Maison HurricaneStrong
Maison HurricaneStrong, dans le quartier Breezy Point dans le Queens, à New York, +LAB Architect
Photo : +LAB Architect
Cette maison de démonstration destinée à orienter les politiques de logement aux États-Unis est conçue en fonction de tous les types de risques répertoriés dans son secteur. Entre autres, les murs faits de béton isolé et les portes et fenêtres à l’épreuve des ouragans la rendent très résistante aux grands vents et aux projections de débris. Son isolation de calibre Passivhaus assure une excellente performance énergétique, alors qu’une génératrice au gaz naturel peut prendre le relais en cas de panne de courant. Surélevée en fonction d’une crue de 500 ans, elle dispose également d’une protection incendie de quatre heures et comprend des gicleurs.

Comme un pissenlit qui tient bon entre deux dalles de béton, l’architecture résiliente résiste aux inondations, tremblements de terre et autres catastrophes naturelles. Aperçu de cette forme de conception qui tend à s’imposer dans le contexte des changements climatiques.

Le mot « résilience », qui désigne la capacité de rebondir après une épreuve, s’utilise principalement en psychologie. Que veut-il dire dans le domaine de l’architecture ?

« La conception résiliente intègre une série de mesures qui permettent à un bâtiment d’être en fonction avant, pendant et après un choc ou des perturbations », résume l’architecte Illya Azaroff, directeur de la conception chez +LAB Architect, à Brooklyn, représentant de New York au Conseil stratégique national de l’American Institute of Architects (AIA) et cofondateur du Design for Risk and Reconstruction Committee de l’AIA.

Par exemple, lors d’une panne d’électricité, comment s’assurer que des fonctions comme le chauffage, le refroidissement, l’éclairage et la cuisson ne seront pas interrompues ? La réponse peut inclure des mesures passives telles que la lumière naturelle, la ventilation et une excellente isolation ainsi que la production d’électricité à même le site : panneaux solaires, éoliennes, batteries de secours ou générateurs.

Bien qu’on associe cette architecture aux zones à risques, Illya Azaroff estime que, compte tenu des changements climatiques à l’échelle mondiale, la conception résiliente n’est plus un luxe. « C’est désormais un incontournable », dit-il. Il s’agit après tout de la sécurité des occupants.

Durable ou résiliente ?

Les notions d’architecture durable et résiliente vont souvent de pair, mais elles ne sont pas interchangeables. La première a pour but de réduire l’empreinte écologique d’un bâtiment et la seconde, de résister aux éléments.

Gonzalo Lizarralde, professeur à l’École d’architecture de l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire Fayolle-Magil Construction, constate que les deux termes se contredisent même parfois. « La durabilité nous pousse à utiliser moins de ressources, à minimiser notre consommation. La résilience, en revanche, essaie d’élaborer des systèmes plus robustes, plus complexes pour faire face aux aléas naturels. »

Valoriser les acquis

Pour réussir un projet résilient, plusieurs mesures doivent être prises. « Reconnaître les forces locales est un bon point de départ », estime Gonzalo Lizarralde, en faisant référence à la capacité d’action de la communauté, aux matériaux et aux savoir-faire locaux. « Avant d’intervenir, il faut établir les stratégies d’adaptation déjà en place, puis voir comment il est possible de les améliorer et de les renforcer. »

Illya Azaroff l’a bien compris. « Je fais partie d’une équipe qui travaille avec les Kalinagos de l’île de la Dominique. En étudiant l’architecture traditionnelle, la menuiserie et l’emplacement des bâtiments [sur leur territoire], nous avons beaucoup appris. La maison longue traditionnelle était par exemple orientée perpendiculairement aux vents côtiers dominants, les principaux éléments structurels se trouvant à l’avant du site. La forme de ces bâtiments les protégeait du vent et fournissait des stratégies pour gérer les précipitations extrêmes. Les nouveaux projets que nous construisons s’en inspirent. »

Projet de refuge tempête Kalinago
Projet de refuge en cas de tempête pour le territoire autochtone Kalinago, en Dominique, +LAB Illustration : +LAB. Le bâtiment répondant à la norme ICC500 s’inspire de techniques qui correspondent à l’histoire et à la culture locales.

