Grand prix d'excellence et mention Innovation
Flexibilité, durabilité et singularité : avec ses nouveaux paddocks, le circuit Gilles-Villeneuve peut désormais se targuer de posséder des installations exceptionnelles. Une réalisation de haute qualité qui reçoit cette année le grand prix des Prix d’excellence en architecture de l’OAQ.
Pour remplacer les structures désuètes qui accueillaient depuis 1988 les mordus de vitesse, la Société du parc Jean-Drapeau (SPJD) voulait construire un bâtiment plus grand, plus écoresponsable, plus flexible. « Il devait également être accessible aux personnes à mobilité réduite et pouvoir intégrer les nouveaux équipements techniques dans chaque garage, en plus de répondre aux exigences du championnat de la F1 », explique le chef des projets majeurs de la SPJD, Bertrand Houriez. L’espace devait en outre pouvoir héberger divers évènements tout au long de l’année et respecter l’esprit du parc Jean-Drapeau.
Un programme assez simple, mais dont les nombreuses contraintes ont forcé l’équipe de concepteurs à user d’ingéniosité.
Course contre la montre
Premier défi : le processus devait être mené… sur les chapeaux de roue ! « L’échéancier était très serré, dit Bertrand Houriez. En un peu plus d’un an, les plans et devis ainsi que l’appel d’offres étaient bouclés. L’ensemble du projet, incluant la démolition des installations existantes, a dû être complété entre deux [présentations de] Grand Prix de F1, de juillet 2018 à mai 2019. »
Les concepteurs disposaient donc d’une marge de manœuvre limitée en cas de problème ou de conditions de chantier défavorables. Les décisions devaient se prendre sans tarder. La construction a également dû se poursuivre durant l’hiver.
Afin de composer avec ces paramètres, Les architectes FABG ont misé en grande partie sur le préfabriqué. Les structures en acier et en bois, les panneaux de béton et le mur rideau ont tous été fabriqués en usine avant d’être assemblés sur place. « Nous avons aussi réparti les risques en confiant ces tâches à différents sous-traitants », souligne l’architecte associé Éric Gauthier. Deuxième défi : le parc Jean-Drapeau maintenait ses activités durant les travaux, ce qui a également complexifié les opérations. Le bassin olympique et la plage Jean-Doré sont demeurés ouverts, et les cyclistes pouvaient rouler sur le circuit. Pour limiter les irritants, l’équipe a notamment opté pour un bâtiment sur pieux, évitant ainsi des excavations trop profondes qui auraient nécessité d’abaisser le niveau d’eau du bassin d’aviron et de la plage. Elle a aussi rabattu la poussière avec des jets d’eau et géré la circulation aux entrées et aux sorties du parc.
Une « image forte »
Selon Éric Gauthier, il faut rendre hommage au client, qui a pris un engagement clair envers la qualité du produit fini. « La SPJD désirait créer une image forte avec l’Espace Paddock, dit-il. Le client était conscient que c’était un peu l’image de Montréal qui allait être présentée à plusieurs millions de personnes à l’écran. Il nous a poussés à aller plus loin, à réaliser un projet exemplaire. »
La signature du bâtiment évoque son identité québécoise. L’audacieuse toiture en bois, qui s’est d’ailleurs imposée dès les premières étapes du projet, se compose de matériaux locaux et séquestre plus de 1000 tonnes de CO2. « Je voulais qu’on s’inscrive dans la continuité de l’Expo 67, que ce projet poursuive l’esprit d’innovation de l’époque », souligne Éric Gauthier. Le symbole en Y de Terre des Hommes est par exemple repris en partie dans la structure, et la trame du plafond rappelle la Biosphère.
« Il y avait aussi une fierté chez chacun des collaborateurs qui les a menés à livrer un projet d’exception », estime l’architecte.
Cette volonté se reflète dans le bâtiment, s’il faut en croire François Dumontier, président-directeur général du Groupe de course Octane, le promoteur du Grand Prix du Canada. « J’aime particulièrement la conception québécoise du bâtiment. On a mis de l’avant les produits d’ici, et c’est magnifique », dit-il. Pour lui qui a visité plusieurs circuits de course automobile à travers le monde, les nouveaux paddocks du parc Jean-Drapeau n’ont rien à envier aux autres.
