Le 6 mai dernier, à 72 ans, disparaissait l’architecte Claude Provencher, cofondateur de Provencher_Roy. L’homme aura laissé une trace durable tant dans sa profession que dans l’espace public québécois.
La nouvelle de son décès a provoqué beaucoup de tristesse dans le milieu architectural québécois. « On vient de perdre Guy Lafleur, Jean-Marc Vallée, puis… Claude Provencher. Ces gens sont plus grands que nature », lance Yves Lefebvre, ex-président du Conseil du patrimoine culturel du Québec.
Originaire de Plessisville, fils d’entrepreneur, bercé par la musique de ses parents (sa mère était pianiste, son père, violoniste), Claude Provencher était avant tout attiré par les arts. Il découvre le dessin grâce au cours d’arts plastiques du vendredi après-midi à l’école élémentaire. Cette passion scellera son destin.
Un esprit acharné
Claude Provencher s’inscrit en architecture à l’Université de Montréal, où il obtient son baccalauréat en 1974. Une anecdote, rapportée sur le site de Provencher_Roy, fera sourire ceux et celles qui l’ont connu : au cours de ses études, sa cohorte se plaint du manque d’espace dont elle dispose sur le campus. Claude Provencher installe donc dans le stationnement de l’établissement un vieil autobus scolaire légué par son père. Après des échanges qualifiés de « virils », l’université accepte de laisser le véhicule sur place et y branche même l’électricité! Ses futurs collègues découvrent alors l’un de ses traits de caractère : l’acharnement.
Son premier emploi, au sein de la firme Papineau Gérin-Lajoie Le Blanc architectes, sera déterminant : il y fait la rencontre de Michel Roy. Au bout de quelques années, les collègues fondent leur propre cabinet, Provencher_Roy.
Aujourd’hui, la firme emploie plus de 350 personnes, ce qui, en soi, représente un défi pour son cofondateur, qui espérait briller davantage dans les arts que dans les affaires. Son entourage lui reconnaît pourtant toutes les qualités d’un véritable entrepreneur : leadership, générosité, créativité, innovation, ténacité, vision, don de soi et, surtout, passion.
Un legs immense
La réputation de Claude Provencher est établie dès la fin des années 1980 avec l’une de ses œuvres les plus marquantes : la réalisation, achevée en 1992, du Centre de commerce mondial, fruit d’une réflexion poussée sur la revitalisation d’un îlot en mal d’amour du Vieux-Montréal.
Dès lors, Claude Provencher laissera sa marque sur le patrimoine bâti du Québec. Parmi les projets les plus connus que sa firme a conçus, seule ou avec d’autres, on retient le musée Pointe-à-Callière (1992), le pavillon J.-A.-DeSève de l’UQAM (1998), le plan maître du CHUM (années 2000), le pavillon Claire et Marc Bourgie du Musée des beaux-arts de Montréal (2011), le stade Saputo (2012), le plan de développement du Technopôle Angus (2014), l’îlot Balmoral de la place des Festivals (2019), qui loge l’Office national du film du Canada, le pont Samuel-De Champlain (2019), ainsi que des agrandissements ou des rénovations comme ceux de l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau (2005), de l’édifice Decelles de HEC Montréal (2012), du Ritz-Carlton (2012), du Casino de Montréal (2013), du CHU Sainte-Justine (2017), de la Tour de Montréal du Stade olympique (2018) ou du pavillon d’accueil de l’Assemblée nationale (2019).
Un passeur de beauté
« Élégance » est le premier mot que prononce Pierre Corriveau, président de l’Ordre des architectes du Québec, lorsqu’on l’interroge sur la contribution de Claude Provencher à l’architecture québécoise. « Il était élégant sur le plan humain, et ses solutions architecturales l’étaient tout autant », affirme-t-il. L’architecte disparu était par ailleurs très à l’écoute des besoins des gens et des courants dans la société, ajoute le président de l’OAQ. « Il sentait le vent. Et quand il embarquait dans un projet, c’était totalement. »
Pierre Corriveau retient aussi la grande pertinence des projets conçus par Claude Provencher : « Le Centre de commerce mondial est un succès indéniable d’intégration et de requalification, l’îlot Balmoral se donne en spectacle sur la place des Festivals, le pavillon d’accueil de l’Assemblée nationale, avec le remplacement du mur de pierre de l’emmarchement par une paroi de verre, ça tient du génie », dit-il.
De son côté, Yves Lefebvre parle d’un visionnaire, d’un grand créateur qui avait la tête dans les nuages et les deux pieds sur terre, d’un passeur de beauté. « Il offrait un heureux mélange de raison et de fantaisie, soutient-il. C’était un gars discret, qui parlait d’une voix douce. Il fallait l’écouter avec attention, car il ne se mettait jamais en valeur. Il préférait valoriser son entourage, mais il en imposait par son autorité et sa courtoisie. »
Ce dernier évoque d’ailleurs une réunion enflammée sur la pertinence d’un grand projet de reconversion d’un immeuble religieux patrimonial de Sillery. Claude Provencher s’était contenté, en plein tumulte, de tracer un grand X sur l’esquisse accrochée au mur. Le débat était clos.
Un mentor
Sonia Gagné et Nicolas Demers-Stoddart, architectes associés de Provencher_Roy, considèrent que Claude Provencher était avant tout un excellent mentor : « Il nous a montré comment travailler, comment analyser les projets, qu’il prenait toujours très à cœur et qu’il voulait systématiquement pousser le plus loin possible, jusqu’à en remettre en question les prémisses », évoque Sonia Gagné.
Les deux architectes retiennent la volonté de Claude Provencher d’intégrer des espaces publics, intérieurs ou extérieurs, dans la plupart des projets auxquels il a travaillé, même quand la commande originale n’en prévoyait pas. « L’atrium du Centre de commerce mondial attire continuellement travailleurs, touristes et mariages, constate Nicolas Demers-Stoddart. C’est un signe de succès ! »
Cependant, le plus grand legs de Claude Provencher, insistent-ils, c’est son studio, qui lui survivra et qui accueille nombre de jeunes architectes enthousiasmés de s’y épanouir.
Claude Provencher laisse dans le deuil sa femme, Lucie Bouthillette, ses enfants ainsi que ses nombreux proches.
Engagement et reconnaissance
Au fil de sa carrière, Claude Provencher a beaucoup travaillé à la reconnaissance de l’architecture. De 1999 à 2011, il a notamment siégé au Comité consultatif de l’urbanisme, du design et de l’immobilier de la Commission de la capitale nationale, à Ottawa. De 2009 à 2016, il a été commissaire et membre du comité des avis au Conseil du patrimoine culturel du Québec, qu’il a cofondé, ainsi que membre du conseil d’administration de la Conférence canadienne des arts et d’Héritage Montréal.
Claude Provencher a aussi été fellow de l’Institut royal d’architecture du Canada (2000), membre de l’Académie royale des arts du Canada (2014) et chevalier de l’Ordre national du Québec (2021), en plus de recevoir le prix Hommage des Grands Prix du design en 2015.