Le 19 mars 2025, le colloque L’architecture face aux crises logement+climat a réuni plus de 200 personnes pour explorer des pistes de solution concrètes concernant les menaces qui pèsent sur l’habitation.
Pas de doute, le milieu architectural est mobilisé. Organisé par l’Association des architectes en pratique privée du Québec (AAPPQ), l’Ordre des architectes du Québec (OAQ) et le laboratoire pre[FABRICA]tions de l’UQAM, l’évènement avait pour ambition de démontrer la valeur ajoutée des architectes dans la conception de logements abordables, durables et de qualité.
Crises multiples, réponse systémique
Dès la première présentation, le ton était donné : il ne suffit plus d’innover à la marge. Annie Levasseur, directrice scientifique du Centre d’études et de recherches intersectorielles en économie circulaire (CERIEC) et de l’Institut AdapT, a rappelé qu’en 2024 le réchauffement climatique a franchi le +1,6 °C au-dessus des niveaux préindustriels et que les effets continueront de se faire sentir pendant deux décennies même si les émissions cessaient immédiatement. Une refonte profonde des modèles économiques et résidentiels s’impose, selon elle.
Les impacts conjoints du climat sur la santé publique et le logement ont également été soulignés par David Demers-Bouffard, conseiller scientifique de l’Institut national de santé publique. Il a attiré l’attention sur les conséquences de logements inadaptés – mal isolés, humides, mal ventilés – sur la santé mentale et physique des populations vulnérables. La précarité résidentielle, exacerbée par la hausse moyenne des loyers (+75 % en 20 ans), oblige de nombreux ménages à s’éloigner des centres urbains, minant leurs réseaux sociaux et leur qualité de vie.

Photo : Sylviane Robini
Ces deux spécialistes appellent à « construire moins, mais mieux » : densifier intelligemment, éviter l’étalement urbain et intégrer la résilience climatique dès la conception. Ces enjeux doivent être pensés ensemble, avec cohérence et vision à long terme, selon le duo.
Vers une urbanisation plus responsable
« Construire vite ne suffit plus », ont renchéri l’experte et les experts du second atelier. Adam Mongrain, directeur – Habitation à Vivre en ville, a présenté les grandes lignes d’un rapport rédigé par un groupe de travail multidisciplinaire. Le document, fort de 140 recommandations, plaide pour que la construction se fasse dans une logique de décarbonation, d’abordabilité et de résilience, en évitant les erreurs coûteuses comme l’étalement urbain en zones inondables.
De son côté, l’architecte Annie Grégoire, de la Société d’habitation du Québec (SHQ), a insisté sur la nécessité d’une action transversale et partenariale. Elle a souligné les efforts du Québec pour accélérer l’innovation dans le secteur, notamment par la construction modulaire et l’intégration du BIM. Elle a aussi rappelé que chaque territoire – urbain, périurbain, rural – exige une approche adaptée.
Érick Rivard, architecte associé et designer urbain chez Groupe A / Annexe U, a pour sa part prôné une redéfinition de la densification. Il importe selon lui de réutiliser les espaces déjà développés plutôt que d’artificialiser de nouveaux territoires sans connexion aux infrastructures de transport ou aux services de proximité.
Exemples innovants

Photo : Studio PERCH architecture

Photo : Studio PERCH architecture

Illustration : Ædifica
Le colloque a permis de mettre en lumière des projets qui incarnent de nouvelles approches en matière de logement abordable et durable :
- Les Pavillons du 49e à Chibougamau À l’aide d’une quarantaine de modules en bois massif CLT entièrement préfabriqués, ce projet a permis la création de 20 logements assemblés sur site en seulement quatre jours. Fruit d’une collaboration entre Nordic Structures et Studio PERCH architecture, il illustre les avantages de la construction modulaire : réduction des délais, efficacité logistique et finition de qualité.
- Le Quartier Maritime de Rimouski Porté par la Société de développement Angus, ce projet prévoit 328 logements locatifs en bordure du fleuve Saint-Laurent. Il privilégie la préfabrication partielle avec des panneaux de béton et une structure légère en acier autoportante. Visant une performance énergétique supérieure aux normes, il inclut des espaces communs favorisant les interactions sociales et des appartements adaptables grâce à des parois coulissantes. La livraison des premières unités est prévue à la fin de 2026.
- Val-Martin à Laval Cette requalification transforme un ensemble immobilier social vieillissant en un milieu de vie durable et intégré comptant 357 logements sociaux et communautaires. L’objectif est de créer un milieu ouvert, articulé autour d’un pôle communautaire structurant. Il s’agit d’une collaboration entre Bâtir son quartier, l’Office municipal d’habitation de Laval, la Ville de Laval et d’autres partenaires. L’investissement atteint environ 375 millions de dollars.

