La firme Épigraphe, lauréate 2024 du prix Relève en architecture de l’OAQ, souhaite concevoir des projets durables qui permettent aux communautés de réaliser leur plein potentiel. Elle commence à se démarquer du côté de la commande publique.
En 2022, la direction du Centre enfance et famille Step By Step, situé dans la communauté mohawk de Kahnawake, avait un ambitieux projet de rénovation de son bâtiment. Elle a décidé de miser sur la jeune firme Épigraphe, dirigée par les architectes Nathan Bonneville et Pierre-Charles Gauthier.
« J’ai été agréablement surprise des efforts qu’ils ont déployés pour comprendre les réalités réglementaires et culturelles de notre communauté afin de bien saisir comment nous souhaitons utiliser ce bâtiment », confie Natalie Beauvais, directrice générale du centre. Elle explique que cet établissement, qui loge une garderie, ne se définit pas seulement comme un centre de la petite enfance, mais aussi comme un lieu d’accueil pour les familles, dans une perspective résolument communautaire.
Natalie Beauvais apprécie en particulier le travail que les architectes ont effectué pour créer un espace très ensoleillé dans l’une des salles, ce qui correspond bien aux souhaits de la communauté quant à l’usage du bâtiment. « Nous appelons désormais cette pièce “notre soleil radieux”, raconte Natalie Beauvais. Nous nous y asseyons souvent en cercle, nous y célébrons l’Action de grâce, nous y exposons des œuvres artistiques, etc. Le bâtiment n’a pas une froideur institutionnelle; il est très naturel et très ouvert sur l’extérieur. »
« Plusieurs constructions sur [le] territoire [de la communauté] ont un espace central, souvent très vaste, qui communique avec l’extérieur, mais le bâtiment ne permettait pas du tout cela au départ, explique Pierre-Charles Gauthier. Nous avons proposé d’évider entièrement le centre et de créer un gros lanterneau qui offre une vue sur l’extérieur et laisse pénétrer la lumière. » Les architectes ont utilisé du bois et des couleurs chaudes.
Une histoire d’amitié
Ce projet incarne bien la vision de l’architecture que partagent Nathan Bonneville et Pierre-Charles Gauthier, qui ont fondé Épigraphe en 2019. « Nous ne voyons pas seulement l’architecture comme un exercice esthétique, mais comme un moyen d’outiller les communautés pour les aider à déployer leur potentiel », affirme Pierre-Charles Gauthier.
L’histoire d’Épigraphe est d’abord et avant tout celle d’une longue amitié. Ses deux fondateurs se sont rencontrés pendant leurs études en technique d’architecture au Cégep Saint-Laurent, effectuées de 2004 à 2007. Ils se sont ensuite côtoyés chez Atelier MZ, où ils ont été marqués par Anna Mainella, qu’ils considèrent comme leur « mère en architecture ». C’est elle, en grande partie, qui leur a enseigné les qualités de savoir-être.
Nathan Bonneville a aussi travaillé chez Yelle Maillé et associés architectes (YMa) de 2015 à 2019. « Cette firme réalise beaucoup de projets institutionnels en santé et en éducation, ce qui se rapproche beaucoup de ce que nous souhaitons faire, donc mon passage là-bas a été très formateur », confie-t-il.
De son côté, Pierre-Charles Gauthier note son emploi chez Atelier In Situ de 2013 à 2015, un cabinet qui participe à de nombreux concours et où il a découvert « l’architecture avec un grand A ».
En fondant leur bureau, les deux professionnels ont décidé de rédiger un manifeste plutôt qu’un énoncé de mission. On peut y lire neuf épigraphes1 : s’allier à la nature; humaniser les structures; développer l’appartenance; projeter loin demain; solidariser les voix; bénéficier au plus grand nombre; douter, d’abord de soi-même; anticiper le meilleur et croire en nos capacités. « C’est une forme de propagande positive, commente Pierre-Charles Gauthier. Cela nous permet de revendiquer notre vision de l’architecture, et de garder le cap vers un objectif ambitieux afin de toujours tenter de faire mieux. »
Miser sur la commande publique

Ces orientations expliquent le choix audacieux des deux architectes : se consacrer principalement à la commande publique. « On doit gagner les appels d’offres, et ce n’est pas facile pour une jeune firme, admet Pierre Charles-Gauthier. Mais c’est la voie à privilégier pour matérialiser des projets qui ont un impact positif sur les communautés. »
Nathan Bonneville soulève qu’ils ont grandement appris en collaborant, avec Provencher_Roy, à un projet de conception de quatre écoles secondaires en banlieue de Montréal. Pour répondre aux besoins urgents d’une population en explosion démographique, ce projet a été réalisé en mode accéléré. À peine 36 mois après le début de la conception, les quatre établissements étaient tous en fonction.
« Cette occasion s’est présentée environ un an après la création du cabinet, raconte Nathan Bonneville. Nous avons collaboré à l’ensemble des phases du projet, de l’appel de propositions jusqu’à la livraison. Nous avons construit une bonne part de notre équipe actuelle autour de ces projets-là. »
Cette expérience est actuellement mise à profit dans la conception d’une école primaire à Belœil, tout près de leur bureau, toujours avec Provencher_Roy. Épigraphe travaille aussi à une rénovation majeure de l’école Maple Grove à Lachine, après avoir participé, en 2023, à l’agrandissement et à la réhabilitation de l’établissement primaire La Mosaïque, dans l’arrondissement de Côte-Saint-Luc, en collaboration avec Yves Woodrough architectes (YWA).
L’architecte Claude Bourbeau, associé principal et président de Provencher_Roy, a eu l’occasion de côtoyer Nathan Bonneville une première fois lorsque celui-ci était au service de YMa. Les deux firmes et YWA collaboraient au nouveau pavillon de soins en santé mentale de l’hôpital régional de Saint-Jérôme. « J’avais noté sa grande sensibilité à la qualité, qui est très importante pour notre bureau, et sa volonté de bien faire », raconte-t-il.
Provencher_Roy a donc aisément accepté de collaborer avec Épigraphe dès ses débuts. Et Claude Bourbeau n’a pas hésité à soutenir la candidature d’Épigraphe pour le prix Relève de l’OAQ. « Épigraphe défend la qualité de l’architecture dans la commande publique, en dépit des pressions pour concevoir et construire toujours plus vite et à moindre coût, explique-t-il. Quand on voit cette étincelle chez une jeune firme, on a le devoir de favoriser son expression. »
1. Une épigraphe est une inscription gravée sur un édifice, pour en indiquer par exemple la date de construction, ou encore une citation placée au début d’un livre ou d’un chapitre pour en résumer l’esprit.