J’ai lu avec intérêt l’article de fond de ce numéro d’Esquisses qui parle de la pratique de l’architecture en région. Je m’y suis intéressé à titre de président de l’Ordre, bien sûr, mais aussi de manière plus personnelle…
Je suis né à Chicoutimi, j’y ai grandi et l’ai quitté pour mes études universitaires, par obligation. Oh, je n’allais pas loin, juste de l’autre côté du parc, à Québec. C’était pratique, et je revenais souvent chez moi… au début.
Avec le temps, les nouveaux amis, les relations plus intimes et les opportunités qui se dessinent, mon chez-moi s’est redéfini. J’allais encore chez mes parents, à Chicoutimi, mais retournais chez moi, à Québec. Peu à peu, les allers-retours se sont espacés.
Au sortir de l’école, le marché de l’emploi étant dans un creux absolu, Québec offrait très peu d’ouvertures. Comme bien d’autres, pour aider ma carrière et sans même envisager de retraverser le parc, c’est vers Montréal que je me suis dirigé.
J’y suis resté, heureux.
La vie ne m’a pas donné tort… Mais m’a-t-elle donné raison pour autant ?
Attractivité montréalaise
Vous le lirez dans les pages qui suivent, Montréal rassemble la proportion la plus importante des membres de l’OAQ (57 %), suivi de loin par la Capitale-Nationale (16 %) et de plus loin encore par les autres régions du Québec. Si rien n’est fait, la tendance devrait se maintenir, puisque les trois quarts des étudiants et étudiantes en architecture aspirent à pratiquer dans les grands centres urbains. Bien des raisons peuvent l’expliquer…
Le grand Montréal (incluant Laval et les zones les plus peuplées des Laurentides, de Lanaudière et de la Montérégie) accueille le plus gros volume d’activité en construction au Québec. Au mois d’août 2025, on y comptait 37 % de la valeur des permis de bâtir de la province, soit près de 900 M$. Son plus proche concurrent était Québec et ses environs, avec 270 M$1.
En raison de la densité de population, on y bâtit une plus forte proportion de tours et de grands bâtiments qu’ailleurs au Québec, alors que ceux-ci sont généralement assujettis à la Loi sur les architectes. La concentration de ces typologies de projets fait en sorte qu’il peut être plus facile de s’établir à Montréal ou à Québec et de rayonner vers les régions que l’inverse.
Régions délaissées
Ceci pouvant expliquer cela, il est difficile d’obtenir des services d’architectes dans des villes comme Rimouski, Val-d’Or ou Gaspé, alors que ces services restent essentiels pour les collectivités concernées. En toute équité, la profession devrait desservir l’ensemble du territoire afin que le public puisse bénéficier partout des mêmes garanties de compétence et d’imputabilité.
S’il est vrai que des bureaux régionaux trouvent des manières de pallier le manque en formant des consortiums avec ceux de grands centres, ou encore en déployant des antennes dans d’autres localités, il reste que du renfort serait bienvenu.
Ce renfort pourrait paradoxalement se trouver à Montréal et à Québec, dans nos écoles d’architecture, où, grosso modo, la moitié des étudiants et étudiantes proviennent des autres régions du Québec2. On le lit dans l’article, les régions ont beaucoup à offrir, tant sur le plan professionnel que personnel. L’Ordre et la communauté doivent valoriser le travail en région pour donner ou redonner le goût de s’y établir. Mais on n’y arrivera pas du jour au lendemain.
En attendant, une mesure bien en place, mais peu utilisée à ce jour, pourrait aider à réduire la pression. Il s’agit du règlement de partage d’activités réservées avec les technologues professionnels et professionnelles (T.P.), qui leur permet d’assurer la surveillance des travaux pour les bâtiments de la partie 9 du Code, à certaines conditions. Cette disposition peut être particulièrement efficace en région, où, on l’a dit tantôt, les tours sont moins nombreuses… Rappelons à cet effet que l’OAQ et l’Ordre des technologues professionnels du Québec ont produit l’an dernier un guide d’application du règlement, accessible sur le site de l’OAQ.
D’autres mesures pourraient être envisagées. L’Ordre reste à l’écoute de vos suggestions et entend bien faciliter toute démarche pouvant aider chaque communauté à se doter du cadre bâti auquel elle aspire.
Le Saguenéen qui reste en moi se souvient du temps où sa région était un incubateur d’innovations architecturales qui faisait l’envie de tout le Québec. Et si c’était de nouveau possible ?
1 Statistique Canada, Le Quotidien, 14 octobre 2025.
2 Données obtenues des écoles d’architecture de l’Université de Montréal et de l’Université Laval.