Réfection des façades de l’Institut de Botanique de l’ULg, Liège (Belgique), ULiège – Administrations des Ressources Immobilières, Anne-Françoise Marique et Michel Prégardien (chefs de projet), Lisette Bastin, Thibaut Brogneaux, Sébastien Laruelle, Luan Nguyen (collaborateurs) Photo : Samuel Defourny
Réfection des façades de l’Institut de Botanique de l’ULg, Liège (Belgique), ULiège – Administrations des Ressources Immobilières, Anne-Françoise Marique et Michel Prégardien (chefs de projet), Lisette Bastin, Thibaut Brogneaux, Sébastien Laruelle, Luan Nguyen (collaborateurs)
Photo : Samuel Defourny

L’Europe a quelques coups d’avance sur le Québec en matière d’architecture circulaire. Bien que le mouvement reste limité par un cadre réglementaire pensé pour l’architecture linéaire, des initiatives prometteuses pavent la voie.

En mars 2020, la Commission euro­péenne (CE) a publié un guide d’architecture circulaire, sous le titre Circular Economy – Principles for Building Design. La même année, elle a lancé son programme « nouveau Bauhaus européen », qui distribuera au total quelque 85 millions d’euros en 2021-2022 pour financer des projets favorisant l’émergence d’une archi­tecture plus durable, circulaire, esthétique, inclusive et abordable.

La volonté politique s’exprime aussi à l’échelle nationale ou régionale, en particulier au Danemark, en Belgique et en France, États qui offrent des subven­tions et de la forma­tion, notam­ment aux architectes et aux entreprises en construction.

Cependant, il faudra plus que de l’argent pour transformer le modèle, et de plus en plus d’organisations du milieu de la construction s’y emploient.

Des projets exemplaires

Au Danemark, la circularité commence à faire sa place jusque dans la conception de nouveaux bâtiments, sous l’impulsion de certaines firmes d’architecture. Par exemple, les logements sociaux Circle House, achevés en 2020 en banlieue d’Aarhus, ont été conçus par 3XN Archi­tects pour être un jour démontés. Il est prévu que 90 % de leurs composants structuraux pourront être réutilisés sans perdre de valeur. 

Une autre agence danoise, Lendager Group, s’est pour sa part fait remarquer pour son projet résidentiel près de Copenhague The Resource Rows, dont les façades intègrent des pans de mur provenant de trois bâtiments désaffectés de la région. Ces éléments ont été découpés, déplacés puis assemblés comme une sorte de courte­pointe, créant un revêtement au motif inédit. D’autres composants sont fabriqués à partir d’aluminium et de bois recyclés ou encore de verre et de cadres de fenêtres récupérés. 

Quant à la réaffectation des bâtiments, un aspect important de l’architecture circu­laire, elle fait l’objet d’un engouement certain en Europe depuis longtemps. « D’une part, parce qu’il reste très peu d’espace non bâti accessible et, d’autre part, parce qu’il y a beaucoup de patrimoine bâti à préserver », précise Georg Pendl, président du Conseil des architectes d’Europe (CAE), qui représente les intérêts de 562 000 architectes de 31 pays d’Europe. Il cite l’exemple de la Gare maritime, à Bruxelles, une ancienne gare de fret construite en 1907 et trans­formée en 2019-2020 en « ville couverte » renfermant des lieux de travail, des commerces et des restaurants.

Créer une structure

En France, les maîtres d’ouvrage doivent réaliser des diagnostics déchets qui indi­quent la nature, la quantité et l’empla­cement des matériaux générés par des travaux significatifs de démolition ou de réhabilitation, sans quoi ils s’exposent à des sanctions financières. « Cela n’assure pas la réutilisation de ces matériaux, mais c’est important de savoir ce qui est disponible », avance l’architecte Louis Destombes, coordinateur de projets chez Bellastock, une firme-conseil en réemploi des matériaux installée à Paris.

Bellastock participe notamment à la gigantesque rénovation de la tour Montpar­nasse, dans la capitale française. « Nous avons effectué les diagnostics pour identifier les matériaux admissibles au réemploi et établir une stratégie circu­laire », explique l’architecte. Les matériaux seront réutilisés à même le chantier. Ainsi, environ 70 % des 40 000 m2 de vitrage serviront dans une paroi interne et une grande partie du reste se verra changée en remblais.

« L’enjeu principal demeure de structurer la filière du réemploi, estime Louis Destombes. Il manque d’organi­sations à même de prendre en charge le dépôt et la transformation de matériaux de réemploi et qui seraient, entre autres, capables de garantir les performances [des matériaux] en vue d’obtenir des certifications. »

Il manque d’organi­sations à même de prendre en charge le dépôt et la transformation de matériaux de réemploi et qui seraient, entre autres, capables de garantir les performances [des matériaux] en vue d’obtenir des certifications. »

– Louis Destombes, Bellastock

C’est justement pour contribuer à cette structuration du secteur en Belgique que Rotor, un collectif bruxellois de recherche, conception et construction spécialisé en réutilisation des matériaux, a créé la plateforme Opalis. Celle-ci répertorie environ 1000 entreprises actives dans ce domaine, documente les matériaux disponibles et publie des guides et des exemples de projets.

Parmi ces projets, on trouve notam­ment les façades de l’Institut de Botanique de l’Université de Liège, qui ont dû être refaites en 2018 dans le contexte d’une rénovation énergétique. Leur béton d’ori­gine, trop altéré pour être restauré, a été recouvert de bois récupéré dont l’aspect rappelle les traces des anciens coffrages. Au total, 2740 m2 de bois provenant de sources externes au chantier ainsi que 400 m2 de bardage métallique de toiture et 120 m2 de dalles de béton issues de la déconstruction in situ ont été réutilisés. 

Du travail reste à faire

Ces réalisations signalent le début d’un mouvement, qui se heurte toutefois à des obstacles. « Malgré l’appui et les directives de la CE, le réemploi reste marginal en Belgique », note Michaël Ghyoot, architecte, chargé de projet et coopérateur chez Rotor. Selon ce collectif d’architecture circulaire, la quantité de matériaux de réemploi utilisés par l’industrie de la construction europé­enne ne dépassait pas encore 2 % en 2021.

L’encadrement, notamment, tarde à s’adapter. « Il existe des programmes incitatifs ou des guides, mais pas beaucoup de nouveaux règlements européens ou nationaux pour favoriser l’architecture circulaire ou la réutilisation des matériaux », déplore l’architecte autrichien Georg Pendl.

Les normes actuelles constituent plutôt un obstacle. Par exemple, les matériaux employés dans la construction d’un édifice doivent être certifiés. Or les processus de certification portent généralement sur les matériaux neufs et ne sont pas adaptés aux matériaux usagés et réemployés.

Malgré ces difficultés et des progrès qu’il juge un peu lents, le président du CAE croit que les valeurs de l’architecture durable et même circulaire sont de plus en plus ancrées dans la vision qu’ont les jeunes architectes européens de leur pro­fes­sion et de leur rôle social. 

« Les architectes peuvent sensibiliser et proposer des démarches très innovantes », affirme-t-il avec optimisme.

Circle House, Lisbjerg (Danemark), 3XN Architects Image :GXN
Circle House, Lisbjerg (Danemark), 3XN Architects Image : GXN