Curiosité, ouverture, sensibilité à la dimension humaine et faculté à relever des défis complexes grâce à des solutions simples et bien pensées : voilà comment on pourrait décrire Jérôme Lapierre, lauréat 2022 du prix Relève en architecture de l’OAQ.
Celui qui célèbre l’ordinaire
Le jeune professionnel a toujours été fasciné par les détails du quotidien, comme un rayon de soleil qui traverse l’espace ou des vues vers l’extérieur que l’architecture peut sublimer. « L’architecture façonne l’espace pour rendre meilleure la vie des gens, leur apporter du bonheur », dit-il. Cette approche lui permet de concevoir un projet non seulement pour ceux et celles qui l’habiteront, mais aussi pour les résidentes et les résidents de la rue, du quartier, de la ville. C’est ainsi que Jérôme Lapierre décrit sa pratique, lui qui souhaite créer un « halo positif » autour de ses réalisations.
Cette vision se profilait déjà alors qu’il était étudiant, raconte Jacques White, architecte et professeur titulaire à l’École d’architecture de l’Université Laval. « Jérôme a toujours été foncièrement modeste, démontrant beaucoup d’écoute et d’ouverture aux autres. Il s’est toujours demandé comment l’architecture pouvait rendre service aux gens. »
Le professeur cite un atelier dans lequel les étudiants et étudiantes devaient élaborer les plans de l’auditorium de Québec. Jérôme a décidé d’en faire unprojet de design urbain, assorti d’une place publique, une idée qui sortait des sentiers battus. « Ce n’est pas un créateur qui cherche à se faire remarquer, souligne Jacques White. Il veut créer des lieux qui ont du sens et dans lesquels les gens peuvent vivre et se réapproprier l’espace public. »
Passer du « je » au « nous »

Photo fournie par Jérôme Lapierre
Son parcours lui a d’ailleurs déjà valu le prestigieux prix de Rome en architecture – début de carrière en 2014. C’était la première fois que le Conseil des arts du Canada le remettait à un francophone depuis sa création, en 2004. Grâce à cette reconnaissance, Jérôme Lapierre a pu effectuer un stage chez Gehl Architects, réputée mondialement pour son approche du design urbain « à échelle humaine ». La firme danoise mise sur l’améliorationde la qualité de vie en se basant sur différents principes comme les espaces partagés ou la piétonnisation.
Jérôme Lapierre a ainsi pu goûter au mode de vie de Copenhague. « J’ai découvert une ville magnifiquement bien pensée, qui met les gens à l’avant-plan et qui offre de généreux espaces publics, témoigne-t-il. Les habitants s’approprient réellement ces lieux répartis partout dans la ville. »
« Il existe une expression danoise selon laquelle il faut transformer le “je” en “nous”, poursuit-il. Cela signifie que, collectivement, on est plus riches en partageant nos expériences, nos espaces. » Et l’architecture peut devenir un vecteur de cette richesse collective, d’après lui, comme le montre Copenhague, dont l’espace a été conçu pour favoriser ces points de rencontre. « C’est une vision de l’architecture qui m’a vraiment nourri et qui fait maintenant partie de mon bagage. »
Au Québec, Jérôme Lapierre a travaillé de 2009 à 2020 à l’Atelier Pierre Thibault. Ce dernier a été un mentor pour le jeune architecte; les deux professionnels partagent une vision de l’architecture très similaire, misant entre autres sur la création d’espaces généreux pour la communauté. « Jérôme a toujours eu cet intérêt particulier pour la création d’espaces communs à partager qui ont une valeur ajoutée sur la vie sociétale, note Pierre Thibault. C’est ce qui fait son grand potentiel. Ça a teinté son parcours, et nous continuons de collaborer sur ce genre de projets. » Un apport d’autant plus intéressant que ces espaces collectifs représentent encore aujourd’hui un maillon faible au Québec, d’après l’architecte.
Réinventer l’école de demain

Illustration : ABCP architecture
Grâce à Pierre Thibault, Jérôme Lapierre a été impliqué de près dans le Lab-École, un laboratoire de recherche et de création qui réunit des experts de différents domaines pour repenser l’école de demain. L’architecte y a été responsable du chantier environnement physique, c’est-à-dire de l’équipe chargée de se pencher sur la dimension physique des lieux.
« C’était toute une opportunité de travailler sur un projet de société comme celui-là, de pouvoir réfléchir aux meilleures pratiques, de les tester, souligne-t-il. Cela nous a permis d’explorer comment l’école de demain peut se déployer différemment pour répondre aux valeurs importantes du 21e siècle, comme la collaboration. » Des thèmes qu’il a aussi explorés pendant ce mandat avec les étudiantes et étudiants en architecture, à titre de chargé de cours à l’Université Laval.
Alors que les prototypes sont en construction, Jérôme Lapierre constatedéjà l’influence du Lab-École. Ainsi, le gouvernement a notamment ajouté des espaces collaboratifs dans les futurs projets d’écoles, observe-t-il. Fait à souligner, les établissements issus du Lab-École ont fait l’objet d’un concours d’architecture, une première en 50 ans en ce qui concerne le milieu scolaire québécois, explique-t-il.
L’apport de Jérôme Lapierre aura des répercussions non seulement sur les architectes qui conçoivent les écoles, mais aussi sur la trajectoire des enfants qui les fréquenteront, ajoute Jacques White. « Pour changer le monde, il ne s’agit pas de créer une œuvre que tous vont applaudir. Il faut plutôt y aller progressivement, être tenace. » Et c’est, selon lui, ce qui caractérise l’influence de Jérôme Lapierre dans ce projet.
Voilà une philosophie que le lauréat continuera de mettre de l’avant, tant auprès de la relève que dans sa pratique privée ou lors de ses différentes interventions publiques. « La diffusion est tellement importante, tant pour la communauté architecturale que pour les citoyens, dit-il. Le fait d’en parler permet de comprendre à quel point l’architecture a un impact sur nos émotions, sur notre comportement, sur notre bonheur, et pour atteindre collectivement une architecture de meilleure qualité. » ●