Véritable potager des États-Unis, la Californie produit plus du tiers des légumes et plus des trois quarts des fruits et des noix des États-Unis1. Or cette production est fréquemment en proie aux incendies, et le manque d’eau est une préoccupation croissante. Dans le contexte de la crise climatique, les entreprises agricoles et les universités de la région sont au cœur de la recherche et de l’innovation visant à assurer une meilleure résilience alimentaire.
Le domaine Silver Oak à Healdsburg, dans le comté de Sonoma, est considéré comme l’un des vignobles les plus durables de la Californie. Réalisé par Piechota Architecture, il témoigne d’un grand souci en matière de choix des matériaux : parement extérieur fait avec d’anciens fûts de séquoia, isolation en denim recyclé, aucun élément de la Red List – une liste de substances nocives pour la santé et l’environnement. Le domaine comble l’ensemble de ses besoins énergétiques grâce aux panneaux solaires installés sur les versants ouest de ses toitures. Un projet pilote est également en cours pour convertir en énergie le dioxyde de carbone émis lors de la vinification.
Quant à l’eau, « il ne faut pas en gaspiller une goutte », m’explique Alan McLintock, un conseiller en dégustation, lors de la visite des installations. Un étang d’une capacité de 3,8 millions de litres – l’équivalent de 1,5 piscine olympique – recueille les eaux de pluie et agit comme milieu humide afin de soutenir la biodiversité du site. Des capteurs mesurent en continu l’humidité des sols à 15 cm de profondeur, ce qui permet de procéder à une micro-irrigation ciblée si tel est le besoin des vignes. Outre les activités viticoles, qui requièrent environ 10 L d’eau pour produire 1 L de vin, 70 % de cette réserve est consacrée à la lutte contre les incendies, une menace dans la région.
Pour l’équipe, il était primordial de concevoir un complexe architectural apte à faire face aux incertitudes climatiques, tout en créant un environnement résilient et propice pour les travailleurs et travailleuses et les vignes. En 2020, le projet est d’ailleurs devenu le premier espace de production agricole du monde à obtenir la certification Living Building Challenge, un programme reconnu pour établir les standards les plus élevés en matière de durabilité et d’impact positif sur l’environnement et les occupantes et occupants.
Une filière innovante
Le raisin et sa transformation représentent la deuxième denrée agroalimentaire en importance en Californie2. Ce secteur fait donc l’objet de plusieurs recherches et se voit octroyer la plus grande part de l’investissement agroalimentaire de l’État. Le comté de Sonoma, l’une des principales régions productrices, se distingue par son engagement exemplaire sur le plan environnemental : 99 % des superficies viticoles du comté sont certifiées durables par un cabinet d’audit tiers, ce qui en fait l’une des régions les plus avancées du monde en termes de pratiques viticoles responsables3.
Il faut dire que cette industrie bénéficie de tout un écosystème scientifique. L’Université de Californie à Davis (UC Davis) est un pôle majeur de formation et de recherche en agroalimentaire, reconnu internationalement pour son expertise en viticulture et en œnologie. Son Institut Robert Mondavi, doté de ses propres vignoble et chai, fait part de ses avancées aux domaines viticoles de la région, dont Silver Oak.
De son côté, l’Artificial Intelligence Institute for Next Generation Food Systems (AIFS), constitué d’environ 40 chercheurs et chercheuses de 6 établissements, dont UC Davis, UC Berkeley et l’Université Cornell, est une référence dans le développement de l’intelligence artificielle en agroalimentaire. L’AIFS élabore également des projets spécifiques à la viticulture et à l’œnologie. Parmi ses innovations, on compte un système de détection et d’automatisation de l’approvisionnement en eau et en nutriments, de même qu’un algorithme qui surveille et prévoit avec précision l’état des vignes (stress, productivité et rendement) et le moment idéal pour amorcer la récolte des raisins. Des vignobles de la Californie, tels que le Chateau Montelena et E. & J. Gallo Winery4, ont commencé à intégrer ces systèmes dans leur production.
Le directeur de l’AIFS, Ilias Tagkopoulos, reconnaît en entrevue que l’IA est particulièrement vorace en ce qui concerne l’eau et l’énergie. Toutefois, c’est surtout l’entraînement du modèle qui est exigeant, précise-t-il. Une fois cette étape terminée, l’exécution du modèle requiert considérablement moins de ressources. De plus, son efficacité énergétique s’améliorera au fil du temps comme toute technologie, croit-il. Le professeur trace un parallèle avec l’évolution des ordinateurs, très énergivores au début, extrêmement performants aujourd’hui.
