Enfant, Steven Somogyi s’amusait à assembler des modèles réduits. Et ce plaisir s’est mué en profession : des architectes font aujourd’hui appel à son expertise pour les appuyer dans la conception d’ouvrages, alors que des promoteurs ont recours à ses services pour étayer leur présentation devant des clients potentiels. Rencontre avec un architecte doublé d’un artisan passionné.
La maquette est un art ancien. Selon la firme spécialisée RJ Models, les premières maquettes architecturales remonteraient à la dynastie chinoise des Han, vers 200 avant notre ère. Gardent-elles toute leur pertinence de nos jours, malgré la généralisation de la modélisation numérique en 3D?
« Absolument, répond le patron de la firme Atelier-S et de Maquette.ca, Steven Somogyi. Elles permettent de visualiser l’échelle d’un bâtiment, ses volumes, son rapport avec les immeubles voisins, son effet sur l’ombrage d’une rue, etc.» La modélisation 3D par ordinateur permet d’ajuster des angles de vues ou de grossir l’échelle de certains détails, mais ces manœuvres peuvent créer de la confusion chez les non-initiés. Au contraire, la maquette constitue une représentation à la fois détaillée et facile à interpréter d’une construction existante ou projetée.
« C’est impressionnant de voir à quel point une maquette suscite la discussion et la réflexion autour d’un projet. C’est beaucoup plus convivial et concret qu’une image à l’écran.»
– François Trudeau
François Trudeau, chargé de projet pour Béïque Legault Thuot Architectes (BLTA), collabore régulièrement avec Steven Somogyi. Ce dernier contribue aux mises à jour d’une maquette du centre-ville de Montréal utilisée par le cabinet et ses clients. « C’est impressionnant de voir à quel point une maquette suscite la discussion et la réflexion autour d’un projet, souligne François Trudeau. C’est beaucoup plus convivial et concret qu’une image à l’écran.»
Deux mois de travail
On distingue deux grandes catégories de maquettes. La maquette de volume, peu détaillée, contribue à orienter la conception et les choix architecturaux d’un projet. La maquette de détails, pour sa part, constitue une représentation très précise du résultat final et sert aux présentations et à la vente. La réalisation d’une maquette, quel qu’en soit le type, nécessite en moyenne le travail de deux à trois personnes pendant six à huit semaines.
Le processus débute par une bonne discussion avec le client afin de comprendre l’usage qu’il prévoit de faire de la maquette et d’établir son budget. La taille de la maquette a peu d’impact sur le prix, alors que le degré de précision des détails et les matériaux employés en ont beaucoup plus. « Une tour sera généralement faite en acrylique, pour assurer sa stabilité, puisque le bois serait trop affecté par la température et l’humidité en raison de la quantité de matériau à utiliser, explique par ailleurs Steven Somogyi. Par contre, une maison historique d’un étage ou deux sera plutôt réalisée en tilleul, un matériau plus chaleureux, qui permet en outre de sculpter des détails à la surface.» Les maquettistes choisissent ensuite une échelle, notamment en fonction de l’endroit où la maquette sera exposée. Avec l’aide des dessins des clients, ils déterminent les principaux enjeux du projet. S’agit-il de mettre en valeur une topographie, la proximité avec des commerces ou l’intégration dans un milieu urbain?
Puis, ils produisent des croquis et définissent certains éléments, comme le socle sur lequel reposera la maquette, l’intégration de l’éclairage et les procédés à employer afin de faire ressortir le bâtiment et son contexte. Enfin, ils peuvent passer à l’étape de la construction elle-même.
Une maquette gigantesque
Certains projets sont forcément plus marquants. Steven Somogyi mentionne à cet égard les cinq maquettes de la crypte archéologique du musée Pointe-à-Callière. Mesurant 3,66 m sur 3,66 m chacune, elles représentent cinq périodes de l’histoire de ce secteur de Montréal. « Nous devions construire une topographie, des figurines, des modèles réduits d’embarcations et d’habitations, en plus de montrer leur évolution dans le temps », raconte-t-il.
Il signale aussi la gigantesque maquette du port de Montréal, installée dans les bureaux administratifs du port, qui fait 3 m de largeur sur 19,2 m de longueur. Sa firme prend part à l’entretien et aux mises à jour de cette œuvre, réalisée entre 1972 et 1981 par Noël Laverdière, un employé du Port de Montréal aujourd’hui décédé. Composé de 70 éléments et de plus de 140 000 pièces, ce modèle réduit représente le secteur du port à une échelle horizontale de 1:1200 et verticale de 1:600. Un système de canalisation et de traitement de l’eau permet de faire circuler un liquide pour figurer le fleuve.
« Des mises à jour sont souvent nécessaires, car le port évolue constamment, précise Gilles Cohen, administrateur immobilier, gestion des bâtiments au Port de Montréal. Les immeubles qui ont été construits au centre-ville de Montréal y ont été ajoutés, alors que les deux élévateurs à grains du Vieux-Port en ont été retirés.»
La technologie a beau avancer à toute vapeur, Steven Somogyi est convaincu que la maquette a encore de beaux jours devant elle.