La construction de logements sociaux et abordables au Québec est une entreprise collective qui vise à assurer une disponibilité de logements pour tous les types de clientèles. Mais les forces en présence sur le marché locatif et immobilier rendent ces logements de plus en plus rares. Survol de la situation.

Plusieurs intervenants, tant dans les milieux municipal et universitaire que dans le milieu communautaire, qualifient de pressants les besoins en logement abordable. L’un des principaux indicateurs des besoins en la matière est le taux d’inoccupation des logements. Or, l’an dernier, il était en baisse pour une troisième année consécutive au Canada. Dans la plupart des grandes villes du pays, il se situe sous le seuil d’équilibre reconnu de 3 % (voir tableaux 1 et 2), et les analystes prévoient qu’il s’y maintiendra au moins pendant deux années encore.

Cette rareté est attribuable, notamment, à une offre décroissante : nombre de logements locatifs sont convertis en copropriétés ou accaparés par les plateformes de location à court terme, telle Airbnb, en vogue dans certains secteurs centraux de Montréal – près de 60 % des offres de location Airbnb à Montréal proviennent des arrondissements du Plateau-Mont-Royal et de Ville-Marie. Au total, c’est 5 % de logements de la métropole qui ne sont plus disponibles pour les Montréalais à cause des locations de courte durée, selon les comités logement du Plateau-Mont-Royal et de Ville-Marie.

Certes, la construction à Montréal a connu une hausse de 2016 à 2018, mais seulement 8 % de ces mises en chantier concernaient des logements sociaux et abordables, soit la proportion la plus faible des 15 dernières années1, selon le bulletin statistique Perspective Grand Montréal.

Par ailleurs, la demande augmente : la population vieillissante transite vers le marché locatif, tandis que le nombre de jeunes familles à revenu modeste qui ont besoin de logements de plus d’une chambre est à la hausse. Toujours selon le bulletin Perspective Grand Montréal, en 2018, le taux d’inoccupation était d’à peine 0,8 % pour les logements de trois chambres et de 1,9 % pour les logements de deux chambres (comparativement à 2,1 % pour les logements d’une chambre et à 3,1 % pour les studios).

Coopérative Chung Hua II, Montréal, Rayside Labossière. Photo : Saul Rosales/Rayside Labossière

Au phénomène de la rareté s’ajoute celui de la faiblesse des revenus. Dans l’agglomération de Montréal, c’est plus du tiers des locataires, précisément 35,8 % en 20162, qui consacrent 30 % et plus de leur revenu brut au logement (ce qui correspond au seuil d’abordabilité du logement généralement reconnu).

Tous les ingrédients sont réunis pour générer une situation des plus précaires. « Les besoins sont criants pour la population à faible revenu, qui se fait évincer pour cause de conversion en copropriétés de logements privés dont le prix était sous ceux du marché », dit Hélène Bélanger, professeure au Département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM et membre du Collectif de recherche et d’action sur l’habitat (CRACH). « L’État fournit le logement social aux plus démunis, mais les gens à faible revenu sont à la remorque d’un marché privé qui pourrait mener à des évictions de masse si on le laisse aller », prévient-elle.

N’empêche, tout n’est pas sombre en matière de logement abordable. Le prix du loyer demeure relativement bas au Québec, lorsqu’on le compare à ce qui prévaut ailleurs au pays. Un logement de deux chambres à Montréal coûtait en moyenne 809 $ par mois en 2018, selon la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), tandis qu’il fallait débourser le double pour louer un appartement équivalent à Vancouver et environ 1450 $ à Toronto.

Les pistes de solution

Pour Mario Polèse, professeur émérite d’économie à l’Institut national de la recherche scientifique, le marché locatif québécois se porte bien. « Il est compétitif et a une histoire heureuse avec de nombreux petits propriétaires de duplex et de triplex qui contribuent à maintenir les loyers bas. Tout le contraire de ce qui se passe à Toronto, où le marché est contrôlé par une poignée de grands promoteurs », dit-il.

Selon lui, la Stratégie d’inclusion de logements abordables dans les nouveaux projets résidentiels de la Ville de Montréal, adoptée en 2005 par Gérald Tremblay et révisée en 2015 par l’administration de Denis Coderre, « sans être parfaite, a donné de bons résultats puisque les promoteurs y ont adhéré sans même y avoir été contraints », affirme-t-il.

Mais d’autres souhaiteraient des actions plus vigoureuses de la part des municipalités. « Les Villes peuvent modifier le zonage locatif ou rendre l’octroi de permis conditionnel à la sauvegarde des logements locatifs, ou bien mettre en réserve des bâtiments ou des terrains pour du logement social et abordable », propose Julia Posca, chercheuse à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques.

Le controversé 20/20/20

La Ville de Montréal propose un nouveau règlement visant tout projet résidentiel d’une superficie égale ou supérieure à 450 m2. Dès 2021, il obligerait les promoteurs à y inclure 20 % de logements sociaux, 20 % de logements abordables et 20 % de logements pour les familles.

Ce règlement surnommé « 20/20/20 » reçoit un accueil mitigé. Julia Posca estime qu’il manque de mordant et aurait aimé qu’il comporte une garantie contre la spéculation immobilière. « Il faut contrer le laisser-faire par davantage d’encadrement afin de freiner les tendances à la hausse des prix des loyers et protéger le droit au logement », dit-elle. L’ONU fait d’ailleurs de ce droit une partie du 11e de ses 17 objectifs de développement durable.

