La préparation d’un devis n’est pas une tâche à prendre à la légère, car l’intégrité même de l’architecte peut parfois être en jeu. Bien des détails sont à considérer lorsqu’on se prête à cet exercice. Rappels.
Préparer un devis ne consiste pas seulement à dresser une liste de matériaux ou de systèmes architecturaux. Pour l’architecte, il s’agit d’un exercice où se rencontrent responsabilité professionnelle, protection du public et respect du cadre légal. Au fil du temps, la réglementation a évolué. Ainsi, dans le secteur public, elle impose désormais de nouvelles normes en matière de rédaction des appels d’offres, dont l’obligation de privilégier les devis de performance plutôt que les devis descriptifs. Ce qui implique de rédiger les devis en déterminant les objectifs à atteindre plutôt qu’en décrivant en détail les composants, les matériaux ou les systèmes.
Clarifier le mandat du client
Le mandat confié par le client ou la cliente demeure le point de départ de toute réflexion. Des clients ou clientes peuvent exiger que certains produits proviennent d’un même fabricant afin d’en simplifier l’entretien, alors que d’autres souhaitent plutôt faire jouer la concurrence. Dans le cas des projets publics, l’architecte doit impérativement se conformer aux règles imposées par la Loi sur les contrats des organismes publics et par tous les autres règlements, lois et autorités connexes, comme la Loi sur les cités et villes et l’Autorité des marchés publics (AMP) afin d’assurer un traitement équitable des soumissionnaires.
Un exercice de jugement professionnel
Lors de la rédaction d’un devis, la décision de mentionner une marque précise ou de définir uniquement des critères de performance doit découler d’un jugement professionnel fondé. L’architecte doit tout d’abord déterminer le cadre réglementaire applicable et respecter les règles de régie interne s’il y a lieu. Par la suite, il ou elle doit évaluer plusieurs facteurs qui lui permettront de prendre une décision éclairée :
- Les besoins réels du client ou de la cliente;
- Les contraintes budgétaires;
- L’offre des produits sur le marché;
- Les enjeux de performance, de sécurité et de durabilité;
- Les risques de conflits d’intérêts apparents ou réels.
En l’absence d’un processus d’équivalence rigoureux et transparent, un appel d’offres basé sur un devis mal rédigé peut être jugé non conforme par les autorités compétentes telles que l’AMP et le Bureau de l’inspecteur général de la Ville de Montréal (BIG).
Intégrité et indépendance
La spécification des produits dans un devis doit être libre de toute influence extérieure. Nommer une entreprise ou une marque précise sans justification objective peut nuire à la concurrence, favoriser un fournisseur et même faire augmenter les coûts du projet.
Lorsqu’un devis mentionne un produit d’une marque particulière, les soumissionnaires se tournent automatiquement vers ce fournisseur, ce qui réduit la concurrence et peut mener à une enquête de la part du BIG ou de l’AMP.
Les architectes doivent aussi faire preuve de précaution envers les cadeaux offerts par des fournisseurs et les invitations de ces derniers à participer à des formations ou à des voyages, par exemple. Ce type d’avantages peut miner leur crédibilité et leur indépendance, même lorsqu’ils sont présentés comme de simples activités d’information.
Il est important de rappeler que l’architecte a l’obligation déontologique d’agir avec intégrité et objectivité lorsqu’elle ou il donne un avis ou rend un service. Il lui faut également avoir une connaissance suffisante des faits et une certitude raisonnable à l’égard de la solution préconisée avant de formuler un avis et de produire un devis.
Leçons tirées
Des cas concrets ont démontré l’importance de rédiger les devis selon des critères de performance. Par exemple, lors de projets municipaux à Montréal, certains devis reprenaient mot pour mot les spécifications d’un produit d’un fournisseur, ce qui a mené à des interventions du BIG.
Ces situations ont forcé les professionnels et professionnelles à revoir leur pratique et à transformer des devis descriptifs en devis de performance, en introduisant des critères objectifs et mesurables, comme l’indice de la résistance thermique, de la résistance au vent, de la résistance mécanique, notamment.
Le non-respect des règles applicables aux appels d’offres publics par une firme d’architectes pourrait lui valoir une inscription au Registre des entreprises non admissibles aux contrats publics, de même que des sanctions disciplinaires. Sur le plan déontologique, le conseil de discipline de l’OAQ a récemment rendu une décision en lien avec un architecte qui a manqué d’intégrité et s’est placé en situation de conflit d’intérêts à de nombreuses reprises dans le cadre d’appels d’offres publics. La sanction : une radiation de 1 an et 25 000 $ d’amende.
Une importante responsabilité
Spécifier des produits dans un devis n’est jamais un geste neutre. L’architecte engage sa responsabilité déontologique, professionnelle et légale. En respectant les exigences légales, en clarifiant son mandat et en agissant avec intégrité, il ou elle assure la protection du public et la qualité des projets. C’est à travers ce souci constant de transparence et d’équité que l’architecte conserve la confiance du public et la crédibilité nécessaire à l’exercice de sa profession.
Contrats publics : qui fait quoi, au juste ?
Soumissionner sur des contrats publics demande de se conformer à un cadre réglementaire rigoureux. Voici les principaux repères à connaître.
- La Loi sur les contrats des organismes publics encadre les contrats des organismes publics au Québec. Elle impose des conditions strictes aux entreprises désirant contracter avec ces derniers, notamment une vérification de leur intégrité et une adhésion à des processus contractuels transparents.
- La Loi sur les cités et villes poursuit plusieurs objectifs, dont celui de définir les compétences et les responsabilités des municipalités du Québec, entre autres en matière de contrats publics.
- L’Autorité des marchés publics (AMP) surveille les marchés publics au Québec. Elle voit à ce que les organismes publics et municipaux respectent les règles en vigueur dans le cadre de l’octroi de contrats. Elle peut aussi procéder à la vérification de l’intégrité de toute entreprise qui détient un contrat public. À noter : l’AMP possède des pouvoirs de vérification et d’enquête lui permettant, au besoin, de suspendre ou de résilier un contrat. L’AMP ne répond pas directement aux questions. Celles-ci doivent être adressées au Secrétariat du Conseil du trésor, au 418 643-0875, poste 4999.
- Le Bureau de l’inspecteur général surveille les processus de passation des contrats par la Ville de Montréal et leur exécution. Il reçoit les plaintes et mène des enquêtes. Tout comme l’AMP, il peut annuler, résilier ou suspendre un contrat. Ayant également pour mission de prévenir les manquements à l’intégrité et aux règles applicables, le Bureau offre des formations à cet effet.
Sources utilisées pour la rédaction de cet article :
- Philippe-André Ménard. « Les produits dans les devis : être ou ne pas être… spécifique », PLAN, mai-juin 2020.
- Bureau de l’inspecteur général de la Ville de Montréal. « La définition des besoins par des critères de performance ». Formation – Cahier du participant, 2023.
Pour en savoir plus sur l’encadrement des services d’architecture dans les contrats publics québécois, consultez les nouveaux guides publiés en juillet 2025 par le Secrétariat du Conseil du trésor.
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