Dans la commune de Champcevrais, dans l’est de la France, L’éveil du Scarabée est une maison d’accueil pour autistes qui vise à offrir un environnement visuel et sonore favorisant le bien-être. L’architecte et designer français Emmanuel Negroni y a consacré sept ans. Une odyssée conceptuelle qui a commencé… par un cahier des charges jeté à la poubelle.
En 2006, Emmanuel Negroni, associé de la firme Negroni Archivision, participe à un concours de conception d’une résidence pour autistes non verbaux. Il reçoit le cahier des charges comme un coup de poing dans l’estomac : les coûts de construction proposés sont largement inférieurs à ceux d’une habitation à loyer modique, et les volumes sont sans intérêt. « En gros, on nous demandait de construire des clapiers, se souvient-il. Or, ces gens vont y passer leur vie… J’étais scandalisé. »
Aux ordures, donc, le cahier des charges ! Au risque de voir le contrat lui échapper, l’architecte décide de concevoir un meilleur projet, sans égard aux contraintes financières. Il commence à s’intéresser à l’architecture thérapeutique, peu connue en France, puis propose un bâtiment d’un genre inédit dans l’Hexagone, qu’il nomme L’éveil du Scarabée. Même si les coûts du projet dépassent ceux prévus par le cahier des charges, l’idée tape dans l’œil du directeur de l’établissement, Jean-Pierre Sanchis. Ce dernier a d’ailleurs pesé de tout son poids dans la décision finale.
Une architecture des sens
« Les crises des autistes ont toujours une source, même si parfois elle nous échappe, souligne l’architecte. Cette source se trouve souvent dans l’environnement immédiat. Il faut créer un habitat qui aide à diminuer la tension et le stress. »
Le bâtiment est donc conçu en fonction des sens, qui ont une influence énorme sur l’expérience et le comportement des autistes non verbaux. C’est connu : les personnes autistes sont affectées par la lumière, le bruit ou d’autres stimuli. Cette approche vise ainsi à assurer leur bien-être et à faciliter la communication.
À L’éveil du Scarabée, la lumière est toujours indirecte, et tout l’éclairage est à DEL. Ce type de luminaire est dépourvu des grésillements ou des scintillements qu’émettent d’autres sources lumineuses, comme les tubes fluorescents. La lumière naturelle pénètre dans les pièces par l’entremise de grandes fenêtres (couvertes de voilages) ainsi que de verrières et de puits de lumière. Le soir venu, les ouvertures zénithales se transforment en lustres et tamisent l’ambiance. Par ailleurs, des moucharabiehs (grillages en bois), dont les jours prennent la forme de petits scarabées, atténuent la lumière lorsqu’elle est trop forte.
« L’idée est d’éviter les contrastes, que beaucoup d’autistes perçoivent comme des ruptures perturbatrices », explique Emmanuel Negroni. Il donne l’exemple de l’entrée principale. Passer d’une zone très claire (l’extérieur) à une zone plus sombre (l’intérieur) trouble certains autistes. L’installation d’une verrière au-dessus de l’entrée permet de franchir le seuil sans changement brusque de luminosité.
L’aménagement intérieur et les circulations comptent aussi. L’architecte rappelle que l’être humain, lorsqu’il est stressé, recherche naturellement la fuite. Il a donc pensé à créer des lignes de fuite visuelles afin d’éviter toute sensation d’enfermement. Cette possibilité de fuite devait aussi être physique. Les résidents peuvent donc se déplacer facilement dans le bâtiment, sans être confinés à des zones conventionnelles comme la chambre ou le salon. L’espace est par conséquent très ouvert, mais multiplie les zones d’intimité tout en permettant la surveillance des usagers.
Un projet marquant
Le travail réalisé sur l’acoustique traduit également la volonté de créer un environnement finement adapté aux personnes autistes. Le son, notamment l’écho, a un effet stressant sur les autistes. Emmanuel Negroni a donc équipé leur nouveau domicile de multiples pièges à son, notamment des murs en tôle perforée doublés d’isolant phonique. Afin de limiter la réverbération des sons, les toits des cinq petites « maisons » en forme de blocs, réparties dans l’espace central, sont recouverts de mousse acoustique, et le plafond est partiellement constitué de plaques de plâtre Rigitone®, qui absorbent les résonances.
L’architecte qualifie ce projet, ouvert depuis octobre 2014, de véritable « tournant » dans sa carrière. D’ailleurs, il se consacre dorénavant à l’architecture thérapeutique. Il travaille à un projet d’institut médico-éducatif dans le nord de Paris qui accueillera des enfants et adolescents autistes.
Emmanuel Negroni souhaite également voir l’architecture thérapeutique plus largement acceptée en France. « Pour cela, il faudrait que les pouvoirs politiques fassent preuve d’ouverture d’esprit, indique-t-il. J’ai récemment reçu une délégation australienne qui souhaitait découvrir L’éveil du Scarabée. Malgré de multiples invitations, les représentants du gouvernement français, eux, ne sont jamais venus le visiter… »