Hapopex – Projet industriel 1, Montréal, Rayside Labossière. Image : Rayside Labossière

Mario Polèse reconnaît que les intentions derrière le règlement sont bonnes, mais il craint que l’imposition de nouvelles contraintes ait pour effet de décourager les promoteurs, ce qui risque de nuire à l’offre de logements et, indirectement, de faire augmenter les prix. « Au final, ce qui arrivera sera le contraire de l’intention de départ », prévoit-il.

Selon Hélène Bélanger, ce règlement devrait faire partie d’une politique globale qui inclurait aussi d’autres outils pour la Ville, comme un droit de préemption à l’achat de terrains pour bâtir du logement social ou un droit d’exclusivité pour l’achat de terrains inutilisés en vue d’y construire des immeubles résidentiels.

Au moment de la publication, la Ville de Montréal annonçait qu’elle entendait se prévaloir de son droit de préemption sur environ 300 lots dans ses quartiers centraux3.

L’architecte Ron Rayside, fondateur de la firme Rayside Labossière, s’inquiète quant à lui de la possibilité pour les promoteurs de se soustraire à leur obligation en versant une somme dans un fonds de contribution. « Ce genre de procédé pourrait avoir des effets négatifs sur le développement de ces logements dans les quartiers centraux », estime-t-il.

Des obstacles

Les promoteurs québécois participent depuis longtemps à la construction de logements sociaux et abordables, même s’ils n’y sont pas contraints. Mais la tâche est ardue, comme l’explique Ron Rayside. « Il n’est pas rare de voir un projet de logement social s’étaler sur 10 ou 15 ans tellement il y a d’approbations à obtenir et d’acteurs autour de la table.» Les budgets restreints et la flambée actuelle des coûts de construction amplifient ces difficultés.

À cette complexité s’ajoute la rigidité des règles du programme AccèsLogis, selon Anne Cormier, professeure titulaire à l’École d’architecture de l’Université de Montréal et architecte à l’Atelier Big City. « Les paramètres imposés dans le logement social freinent la créativité et obligent à niveler vers le bas », constate-t- elle. L’architecte a néanmoins réussi à contourner ces écueils pour réaliser, entre autres, le logement social du Y des femmes, rue Crescent, à Montréal. « Une locataire m’a raconté qu’elle s’est fait demander combien elle avait payé son condo ! » lance-t-elle.

Les modifications prochaines aux règles du jeu et, surtout, leurs effets seront donc à suivre de près.

1. 2004-2006 : 31 %; 2007-2009 : 31 %; 2010-2013 : 30 %; 2013-2015 : 26 % (Perspective Grand Montréal, no 39, juin 2019).
2.
Perspective Grand Montréal, no 39, juin 2019.
3. Kathleen Lévesque, « Logement social : Montréal s’accorde la priorité d’achat de
terrains »,
La Presse, 17 février 2020.


Des avenues à considérer

La revitalisation du quartier Regent Park, à Toronto, offre un bon exemple de mixité sociale réussie grâce à la mise en œuvre d’une mixité fonctionnelle intégrant le logement abordable, selon Érick Rivard, architecte et designer urbain chez Groupe A/Annexe U et participant à la table des partenaires sur la Vision de l’habitation de la Ville de Québec.

« Ils ont commencé par l’aménagement des espaces collectifs comme les parcs, les aires de jeux pour les jeunes et les enfants, et par le développement de commerces et de services. Une bonne idée, parce que c’est dans ces espaces de rencontre que le ciment social “prend” », dit-il. Ensuite, les habitations ont été érigées autour de ces espaces.

Revitalisation du quartier de Regent Park, Toronto, NAK Design Strategies. Photo : NAK Design Strategies/ Daniels Corporation

Érick Rivard croit aussi qu’il faut privilégier une architecture flexible pour assurer l’accessibilité immédiate et future. « Il faut des logements qui se transforment pour accueillir différents types de clientèles, ou qui s’agrandissent facilement en abattant un mur. Bref, des logements qui s’adaptent aux [changements des] conditions de vie des locataires dans le temps. »

Pourquoi ne pas reprendre la formule des concours d’architecture pour le logement social ? C’est ce que propose Anne Cormier, professeure titulaire à l’école d’architecture de l’Université de Montréal et architecte à l’Atelier Big City. « Les concours généreraient des plans novateurs et des idées audacieuses – de quoi nourrir nos réflexions et les enrichir, pour le mieux-être de tous. »

Coop d’habitation Mile End, Montréal, Rayside Labossière. Photo : Saul Rosales/ Rayside Labossière

Aide au logement

En plus des programmes qui financent la construction de logements sociaux et abordables, la Société d’habitation du Québec offre des programmes d’aide financière destinés aux locataires à faible revenu.

Programme Allocation-logement

Destiné aux ménages qui consacrent une part élevée de leur revenu au loyer
Nombre de ménages bénéficiaires en 2017-2018 : 86 843

• Habitations à loyer modique

Permettent aux locataires de payer un loyer correspondant à 25 % de leur revenu, dans un logement administré par un office d’habitation, une coopérative ou un organisme sans but lucratif (OSBL) d’habitation
Nombre de ménages bénéficiaires en 2018 : 74 324

Programme de supplément de loyer

Permet aux locataires de payer un loyer correspondant à 25 % de leur revenu pour
un logement du marché privé
Nombre de ménages bénéficiaires en 2018 : 14 768

Source : L’habitation en bref 2019, Société d’habitation du Québec.