimoniale, une construction neuve sera la plupart du temps envisagée. » 

De nombreux obstacles alimentent cette hésitation, notamment la difficulté à trouver un nouvel usage, de même que la complexité et le coût de réalisation de ce type de projet. « Le vieux réflexe consiste à dire que c’est plus simple et moins cher de démolir et que ça ne vaut pas le coup de s’embarquer dans une requalification », déplore Claudine Déom, professeure d’aménagement à l’École d’architecture de l’Université de Montréal. 

Elle ajoute qu’une campagne de sensibilisation doit être menée auprès des architectes. « Ce travail a longtemps été moins valorisé que la conception à partir d’une page blanche, mentionne-t-elle. Pourtant, c’est une contribution qui est certes à plus petite échelle, mais qui exige beaucoup de créativité et d’expertise. »  

Par ailleurs, les règlements municipaux ou de zonage d’activités compliquent parfois le virage vers un nouvel usage. Les codes de construction, de prévention des incendies ou de résilience aux séismes représentent eux aussi d’immenses obstacles à la requalification, tout comme les coûts et le ralentissement entraînés par la décontamination des sols.  

Des modèles 

Les exemples réussis de requalification commencent malgré tout à s’accumuler et contribuent à rehausser l’attrait de cette approche. Le cabinet Affleck de la Riva a par exemple participé en 2014 à la requalifi­cation de l’ancien couvent de Saint-Roch-de-l’Achigan (1881), qui abrite maintenant l’hôtel de ville, et à celle de l’école Victoria (1888) à Montréal en École des métiers de la restauration et du tourisme de Montréal. 

François Racine cite par ailleurs le cas de l’ancienne église Saint-Eugène à Montréal. Fermée en 1999, elle a été intégrée en 2006 à un complexe de rési­dence pour personnes âgées par la firme ABCP. L’église accueille des fonctions communautaires et des services partagés. « En échange de sa requalification, les promoteurs ont obtenu la permission de construire des bâtiments de six étages, plutôt que trois, afin que le projet soit rentable, précise-t-il. Cela montre qu’on peut trouver des voies pour réaliser ces projets quand tout le monde fait preuve d’ouverture. »

Mairie de Saint-Roch-de-l’Achigan, Saint-Roch-de-l’Achigan, Affleck de la Riva architectes Photo : Marc Cramer
Mairie de Saint-Roch-de-l’Achigan, Saint-Roch-de-l’Achigan,
Affleck de la Riva architectes
Photo : Marc Cramer

Requalifier le patrimoine sans le dénaturer 

Il n’est pas toujours facile de savoir si on va trop loin dans les change­ments apportés à un bâtiment patrimonial. Comment requalifier sans dénaturer ?

« Il faut réaliser une étude patrimoniale détaillée afin de comprendre la spécificité du bâtiment, suggère François Racine. Cela aidera à évaluer le degré de transformation possible sans affecter son intégrité et ses qualités volumétriques et spatiales. » (Voir « L’art de laisser des traces ») Engager la population dans un exercice de codesign peut aussi contribuer, selon lui, à déterminer les services que l’édifice peut rendre à la communauté. (Voir « La quête d’un nouvel usage ») 

David Paradis, urbaniste, directeur, Recherche, formation et accompagnement, à Vivre en Ville, estime qu’on doit privilégier une nouvelle vocation compatible avec les divisions intérieures et avec l’identité générale du bâtiment, pour préserver l’esprit de la construction initiale. 

Sa collègue Eline Bonnemains admet que requalifier, c’est toujours dénaturer dans une certaine mesure. « Mais ce n’est pas nécessairement négatif, précise-t-elle. Un changement d’usage amène une vie différente dans le bâtiment et à ses abords directs. C’est une renaissance. » 

France : enseigner la réhabilitation

En France, la sensibilité écologique grandissante se fait sentir jusque dans les écoles d’architecture. Ces dernières modifient progressivement leur cursus afin d’y intégrer des concepts de réhabilitation, mais pas assez vite au goût de la relève, selon un article du site Le Moniteur paru cet automne.

Par Stéphane Desjardins

Le reportage fait état des jeunes, qui, à la sortie des écoles nationales supérieures d’architecture (ENSA), ont l’impression que leur formation,  
portant essentiellement sur le neuf, n’a pas suffisamment insisté sur la réhabilitation et la requalification. 

L’intervention sur l’existant représente cependant un enjeu majeur au sein des ENSA puisque ce principe est inscrit dans la Stratégie nationale pour l’architecture, adoptée en 2015 par le ministère de la Culture, qui chapeaute ces écoles. 

Au niveau mastère (maîtrise), les 20 ENSA proposent toutes des parcours d’études portant sur cet aspect, tandis qu’au niveau licence (l’équivalent du baccalauréat ici), l’offre de cours existerait dans au moins la moitié des établissements. 

Ainsi, à Nantes, l’ENSA offre un parcours de maîtrise intégrant ces notions, qui attire deux fois plus de candidatures que le nombre de places disponibles. Un professeur y a d’ailleurs repris la méthode de dessin en rouge et noir qu’utilisait l’architecte Robert de Cotte au 17e siècle : sur les plans, on indique en noir les murs existants et en rouge ceux à construire. L’ENSA de Clermont-Ferrand, de son côté, propose à ses étudiants et étudiantes la restauration progressive de bâtiments à Thiers sous forme de microchantiers. 

De telles activités de formation sont bienvenues dans un contexte où la relève cherche à s’investir auprès de cabinets ayant des pratiques innovantes : ceux qui consultent la communauté, qui ont recours à des matériaux plus durables ou au réemploi, qui conçoivent des espaces en tenant compte de l’histoire et de l’usage du lieu, etc. 

Or, il resterait des efforts à fournir, notamment en ce qui a trait à la formation sur l’existant sans valeur patrimoniale, un segment du bâti auquel  
il faut aussi s’intéresser dans l’optique d’éviter la démolition et la construction neuve.

Source : Marion David, « Réhabilitation : l’impérieuse rénovation pédagogique des écoles d’architecture »,  Le Moniteur, 7 octobre 2022