Pour mesurer la performance d’une enveloppe de bâtiment, rien ne vaut une évaluation alors que celui-ci est habité. C’est la mission que s’est donnée l’architecte Richard Trempe avec Auvergne laboratoire vivant.
Suivant l’adhésion de l’OAQ au Défi 2030, Esquisses présente dans chacun de ses numéros une démarche qui fait écho aux objectifs de ce mouvement international visant à éliminer les émissions de gaz à effet de serre dans les nouvelles constructions et les rénovations de bâtiments.
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À l’automne 2018, Richard Trempe acquiert 11 lots couvrant au total un peu plus de 30 hectares (75 acres) en bordure de la rivière Sainte-Anne, à Sainte- Christine-d’Auvergne, près de Québec. Sur ce site enchanteur comprenant deux tourbières, un étang et cinq marécages arborescents, il compte mener une expérience originale.
Il faut savoir que l’architecte est un passionné des techniques de l’enveloppe du bâtiment. Il les enseigne à l’Université de Sherbrooke en plus d’offrir de la formation continue aux membres de l’OAQ, aux employés de plusieurs cabinets d’architectes et auprès d’associations d’entrepreneurs.
Son projet: bâtir 11 pavillons qui serviront de laboratoire grandeur nature en vue d’explorer des stratégies novatrices de conception et de construction. Ces approches favoriseront l’efficacité énergétique, la durabilité, le bien-être des résidents et l’écoresponsabilité. Les pavillons seront habités et feront l’objet d’un suivi constant afin d’en mesurer les performances quant à l’étanchéité, à l’humidité et à la dépense énergétique, entre autres.
Expérimentations
« Je veux comprendre pourquoi, en dépit des avancées dans la science du bâtiment et des matériaux, les enveloppes continuent d’afficher d’aussi mauvaises performances », explique Richard Trempe. Les projets de bâtiments écoperformants, plus nombreux depuis une quinzaine d’années, se limitent généralement aux étapes de la conception et de la construction. Peu de recherches sont entreprises pour évaluer le succès des stratégies choisies.
Quant aux études sur l’enveloppe menées par Transition énergétique Québec, l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ) ou les chercheurs universitaires, elles sont rarement réalisées dans le domaine résidentiel et tirent rarement leurs résultats de l’étude d’ouvrages réels.
Le grand intérêt de ce projet réside donc dans son approche d’expérimentation. Ainsi, les pavillons seront construits successivement afin que l’analyse des données recueillies alimente les procédés de conception et de construction au fur et à mesure.
L’étanchéité repensée
À ce jour, un premier pavillon a été achevé, et deux autres devraient suivre en 2021. Richard Trempe habite lui-même la première résidence à temps partiel. Il l’utilise aussi pour offrir des ateliers de formation et tenir des rencontres avec des professionnels. La conception se fonde sur des recherches de l’architecte sur des enveloppes « hyperperformantes » et des modélisations par simulation informatique.
« J’ai utilisé l’approche du mur isolé par l’extérieur, peu courante dans le résidentiel au Québec, explique-t-il. Elle consiste à garder au chaud l’ensemble de la charpente et à isoler totalement le bâtiment par l’extérieur.»
Normalement, dans un bâtiment résidentiel, les différents plans d’étanchéité (contre la vapeur d’eau, l’eau liquide, l’air, etc.) sont assurés par l’installation de plusieurs membranes, comme le revêtement extérieur, le pare-vapeur et le pare-air, généralement posés entre l’isolant et le parement de finition, donc à l’intérieur du mur. La multiplication des couches augmente cependant les risques d’emprisonner l’humidité entre elles. Le mur isolé par l’extérieur, quant à lui, ne comporte ni membrane ni isolant du côté intérieur. Il est ainsi possible d’assécher les matériaux putrescibles à l’intérieur en cas de dégât d’eau, par exemple, puisque la charpente de bois reste accessible.
Le toit « sandwich » constitue une autre particularité de ce premier pavillon. Il se compose d’une épaisse couche d’isolation de la toiture et de grands avant-toits faisant office de parapluies. Ces avant-toits ont bénéficié des conseils de Maxime Simard, fondateur de l’entrepreneur général CARSIM, précise Richard Trempe. « [La première résidence] a de très larges bordures de toit, et je voulais isoler et étanchéifier cette section de façon continue sur sa périphérie pour limiter au maximum le transfert de chaleur par cette jonction, raconte-t-il. Ma conception était très complexe. Plutôt que d’envelopper toute la rive de toit, l’entrepreneur a opté pour des ponts d’appui avec des isolants rigides de haute densité. Ce choix répondait à mon désir de diminuer les pertes de chaleur et à celui de limiter les coûts.»
L’architecte tenait d’ailleurs à faire appel à un entrepreneur travaillant dans le secteur résidentiel, plutôt que de retenir les services d’un spécialiste de la construction écologique. Cette approche favorise selon lui l’échange d’idées, sur la base des ambitions écoresponsables de l’un et des contraintes de budget, de chantier et d’échéancier de l’autre.
UL science du bâtiment, SOPREMA et la firme de recherche rd2 ont aussi participé à la partie technique de cette première phase du projet. La portion recherche a quant à elle bénéficié du financement et de l’accompagnement de la Société d’habitation du Québec.
Transférer les connaissances
Les enregistreurs de données installés dans le pavillon prennent la forme de petites plaques murales. Ils captent en continu des renseignements sur la température, l’humidité, l’air ambiant et l’étanchéité, entre autres. L’architecte compilera et analysera les données ainsi obtenues. Il les confrontera ensuite à des modélisations des murs et du toit effectuées en amont du projet dans le logiciel allemand WUFI Pro 6.3. Les premiers résultats d’analyse sont prévus en mai et juin 2020.
« L’expérimentation aidera à imaginer de nouvelles approches dans le bâtiment écoperformant, mieux adaptées à notre climat et à nos façons de construire. »
– Richard Trempe
Richard Trempe compte aussi tirer profit du fait que les pavillons seront habités. Il mesurera l’utilisation de certains appareils (chauffage, foyer, laveuse à linge, etc.) par les résidents ainsi que leur impact sur les conditions intérieures de l’habitation.
Dans un contexte où l’on tente de réduire la consommation d’énergie et de matériaux afin de lutter contre les changements climatiques, les architectes et entrepreneurs sont appelés à construire des résidences performantes, durables et viables économiquement. « L’expérimentation aidera à imaginer de nouvelles approches dans le bâtiment écoperformant, mieux adaptées à notre climat et à nos façons de construire, soutient Richard Trempe. Les méthodes actuellement utilisées sont souvent assez artisanales et peu applicables à grande échelle dans le résidentiel, dans des conditions de chantier et avec des contraintes de soumissions normales. »
Pour cette raison, la diffusion des résultats sera cruciale. Encore embryonnaire, le transfert des connaissances prendra la forme de cours, d’ateliers, de visites et séjours et de conférences, en plus de la publication d’articles, de notes de recherche et de guides techniques, prévoit l’architecte.
Toujours soucieux de faire progresser les connaissances en architecture, Richard Trempe espère que les commentaires de ceux et celles à qui il fera part des résultats de son projet viendront l’enrichir. Auvergne laboratoire vivant pourrait donc devenir un lieu d’expériences et de réflexion privilégié au Québec afin de comprendre, de créer et d’évaluer de nouvelles enveloppes.