Que risque-t-on ?

En plus d’une équipe multidisciplinaire forte, une analyse des risques s’avère essentielle. Le site choisi rend-il le bâtiment vulnérable aux vents violents, à la chaleur, au reflux des eaux ou aux ouragans ? La réponse indique à quoi la construction devra résister. « La typologie des sols, le climat, les infrastructures… on doit évaluer tous les éléments en coordonnant les actions au sein de l’équipe pour trouver des solutions », explique l’ingénieur Duncan Phillips, expert-conseil principal et associé chez RWDI, à Guelph, en Ontario.

Pour Deane Evans, architecte et directeur du Center for Building Knowledge du New Jersey Institute of Technology, il est important de voir au-delà du bâtiment. Par exemple, une maison aura beau résister aux inondations, ses occupants en subiront quand même les conséquences si les infrastructures lâchent. « On doit prendre en compte tout le quartier pour répondre efficacement aux inondations futures. »

« L’architecture résiliente intègre l’échec à la base de sa conception  Elle suppose qu’un ou plusieurs composants vont éventuellement flancher. »

– Alexander Hay

Malgré toutes les précautions du monde, le bâtiment infaillible n’existe pas. « L’architecture résiliente intègre l’échec à la base de sa conception », affirme Alexander Hay, ingénieur chez Southern Harbour et professeur auxiliaire au Centre de résilience des infrastructures essentielles à l’Université de Toronto. « Elle suppose qu’un ou plusieurs composants vont éventuellement flancher. Il faut se concentrer non pas sur la probabilité d’un danger particulier, mais sur les effets que ce danger peut avoir sur les fonctions, l’infrastructure et les systèmes dont dépend le bâtiment. »

Ainsi, il se peut qu’on doive construire sur une plaine inondable, illustre Alexander Hay, même si cela veut dire qu’on s’expose à un risque. « Dans un tel cas, pourquoi installer les compteurs électriques, les archives et les génératrices de secours au sous-sol plutôt qu’aux étages supérieurs, où ils resteront au sec ? »

Des leçons du passé

Les réponses aux évènements futurs peuvent exiger un regard dans le rétroviseur. C’est pourquoi chez nos voisins du Sud, l’AIA et la FEMA (l’Agence fédérale des situations d’urgence) déploient des équipes sur le terrain après les catas­trophes. Ces équipes examinent les techniques de construction afin de déterminer ce qui a été efficace et ce qui ne l’a pas été. Leurs recommandations servent ensuite à réviser le Code du bâtiment.

« Il y a beaucoup à apprendre des évènements passés, assure Illya Azaroff, qui fait partie de l’équipe de l’AIA. Aux États-Unis comme ailleurs dans le monde, de nombreuses villes comportent des secteurs très pauvres. Ceux-ci se révèlent souvent plus vulnérables aux inondations parce qu’ils ne sont pas érigés sur les meilleurs sols. »

Deane Evans renchérit : « On ne peut pas seulement montrer du doigt les bâtiments pour les dommages causés par l’ouragan Harvey en 2017. Les terrains sur lesquels ils étaient construits et les infrastructures qui les entouraient ont aussi leur part du blâme. On doit en tirer des leçons. »

À l’épreuve du temps

Quelle devrait être la durée de vie d’une construction résiliente ? La réponse varie d’un intervenant à l’autre. La plupart s’entendent sur un chiffre allant de 50 à 100 ans. Le plus prudent du lot, Deane Evans, souligne que certains composants de l’enveloppe (les fenêtres et la toiture par exemple) doivent être remplacés après quelques années. « Les changements climatiques pourraient modifier la donne. C’est difficile de prévoir l’avenir. »

À l’autre bout du spectre, Illya Azaroff est convaincu qu’une construction résiliente doit avoir une durée de vie d’au moins 100 ans. « Certains pays européens, comme l’Allemagne, le Danemark et les Pays-Bas, ont un horizon de 400-500 ans. »

On ne peut prédire l’avenir d’un bâtiment avec précision. N’empêche, avec la multiplication des ouragans, des sécheresses, des inondations et autres conséquences des changements climatiques, il faudra s’habituer à appliquer l’adage « mieux vaut prévenir que guérir ».