Mettre l’architecture au service des populations les plus vulnérables : c’est la mission que s’est donnée Architecture sans frontières Québec (ASFQ) lors de sa création, en 2008. Seize ans et une centaine de projets plus tard, l’organisme n’a pas dérogé à cet engagement social, ce qui lui a valu un prix lors de l’édition 2024 du gala d’excellence de l’Ordre des architectes du Québec (OAQ).
Que ce soit pour se protéger des tremblements de terre, des inondations ou d’autres catastrophes naturelles, l’architecture offre des solutions concrètes aux populations. C’est dans cette optique qu’Architecture sans frontières Québec, nommé au début Architectes de l’urgence Canada, a été créé. « Nous avions été approchés par des collègues français qui avaient fondé Architectes de l’urgence en France à la suite d’inondations importantes dans le nord du pays », se rappelle l’architecte Bernard McNamara, qui était à l’époque vice-président de l’OAQ.
C’est lui qui a été mandaté pour fonder l’antenne canadienne, devenue en quelque sorte le bras humanitaire de l’OAQ. « L’objectif était de mettre nos compétences d’architectes à profit dans des projets qui auraient un réel impact sur la population », poursuit-il. En 2018, l’organisme a pris son nom actuel et s’est joint au réseau d’Architecture sans frontières international, qui compte une trentaine de membres.
Au cours de son existence, l’organisme a effectué des missions dans plusieurs régions du monde, notamment après le tremblement de terre à Haïti, en 2010. Une équipe de bénévoles a été dépêchée sur place pour inspecter l’état de certains bâtiments occupés par des organisations non gouvernementales (ONG) du Québec et sécuriser les lieux. Entre autres interventions, ASFQ s’est aussi associé à Ingénieurs sans frontières pour former des professionnels et professionnelles du pays aux notions de construction parasismique.
Aujourd’hui, les actions d’ASFQ rayonnent partout sur la planète, avec des projets comme la planification d’un centre communautaire en Équateur, la construction d’un poste de santé au Rwanda ou la création d’un terrain de jeu dans un camp de réfugiés en Syrie. Autant de projets qui ont attiré des centaines de bénévoles au fil du temps.
Parmi ces personnes figurent des architectes comme Étienne Bernier, qui s’est envolé en 2023 pour une mission de construction d’une école primaire dans une communauté massaï complètement isolée de Tanzanie. « Ce type d’intervention nous permet de réaliser que c’est possible, avec des moyens très modestes, de faire une énorme différence dans la vie de plusieurs personnes. Ça donne un sens différent à notre travail », explique cet associé de la firme Agence Spatiale.
Un ancrage local
ASFQ est aussi engagé au Québec. D’ailleurs, l’un des premiers projets lancés par l’organisme a été réalisé dans la communauté anicinape de Kitcisakik, en Abitibi, se rappelle Bernard McNamara.
Cette population vivait dans des habitations vétustes, mal isolées et peu adaptées à sa réalité. Les bénévoles d’ASFQ ont formé en charpenterie-menuiserie plusieurs membres de la communauté, qui ont ensuite rénové une trentaine de maisons. Ce projet, mené de concert avec le conseil de bande, a valu à ASFQ la médaille du Gouverneur général du Canada en architecture en 2012. Aujourd’hui, l’organisme continue de collaborer à différents projets en lien avec l’habitat autochtone.
La pandémie a aussi marqué un tournant pour ASFQ, puisqu’on l’a mandaté pour aider commerces et organismes montréalais à réaménager leurs espaces afin de respecter les règles de distanciation physique. « On a visité différents lieux à travers la ville, comme une banque alimentaire qui servait plus de 300 familles dans un cinq et demie typique de Montréal », se rappelle l’architecte Maude Ledoux, coordonnatrice de projets.
Lors de ces visites, l’équipe a constaté l’ampleur des besoins en aménagement. Entre 2021 et 2024, elle a donc mené un programme de recherche-action* afin de réaliser près d’une quarantaine de projets d’aménagement pour des organismes communautaires de Montréal, dont ceux qui œuvrent dans le domaine de l’itinérance. ASFQ a ainsi accompagné Le Chaînon, qui accueille des femmes en situation de vulnérabilité, pour réaménager une terrasse dans une maison d’hébergement et optimiser l’espace d’une salle commune dans une autre.
Ce travail a été effectué en cocréation avec l’équipe du Chaînon et les femmes hébergées, mentionne Katia Poulin, coordonnatrice du développement des partenariats. « Être dans des lieux confortables, conviviaux et ergonomiques a un effet sur la santé mentale et la qualité de vie. Quand les femmes ont découvert les lieux, elles ont eu l’impression de se retrouver dans un condo modèle. Elles étaient vraiment impressionnées ! »
Surtout, les bénéficiaires sentent qu’elles méritent cet effort. Depuis, les endroits réaménagés sont plus fréquentés et permettent aux femmes de briser leur isolement, constate-t-elle. « Avoir accès à des espaces dignes, accueillants et sécuritaires peut grandement aider les bénéficiaires dans leur rétablissement social », soutient Maude Ledoux. Le programme comprend aussi un projet recherche-action-diffusion sur l’architecture et l’itinérance à Montréal.
Donner une deuxième vie
Au fil des années, ASFQ s’est aussi engagé envers une architecture plus durable. L’organisme a, par exemple, déterminé des mesures préventives pour adapter les bâtiments aux inondations. Ces connaissances et recommandations sont diffusées dans un document accessible au public, souligne son président, l’architecte Christian Samman.
ASFQ a en outre mis en place différentes actions en lien avec l’économie circulaire. « Nous voulons susciter l’intérêt des architectes, des entrepreneurs généraux et, évidemment, du public autour de l’idée de favoriser la déconstruction plutôt que la démolition. » Pour ce faire, l’organisme gère entre autres une entreprise d’économie sociale, RÉCO, qui récupère et revend des matériaux de construction. Une façon concrète de diminuer l’empreinte écologique de ce secteur, alors que la demande de matériaux est en croissance.
« Ce qui nous distingue, c’est notre capacité à nous adapter à différentes réalités », résume Maude Ledoux. Si l’architecture humanitaire a déjà mille et un visages, elle pourrait aussi être utile pour s’attaquer à d’autres problématiques, notamment en agissant comme levier pour la construction de logements sociaux, selon Christian Samman. Bref, la mission de l’organisme s’avère plus que jamais d’actualité.
* La réalisation de ce projet est possible grâce au soutien financier du gouvernement du Québec, par l’entremise du Fonds d’initiative et de rayonnement de la métropole.