Les contraintes liées à la construction de logements abordables mettent au défi la créativité des architectes. Comment faire pour livrer malgré tout des immeubles durables et d’une valeur architecturale enviable ?

Derrière sa longue façade courbe, recouverte d’une heureuse combinaison de tôle bleue et de briques aux diverses teintes de gris, l’édifice des Habitations Sainte-Germaine-Cousin, dans le quartier de Pointe-aux-Trembles, abrite aujourd’hui 126 logements sociaux et un CPE, là où se trouvait jusqu’au début des années 2010 une église menacée de démolition.

« Pour économiser, nous avons utilisé beaucoup de tôle ondulée. Nous avons disposé la brique judicieusement, comme au rez-de-chaussée, là où la tôle aurait pu se faire endommager. L’alternance des matériaux et des couleurs dynamise l’ensemble des murs extérieurs », explique Antonin Labossière, architecte associé chez Rayside Labossière.

Avec cette construction inaugurée en 2016 et bien d’autres, des architectes québécois arrivent à mener à terme des projets de logements abordables qui ont fière allure et qui promettent d’être durables, malgré d’importantes contraintes financières et techniques – ce qui exige toute une gymnastique de conception.

Les exigences du logement social

En matière de logement social, le Guide de construction de la Société d’habitation du Québec pour son programme AccèsLogis établit en effet des balises claires… qui limitent la créativité des concepteurs.

De la planification à l’exécution, le processus est « surnormé », dit Christian Lefebvre, directeur général d’Hapopex, un organisme qui gère 18 ensembles résidentiels communautaires à Montréal. AccèsLogis exige notamment l’atteinte de la norme Novoclimat tout en imposant des budgets serrés, de sorte que les choix de matériaux sont limités, selon le gestionnaire.

Les immeubles résidentiels construits avec les deniers publics sont tout de même de grande qualité, selon Christian Lefebvre. Mais comme des concessions sont nécessaires, il arrive que la robinetterie ou les portes de placard soient à remplacer une dizaine d’années après la construction. « On aimerait bien installer de la quincaillerie plus durable ou offrir de la climatisation, mais par principe de modestie, on nous refuse tout ce qui est plus robuste ou haut de gamme.»

Habitations Sainte-Germaine-Cousin, arrondissement de Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles, Montréal, Rayside Labossière. Photo : Rayside Labossière

Autre contrainte, AccèsLogis prescrit la dimension minimale des logements et de leurs pièces. La superficie totale d’un logement d’une chambre à coucher doit être d’au moins 60 m2, et la chambre doit mesurer minimalement 11 m2. Dans un logement familial, pas question de dessiner des chambres de moins de 9 m2 , qui sont pourtant courantes dans les copropriétés. Fondées sur de bonnes intentions, ces exigences freinent cependant l’innovation en matière de matériaux, d’assemblages et de modes de construction, croit l’architecte Benoit Veilleux, associé chez C2V Architecture. « Nous sommes à des années- lumière de ce qui se fait en Europe, où le logement social sert de levier pour voir l’habitation autrement.»

Pour respecter les budgets et se dégager un peu de marge de manœuvre, Dino Barbarese, associé chez Saia Barbarese Topouzanov architectes, mise sur trois stratégies de base : s’en tenir aux superficies de logement minimales, disposer les logements le long de corridors centraux et concevoir les charpentes les plus simples possible.

La créativité peut alors s’exprimer dans un bout de corridor vitré, l’agencement de couleurs des carreaux d’un plancher de vinyle ou une combinaison de matériaux et de couleurs en façade.

À Verdun, ce sont les caractéristiques du site qui ont forcé la créativité de Dino Barbarese et de ses collègues dans la conception des Habitations communautaires Entre-deux-âges, situées sur le boulevard Gaétan-Laberge. Pour permettre au sol contaminé de libérer lentement ses biogaz, une grande partie de l’immeuble repose sur des pilotis qui émergent de terre et dynamisent la façade.

« Une fois un projet terminé, les gens qui le regardent ne s’imaginent pas que c’est du logement social. »

– Antonin Labossière.

Chez Rayside Labossière, certaines solutions sont choisies d’emblée afin de réduire les coûts sans sacrifier la durabilité : des planchers de vinyle plutôt que de bois, des plinthes électriques plutôt qu’un système de chauffage central, plus de revêtements légers et moins de maçonnerie.

