Place des Pionniers (projet lauréat d’un concours national pluridisciplinaire), Gatineau,
in situ + DMA Architectes en collaboration avec civiliti et EXP.
Illustration : in situ + DMA Architectes

Il est aujourd’hui courant que l’architecte mette en commun son expertise avec celles d’autres disciplines. L’approche multidisciplinaire transforme petit à petit la pratique architecturale, et la tendance n’est pas près de disparaître.

Les multiples réglementations, les plans d’urbanisme, la technologie omniprésente et les objectifs de développement durable sont autant de réalités qui entraînent le décloisonnement de la pratique architecturale. 

Pour Peter Soland, designer urbain, architecte, architecte paysagiste et associé fondateur de la firme civiliti, les projets d’architecture s’inscrivent aujourd’hui dans des composantes plus vastes, où les morphologies urbaines sont autant prises en compte que la réalisation du bâtiment lui-même. « Je pense que la profession est plus consciente de cet élargissement de la pratique de l’architecture, qu’on ne travaille plus en vase clos. Qu’il s’agisse d’espaces publics, de mobilité urbaine, de recherche de verdissement de la ville, les architectes sont plus sensibles à toutes ces réalités et vont chercher des expertises connexes. Quand on travaille sur l’aménagement d’une rue, par exemple, il y a toujours beaucoup de personnes impliquées. Il y a 20 ans, un “chef d’orchestre architecte” ou un ingénieur imposait sa vision. Maintenant, on valorise l’équipe et l’approche qui va apporter les meilleures solutions possibles. » 

La multidisciplinarité est aussi le résultat de demandes de conception toujours plus précises, ajoute Marc-Olivier Champagne-Thomas, architecte associé chez APPAREIL architecture. « En tant qu’architectes, il devient primordial de s’entourer d’experts dans des domaines spécialisés, et plus ces intervenants s’intègrent tôt au projet, meilleur il sera. Je crois que le rôle de l’architecte traditionnel, si on pense à un Frank Lloyd Wright, a changé. C’était une expertise plus générale. Maintenant, plusieurs disciplines se parlent et échangent sur les contraintes entourant un projet. » 

Incarnations multiples 

Qu’il s’agisse d’un projet institutionnel à grand déploiement ou d’une construction résidentielle, la multidisciplinarité est présente dans bon nombre de projets, petits et grands. « Pour réaliser un de nos projets d’école, nous devions absolument intégrer des ingénieurs, des acousticiens, des urbanistes et des architectes paysagistes, raconte Marc-Olivier Champagne-Thomas. Dans ce cas, ce sont surtout des intervenants qui règlent des problèmes techniques. Quand les disciplines se croisent à l’étape de la conception, ce peut être l’occasion de collaborer avec des artistes, des graphistes, ou même de travailler avec des rédacteurs. » 

Peter Soland ajoute que l’échelle d’un projet détermine également la formation des équipes et la spécificité des expertises. « Nous allons collaborer avec un regroupement de firmes selon l’importance du projet, dit-il. Par exemple, pour un petit projet, on pourrait miser sur une interdisciplinarité plus conventionnelle, avec des firmes d’ingénierie. Même si les ingénieurs travaillent en parallèle sur les composantes techniques, leur regard et leurs analyses amènent de l’eau au moulin sur le plan du design; cela favorise la prise en compte de leurs points de vue et assure que toutes les couches d’un projet avancent rondement. » 

Des avantages 

Aujourd’hui largement répandue, l’approche multidisciplinaire n’a-t-elle que des avantages ? Marc-Olivier Champagne-Thomas reconnaît qu’elle apporte son lot de défis. « La multidisciplinarité amène une complexité supplémentaire pour les architectes, mais c’est une complexité positive, car nous savons qu’au final le projet sera encore meilleur. » 

Peter Soland abonde dans le même sens. « Avoir des échanges avec des concepteurs de même calibre que nous, sur le design par exemple, permet de discuter de l’importance de certaines composantes d’aménagement et de bonifier les projets. » 

Marc-Olivier Champagne-Thomas croit également qu’une collaboration en amont avec une équipe d’ingénierie ou l’entrepreneur offre la possibilité de contrer l’explosion actuelle des coûts de conception. « L’implication des différentes disciplines permet de trouver plus rapidement les solutions adéquates et d’apporter, en cours de route, des modifications au projet pour optimiser les dépenses et respecter le budget. » 

« Travailler en silos augmente les coûts, renchérit Serge Cormier, vice-président construction au Fonds immobilier de solidarité FTQ. La collaboration permet à tout le monde de comprendre les enjeux financiers et techniques et les préoccupations de la clientèle. » C’est d’autant plus important lorsqu’on parle de projets dont les coûts se calculent en centaines de millions de dollars. « Le redéveloppement de l’ancienne brasserie Molson [un projet que soutient le Fonds dans l’est de Montréal] dépassera le milliard », illustre Serge Cormier. 

Par sa nature misant sur l’ouverture et l’échange, la multidisciplinarité favorise donc la réalisation de projets cohérents où chaque discipline revêt son importance. « En tant qu’architectes, nous travaillons constamment avec des contraintes et nous essayons de les rendre plus viables, conclut Marc-Olivier Champagne-Thomas. En  nous écoutant et en ayant des rencontres struc­turées, nous pouvons nous assurer de la meilleure cohésion de toutes les disciplines dans nos différents contextes de concep­tion. C’est la clé. » 

En définitive, bien mobiliser l’intelli­gence collective ne peut qu’enrichir la qua­lité des espaces et du bâti qui en résultent.

Multidisciplinarité ou interdisciplinarité? 

« Multidisciplinarité » est un terme qui décrit la simple juxtaposition de disciplines. Bien des personnes interviewées pour ce dossier préfèrent cependant parler d’interdisciplinarité, une forme de collaboration dans laquelle la synergie entre différentes disciplines vise à créer une valeur ajoutée, à enrichir un projet. Pour les fins de notre dossier, afin de simplifier la lecture, nous employons de façon générale le terme « multidisciplinarité ».