Les dunes des Îles-de-la-Madeleine sont en proie à une érosion accélérée, mais les dégâts pourraient être freinés grâce à une architecture régénératrice.
Aux Îles-de-la-Madeleine, les dunes constituent près de 30 % du territoire. On les trouve sur les côtes, mais elles forment principalement des cordons sablonneux qui relient les îles de l’archipel entre elles. En plus de consolider la région, elles abritent une importante biodiversité, notamment dans les milieux humides et les lagunes, qu’elles protègent. Or, les changements climatiques conjugués à des activités humaines telles que la marche ou la conduite de véhicules accélèrent gravement l’érosion de ces dunes.
Dans le cadre de mon projet final de maîtrise, j’ai cherché un moyen de combiner la restauration de ces milieux dunaires avec l’architecture. Le projet issu de cette réflexion, intitulé Ta maison rétrécit, est une passerelle modulaire qui non seulement permet de se promener dans les dunes sans participer à leur érosion, mais prévoit aussi un dispositif favorisant leur rétablissement.
L’ouragan Fiona, un tournant
En mai 2022, avec mon groupe d’atelier, j’ai effectué un premier séjour aux Îles-de-la-Madeleine au cours duquel je me suis familiarisée avec la région et ses enjeux. Grâce à la bourse de l’OAQ, j’ai pu y retourner à la fin octobre 2022, juste après le passage de l’ouragan Fiona. J’ai alors vu de mes propres yeux à quel point le paysage avait été touché. L’érosion causée par les fortes vagues avait fait reculer les dunes de plusieurs mètres à certains endroits. Certains sites étaient méconnaissables par rapport à ce que j’avais pu observer cinq mois plus tôt.
Au cours de ce deuxième voyage, j’ai pu m’entretenir avec des membres de l’organisme Attention FragÎles. J’ai appris que, parmi les paysages les plus touchés par l’ouragan, figuraient ceux ayant déjà souffert de l’érosion causée par l’activité humaine. Ce dernier phénomène est bien documenté par les spécialistes de l’organisme. En gros, le passage des gens forme des sentiers dans les dunes, qui s’en trouvent affaiblies par endroits. Étant donné l’absence de végétation – et donc de racines pouvant maintenir le sable –, l’érosion de ces points faibles s’accélère jusqu’à la création de brèches dans la dune. Dès qu’une brèche apparaît, l’érosion est extrêmement rapide – à plus forte raison lorsqu’il y a un ouragan –, et la dune ne protège plus la biodiversité. C’est d’ailleurs pourquoi Attention FragÎles, en plus de restaurer des brèches à l’aide de techniques naturelles, s’emploie à sensibiliser la population à n’utiliser que les sentiers désignés afin de minimiser les impacts des déplacements sur la dune.
À la suite de ce voyage, je me suis grandement inspirée des techniques et du savoir d’Attention FragÎles afin de concevoir mon projet de passerelle.
La captation du sable
L’une des techniques privilégiées en matière de restauration des dunes est la captation du sable. On dispose des objets à l’endroit où on souhaite voir le sable s’accumuler (branches, pics de bois, clôtures ou même casiers à homards) de sorte que, quand il se déplace sous l’action du vent, il entre en collision avec ces objets et s’immobilise. Le sable s’accumule ainsi jusqu’à ce que la dune se reforme naturellement. Ce principe biomimétique représente une économie de moyens considérable par rapport à d’autres techniques comme l’enrochement ou les recharges de sable.
Mon projet se base sur ce principe. La passerelle, conçue pour être installée au-dessus d’une brèche à refermer, prévoit des éléments verticaux en bois qui servent à accumuler le sable. Durant tout le processus de restauration, l’intention est que la dune reste accessible au public afin qu’il puisse profiter du paysage sans contribuer à le détruire.
Modularité et paysage mouvant
Tout au long de ce processus de création, la notion de paysage en mouvement m’est apparue comme fondamentale. Les dunes sont des milieux qui se modifient sans cesse, et il est difficile de prédire leur évolution ou de les contrôler. En outre, même si on sensibilise la population, il arrive que des gens continuent de se déplacer hors des sentiers désignés. Il fallait donc que l’installation proposée s’adapte aux mouvements imprévisibles du sable et des êtres humains. C’est pourquoi les connexions entre les différents éléments de l’installation permettent un assemblage solide, mais réversible, de sorte qu’on puisse la démonter pour la déplacer vers un nouveau sentier dès qu’une brèche est restaurée.
En somme, Ta maison rétrécit se veut une intervention architecturale respectueuse de l’environnement, grâce à une insertion dans le paysage à la fois délicate et régénératrice. L’érosion étant un problème présent ailleurs qu’aux Îles-de-la-Madeleine, ce dispositif permet de réfléchir à l’avenir des côtes sablonneuses le long du fleuve Saint-Laurent et à notre impact sur celles-ci.