Un système de climatisation ou une terrasse sur le toit ne figurent jamais au budget de construction initial. Cependant, les concepteurs prévoient parfois le passage de conduits en vue de l’ajout éventuel d’un climatiseur mural ou la disposition des équipements sur le toit de manière à laisser de l’espace à une future terrasse.

« Une fois un projet terminé, les gens qui le regardent ne s’imaginent pas que c’est du logement social, dit Antonin Labossière. Et comme nous sommes obligés d’atteindre la norme Novoclimat, la qualité de ces logements sociaux est meilleure que dans la plupart des projets de condos.»

La copropriété abordable

Qu’en est-il de l’abordabilité de certains logements en copropriété destinés à une clientèle de premiers acheteurs, de ménages à revenus modestes ou de familles?

Dans un marché en ébullition comme celui de Montréal, le petit logement bien conçu est un excellent moyen de faciliter l’accès à la propriété, croit la coprésidente de Prével, Laurence Vincent. Un couple de premiers acheteurs sera heureux dans un logement de 46 m2 qu’il pourra revendre à profit pour s’en offrir un plus grand, illustre-t-elle.

« Nous avons réussi à placer trois chambres, une salle de bain et une salle d’eau dans aussi peu que 68 m2. »

– Laurence Vincent

Prével offre des logements de trois chambres à coucher de dimensions largement inférieures à celles prescrites par AccèsLogis. « Nous avons réussi à placer trois chambres, une salle de bain et une salle d’eau dans aussi peu que 68 m2, raconte Laurence Vincent. La mère monoparentale de deux enfants qui a acheté ce condo m’a remerciée. Elle ne s’attendait pas à pouvoir trouver un logement au centre-ville.»

Les architectes de chez Rayside Labossière ont quant à eux répondu de manière originale à la question de l’aménagement de logements de trois chambres dans un projet de la Société de développement Angus actuellement en construction dans l’arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie, à Montréal.

Le projet, nommé Bloc 2, comprend presque uniquement des logements familiaux donnant à la fois sur une façade et sur la cour intérieure. Chaque logement comporte un étage traversant et un autre occupant la moitié de la profondeur. L’immeuble compte six étages, desservis par seulement deux corridors !

« Ç’a été d’une grande complexité à concevoir, mais le résultat est extraordinaire, dit Antonin Labossière. Nous sommes arrivés à répondre aux contraintes liées aux besoins de fenêtres [puisque chaque chambre doit en comporter] tout en économisant.»

L’écrivain Jonathan Swift avait donc raison: la nécessité est bien mère de l’invention.

Bloc 2, arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie, Montréal, Rayside Labossière. Image : Rayside Labossière

Le MDB, une bouée pour le logement social

Une avenue prometteuse pour réduire les coûts de conception et de réalisation des nouveaux logements sociaux est celle du virage numérique qu’apportera la modélisation des données du bâtiment (MDB, en anglais BIM, pour building information modeling).

Selon des données du Boston Consulting Group, le déploiement à grande échelle de la MDB dans l’industrie du bâtiment d’ici 2025 permettra d’économiser de 13 à 21 % dans les phases de conception, d’ingénierie et de construction.

« La Société d’habitation du Québec s’y intéresse beaucoup, dit Érik Poirier, vice-président du Groupe BIM du Québec. Grâce aux économies générées par le BIM, elle pourra financer plus de projets. »

« Avec AccèsLogis, les budgets pour le démarrage de projets sont inexistants, rappelle-t-il. Les outils numériques permettront de développer rapidement un concept qui répond aux exigences. » Les bureaux d’architectes auraient donc à investir moins de ressources dans la phase qui précède les approbations, pour laquelle ils ne sont rémunérés que si le projet va de l’avant.

Des outils de modélisation comme Dynamo et Grasshopper pourraient grandement faciliter la tâche des architectes dans leurs efforts pour respecter les règles de superficie imposées par AccèsLogis, croit Érik Poirier. « La conception assistée par ordinateur et les outils de design génératif vont permettre de trouver de nouvelles solutions à des contraintes et de les multiplier à l’échelle d’un projet. »

Un projet pilote de déploiement de la MBD est en cours dans l’arrondissement montréalais de Lachine avec la firme Ædifica, qui y prépare la conversion de la Maison mère des Sœurs de Sainte-Anne en logements sociaux. La modélisation des données devrait faciliter l’exécution des travaux de même que la prise de décisions en matière d’entretien du bâtiment.