Selon le directeur, l’IA est en fait un outil privilégié pour corriger le manque d’efficacité de l’industrie agroalimentaire. C’est pourquoi l’Institut s’emploie à fluidifier les échanges et la communication entre les maillons de la chaîne (production, transport, transformation, vente), tout en priorisant la santé publique et la biodiversité des milieux.

L’avenir de l’agriculture ?
C’est dans cet esprit que l’AIFS œuvre également au développement de l’agriculture en environnement contrôlé intérieur. Ce type de production bénéficie d’un soutien financier considérable, notamment en raison de sa capacité à assurer une culture alimentaire continue sur une base annuelle. De plus, la méthode présente des rendements nettement supérieurs à ceux de l’agriculture traditionnelle, tout en réduisant la quantité d’eau nécessaire. À titre d’exemple, Shamim Ahamed, chercheur à l’AIFS et professeur en génie biologique et agricole à UC Davis, explique que la culture de la laitue en milieu contrôlé peut générer jusqu’à 20 fois plus de récoltes par unité de superficie, tout en nécessitant environ 40 fois moins d’eau que les méthodes classiques.
Chef de file de ce secteur, l’entreprise Plenty met en œuvre un procédé de culture intérieure à la verticale. Elle exploitait auparavant une ferme intérieure de laitue à Compton, dans le comté de Los Angeles, mais s’est réorientée en 2024 vers la culture des fraises à Richmond, en Virginie. Dans ces installations, la lumière entièrement artificielle, la température et l’humidité sont réglées par l’IA, qui adapte finement l’environnement de chaque salle de culture en fonction des besoins des plantes qui s’y trouvent. Le tout se trouve dans un immense volume hermétique dépourvu d’ouvertures. Il semble pourtant contre-intuitif de rejeter tout apport de lumière naturelle, un principe fondamental en matière de bâtiment durable et d’économie d’énergie.
La consommation d’énergie de ce type d’agriculture demeure en effet préoccupante. Afin d’atteindre le niveau de performance souhaité, le recours à des systèmes mécaniques sophistiqués est indispensable pour réguler chaque paramètre, dont l’éclairage, qui représente plus de 50 % de la demande en énergie dans de telles installations. L’ensemble des universitaires interrogés étaient unanimes : produire des aliments en environnement contrôlé restera toujours plus énergivore que de recourir à l’agriculture traditionnelle. C’est pourquoi, à leur avis, la réduction de la consommation énergétique devrait constituer la priorité des recherches futures dans ce domaine.
Un pensez-y-bien
L’innovation agricole déployée en Californie est fascinante. Dans cet État qui subit de plein fouet les répercussions des changements climatiques et où l’eau se fait de plus en plus rare, l’agriculture en environnement contrôlé et l’IA apparaissent comme de possibles planches de salut. Au Québec, où les périodes de croissance et la superficie de terres arables sont limitées, ces technologies sont aussi porteuses de promesses.
Or, lorsque le rendement devient la seule priorité, l’innovation peut se présenter sous une forme qui contribue à l’aggravation de la crise climatique. Dans le contexte où ces technologies sont amenées à se répandre, il sera essentiel que les architectes participent à l’amélioration de l’efficacité énergétique de ces bâtiments agricoles afin d’assurer une résilience alimentaire durable.
1 California Department of Food and Agriculture. California Agricultural Production Statistics. https://www.cdfa.ca.gov/Statistics/
2 Id.
3 Sonoma County Winegrowers. (2024, avril 22). Every Day is Earth Day for the Most Sustainable Winegrowing Region. Consulté le 30 juillet 2025 à https://sonomawinegrape.org/3318-2/
4 Sommeliers Choice Awards. How Artificial Intelligence is Shaping the Future of Wine Production. Consulté le 31 juillet 2025 à https://sommelierschoiceawards.com/en/blog/insights-1/how-artificial-intelligence-is-shaping- the-future-of-wine-production-1138.htm
Étienne Bourgeois a obtenu sa maîtrise en architecture à l’Université Laval en 2024. Dans son projet final, il a conçu une érablière cybernétique où se rencontrent héritage culturel, avancées technologiques et approche écologique. Le projet a été désigné meilleur projet final par le corps professoral et a valu à son auteur une candidature au Prix de Rome – début de carrière. Grâce à une bourse universitaire de l’OAQ, Étienne Bourgeois s’est rendu en Californie au printemps 2025 afin de documenter les pistes de solution à la crise climatique dans l’industrie agroalimentaire.
etiennebourgeois.ca