Illustration : Provencher_Roy
Construction modulaire : leçons d’ici et d’ailleurs
La construction modulaire a été l’un des leviers clés explorés par les participantes et participants.
Mission en Scandinavie
De retour d’une mission au Danemark et en Suède, l’architecte Laurent McComber, de la firme L. McComber – architecture vivante, a fait part de ses observations sur les pratiques nord-européennes. L’écart est frappant : en Suède, 80 % des maisons unifamiliales sont construites de façon modulaire, contre seulement 6 % au Québec. Il a cité l’exemple de l’usine Lindbäcks, capable de produire jusqu’à sept logements par jour, grâce à un procédé hautement automatisé. Cette dernière allie productivité et créativité grâce à un système flexible guidant les architectes sans standardiser leurs idées. Ses modèles montrent qu’il est possible de produire en série sans sacrifier la qualité architecturale.
La filière modulaire au Québec
Au Québec, la construction préfabriquée gagne quand même du terrain. Selon l’architecte Kassandra Bonneville, du fabricant d’habitations usinées Les Industries Bonneville, les bâtiments modulaires atteignent aujourd’hui six étages avec des niveaux de qualité équivalents à ceux de la construction traditionnelle. Charles-Alexandre Rioux, directeur des opérations de la division de construction modulaire du Groupe Rioux, constructeur de l’est du Québec, a insisté sur l’importance d’une approche collaborative dès les premières phases de conception. La Ville de Montréal, représentée par Clotilde Tarditi, directrice du Service de l’habitation, a évoqué les efforts pour accélérer les processus administratifs, dont la délivrance des permis de construction en 120 jours maximum.
Isabelle Beauchamp, architecte chez Blouin Beauchamp Architectes, a pour sa part insisté sur le fait que la construction préfabriquée ne doit pas rimer avec monotonie.
Malgré tout, des freins demeurent : les normes de construction actuelles sont mal adaptées au modulaire, et la formation des membres de la profession doit évoluer, ont admis les panélistes.
Promise Robotics : automatiser sans standardiser
Alors que l’automatisation reste encore marginale dans la construction, Promise Robotics propose un procédé flexible, capable de s’adapter à la variabilité des projets résidentiels. Selon Ramtin Attar, cofondateur et PDG de l’entreprise albertaine, sa technologie permet désormais de construire une maison unifamiliale en six heures, un duplex en une journée, et un immeuble de 64 unités en seulement 14 jours, et ce, sans générer de déchets.
Sa plateforme robotique, dotée d’une intelligence artificielle, interprète des plans et coordonne des centaines de microtâches exécutées par des robots.
Si la démonstration de Promise Robotics a suscité l’enthousiasme, elle a aussi soulevé plusieurs interrogations sur le rôle des concepteurs et conceptrices, les coûts pour les petites entreprises de construction et l’intégration aux pratiques existantes.
Une collaboration interdisciplinaire essentielle
Un panel animé par Érick Rivard a mis en lumière l’importance de la collaboration entre architectes, manufacturiers, ingénieures et ingénieurs et donneurs d’ouvrage pour moderniser les pratiques de l’industrie. Pascal Castonguay, directeur général de l’expertise, de la construction et de la rénovation à la SHQ, a présenté une démarche favorisant les consortiums pluridisciplinaires pour concevoir des logements modulaires de qualité. Cette dernière s’appuie sur la récente Loi visant principalement à diversifier les stratégies d’acquisition des organismes publics et à leur offrir davantage d’agilité dans la réalisation de leurs projets d’infrastructure, qui privilégie la juste valeur plutôt que le prix le plus bas dans l’attribution des contrats publics.
Serge Côté, délégué de l’Association des manufacturiers de bâtiments modulaires du Québec, a souligné l’importance d’une compréhension mutuelle entre les disciplines pour assurer l’efficacité des projets. Le rôle traditionnel de l’architecte comme maître d’œuvre doit s’adapter au contexte du modulaire, qui comporte des contraintes spécifiques de transport, de dimensions, de poids, d’assemblage et de levage, a-t-il soutenu.
Enfin, Sara Rankohi, professeure au Département de management de l’ESG UQAM, a exposé les avantages du mode de réalisation de projets intégrés (RPI). Cette approche nécessite toutefois une rupture avec les pratiques linéaires traditionnelles. L’ensemble des membres de l’équipe – architectes, ingénieurs et ingénieures, constructeurs – doivent s’investir dès les premières phases du projet, avant même le début de la conception. Les RPI permettraient non seulement d’accélérer les projets de construction, mais aussi d’améliorer leur performance environnementale en réduisant les pertes de matériaux, les erreurs de construction et la durée des chantiers.
Le panel a toutefois soulevé des questions importantes concernant la propriété intellectuelle et la responsabilité professionnelle dans ces nouveaux modèles collaboratifs, soulignant la nécessité d’une évolution des pratiques et du cadre réglementaire.
Entre urgence et vision à long terme
En clôture, Pierre Corriveau, président de l’OAQ, et Marc-André Maillé, administrateur à l’AAPPQ, ont rappelé que la préfabrication n’est pas une solution miracle à la crise du logement, puisqu’il existe de nombreuses autres avenues, incluant la réutilisation, la réduction et la reconversion du bâti existant.
Dans le contexte du développement de la construction modulaire, Marc-André Maillé a particulièrement insisté sur l’importance pour toutes les parties prenantes du milieu de comprendre les rôles, les responsabilités et les contraintes de chacun et chacune. Les industriels ont des impératifs économiques et techniques, tandis que les architectes ont des responsabilités professionnelles et déontologiques. La compréhension mutuelle sera le fondement d’une collaboration fructueuse, selon lui. Pierre Corriveau a également invité les architectes à s’engager non seulement à titre professionnel, mais aussi à titre citoyen afin de faire rayonner leur discipline et de corriger les perceptions erronées du public sur leur métier.