Bien de son temps
Les habitués des Grands Prix internationaux pourraient être surpris par leur première visite des lieux. Contrairement aux espaces analogues sur d’autres circuits de F1, les lounges de l’Espace Paddock, qui peuvent abriter 5000 spectateurs, ne comptent ni murs extérieurs ni climatisation. Les architectes ont plutôt aménagé de vastes espaces ouverts, nettement moins énergivores. Les panneaux solaires du bâtiment produisent d’ailleurs assez d’électricité pour compenser la dépense énergétique du bâtiment pendant la tenue du Grand Prix.
L’architecture minimaliste du projet répond également à un autre besoin. Elle offre une polyvalence qui faisait défaut aux installations précédentes. « La grande salle comporte des cloisons démontables. Elle peut accueillir les médias dans le contexte de la F1, tout en libérant les lieux pour des évènements d’entreprises, des congrès ou des fêtes privées pendant le reste de l’année. » Les garages, la tour de contrôle, les salles de presse ainsi que les loges sont rassemblés sous un même toit. À l’instar des bâtiments d’Expo 67, l’Espace Paddock est une source d’inspiration architecturale. Comme le résume Bertrand Houriez, « au circuit Gilles-Villeneuve, on a un édifice qui représente ce qui se fait de mieux à l’heure actuelle en matière de bâtiments ».
EMPLACEMENT : Montréal
CLIENT: Société du parc Jean-Drapeau
ARCHITECTES : Les architectes FABG
ENTREPRENEUR : Groupe GEYSER
INGÉNIERIE: Structure : CIMA+
Commentaires du jury
Le jury a été émerveillé par la virtuosité et l’élégance de ce projet. D’une part, avec son entrée spectaculaire, son rez-de-chaussée en transparence et sa toiture de bois élancée, le bâtiment dote le circuit montréalais d’une signature visuelle audacieuse, à la mesure de l’envergure internationale du Grand Prix du Canada. D’autre part, l’architecte a réussi à contrebalancer les dimensions critiquables de l’évènement par ses interventions limitant l’impact environnemental du projet. La géométrie de la structure rappelle par ailleurs le logo d’Expo 67, ce qui dénote une sensibilité à l’histoire de l’île Notre-Dame. En décernant ce grand prix d’excellence à l’Espace Paddock, le jury récompense un projet audacieux, admirablement conçu et mené de main de maître.
Mention Innovation
L’Espace Paddock est un double champion. En plus de recevoir le grand prix de l’OAQ, il remporte la mention Innovation pour son attention particulière aux matériaux et à l’aspect environnemental en dépit du fait qu’il soit associé à un univers tape-à-l’œil et polluant.
Le choix des matériaux ne s’est pas fait à la légère. Les concepteurs ont opté pour des composants carboneutres ou comportant à tout le moins une empreinte écologique limitée. « Un peu à la manière de blocs LEGO, les différents morceaux du bâtiment peuvent être assemblés et démontés, ce qui pourrait un jour leur donner une seconde vie », explique Bertrand Houriez.
Bien qu’il donne sur une piste goudronnée, l’immeuble de trois étages ne crée pas d’îlot de chaleur, notamment grâce à sa toiture végétalisée. Autre élément associé au développement durable : il est équipé de panneaux photovoltaïques, qui produisent de l’électricité à l’année.
La structure en bois du toit, avec ses colonnes inclinées, constitue en elle-même un chef-d’œuvre d’ingéniosité. « Construite en V, elle a été difficile à dessiner. La portée des poutres et les dimensions du platelage étaient très grandes. La structure nécessitait des connexions particulières qui n’étaient pas standard. Les architectes et les ingénieurs ont eu l’idée d’intégrer tous les contreventements à l’intérieur même du design, ce qui a permis de réduire leur nombre et d’avoir une structure qui apparaît plus aérienne et plus esthétique », ajoute le chef des projets majeurs à la Société du parc Jean-Drapeau. « Je ne dirais pas que ce sont des inventions, lance humblement l’architecte associé de FABG Éric Gauthier, mais appliquer de telles techniques à cette échelle-là, pour un bâtiment de cette nature, s’avère assez inhabituel. »
Commentaires du jury
Le jury applaudit la planification soignée et le recours à une quantité impressionnante de composants préfabriqués grâce auxquels ce projet d’envergure a pu être réalisé en aussi peu que 10 mois. Le nouvel espace, qui réunit le raffinement esthétique, la simplicité constructive et le respect de l’environnement, résout de façon novatrice les contraintes temporelles du mandat et propose une vision innovante de la construction, en plus de soulager les tiraillements éthiques que ce programme hors du commun peut susciter.
Photos : Steve Montpetit