Grand prix d'excellence et prix du public
Remédier à la détérioration de l’enveloppe de béton et des composants métalliques d’un bâtiment dont la face intérieure des murs est en grande partie recouverte d’une œuvre d’art : voilà tout un défi. Les architectes des firmes Lemay et Atelier 21 l’ont relevé grâce à une solution originale, qui remporte cette année le Grand Prix d’excellence de l’Ordre des architectes du Québec.
Le Grand Théâtre de Québec a été inauguré en 1971. Cette œuvre brutaliste conçue par l’architecte Victor Prus s’impose dans le paysage de la Haute-Ville de Québec avec ses panneaux muraux et ses composants préfabriqués en béton apparent, retenus par des ancrages et une armature d’acier.
Le passage des années a toutefois mis cette construction à rude épreuve. « Dès mon arrivée en poste, en 2004, j’ai constaté que des éclats de béton tombaient régulièrement des murs et que l’ancrage d’acier qui tenait le béton était rouillé, donc il y avait des enjeux de sécurité », explique Albani Boudreau, chef du service de l’immeuble au Grand Théâtre de Québec.
Le problème venait de l’humidité. Pour protéger certains équipements, notamment les instruments de musique en bois de l’Orchestre symphonique de Québec (OSQ), et préserver la voix des chanteurs et chanteuses de l’Opéra de Québec, le Grand Théâtre maintient en effet un taux d’humidité de 35 % à 40 % à l’intérieur. Or, les murs de béton qui en sont à la fois les faces extérieures et intérieures ne comportent pas de pare-vapeur. Pendant la saison froide, l’humidité ambiante générait de la condensation qui gelait et endommageait le béton. « Sans une intervention majeure, le Grand Théâtre courait à sa perte », résume Albani Boudreau.
Enrober l’enveloppe
Par ailleurs, une spectaculaire murale de l’artiste québécois d’origine catalane Jordi Bonet recouvre plus de 60 % de la face intérieure des murs du bâtiment. L’artiste a littéralement sculpté son œuvre sur le béton préfabriqué de l’édifice. L’érosion de ce support menaçait l’œuvre aussi. Il s’agissait donc de préserver à la fois le bâtiment de Victor Prus et la murale de Jordi Bonet.
Pour stopper la migration de l’humidité à travers le béton et ainsi mettre fin au problème d’érosion, les architectes des cabinets Lemay et Atelier 21 ont conçu une cage de verre posée sur une ossature d’acier tout autour de l’édifice. Ce dispositif protège le béton des intempéries tout en créant une chambre d’air permettant de contrôler la température sur les faces du béton et la structure d’acier. Cette approche constitue une première en Amérique du Nord, selon les architectes.
« Puisque la paroi ne sera plus exposée au gel, le béton devrait retrouver au cours des 10 prochaines années la même solidité qu’au moment de sa construction, ce qui devrait assurer la pérennité du Grand Théâtre pour au moins 50 ans encore », souligne Christian Bernard, architecte associé chez Atelier 21.

Approche multidisciplinaire
Le projet a fait l’objet d’un concours d’architecture et d’un appel de propositions, une combinaison rare au Québec pour un programme d’une aussi grande envergure. Cela représentait en soi un défi, selon l’architecte, puisqu’il a fallu répondre en même temps aux questions de conception, de réalisation et de prix. Mais il y voit également un avantage. « Dans un tel contexte, on choisit dès le départ toute l’équipe d’architectes, d’ingénieurs et d’entrepreneurs, et tous contribuent à la conception », note-t-il.
De son côté, le Grand Théâtre disposait de sa propre équipe, qui a supervisé la conception et la réalisation. Son rôle consistait à comprendre et, parfois, à remettre en cause les approches choisies par les architectes.
Selon Eric Pelletier, architecte principal, conception, au cabinet Lemay, c’est l’engagement combiné de l’ensemble des parties prenantes, côté client et côté professionnels, qui a permis de trouver une solution aussi novatrice. « Dès le départ, nous avons envisagé plusieurs hypothèses avec les ingénieurs, le spécialiste en restauration de béton et l’entrepreneur, et l’idée de l’enveloppe de verre a vraiment surgi de ce travail d’équipe », note-t-il.
Cette collaboration a également aidé à surmonter les nombreuses difficultés de la réalisation, notamment l’installation des panneaux de verre sur les structures d’acier. L’enveloppe se compose en effet de 900 panneaux de verre laminé ultraclair pesant une demi-tonne chacun. Or, la présence de bureaux et de salles techniques au sous-sol du Grand Théâtre empêche la construction de nouvelles fondations. « Nous avons donc arrimé la nouvelle structure aux piliers existants, pour faire reposer les charges sur les fondations actuelles du bâtiment grâce à l’ajout de supports en porte-à-faux », indique Eric Pelletier.

Un chantier respectueux
Les artistes et les organisations culturelles qui se produisent au Grand Théâtre sont pour leur part ravis de cette opération de réfection.
L’OSQ réside au Grand Théâtre de Québec depuis son inauguration, il y a 50 ans. L’ensemble y a poursuivi ses activités pendant les rénovations. « Travailler en même temps que nous sans nous déranger représentait un grand défi pour eux, et ils s’en sont très bien sortis, assure Astrid Chouinard, présidente-directrice générale de l’OSQ. Tout au plus, nous avons réaménagé nos horaires à quelques reprises et nous avons tenu certaines causeries dans un environnement un peu plus bruyant que d’habitude. »
Le résultat l’enchante. « La réfection met vraiment le bâtiment en valeur et crée une expérience client beaucoup plus agréable, soutient Astrid Chouinard. Elle a aussi fourni l’occasion de rénover un espace studio pour en améliorer la qualité sonore et y installer des équipements de captation, donc nous profitons d’un nouveau lieu multifonctionnel. »
Commentaires du jury
À l’épineuse question de la préservation de l’enveloppe de béton préfabriqué du Grand Théâtre de Québec et de la célèbre murale de Jordi Bonet qui y est imbriquée, les architectes ont proposé une réponse audacieuse, avec un pari d’intervention loin d’être gagné d’avance. On a choisi de sertir le bâtiment brutaliste de Victor Prus dans une enveloppe innovante à plusieurs égards. Ce nouvel écrin tout en transparence met littéralement et symboliquement en lumière une œuvre moderniste majeure de la ville de Québec, pérennisant et actualisant par là sa valeur patrimoniale.
Prix du public
De mal-aimé à chouchou

Un prix du public constitue toujours un hommage auquel les architectes sont particulièrement sensibles. Le travail exemplaire réalisé sur l’enveloppe du Grand Théâtre de Québec, mené par les architectes de Lemay et d’Atelier 21, a reçu l’honneur cette année.
« Les architectes conçoivent leurs projets pour les usagers et pour l’ensemble des citoyens, donc le fait de voir ce travail reconnu par le public me procure un grand plaisir », admet l’architecte Eric Pelletier.
Pour Albani Boudreau, chef du service de l’immeuble au Grand Théâtre de Québec, c’est une agréable surprise. « Plusieurs [personnes] passant près du chantier exprimaient leur scepticisme en voyant les armatures d’acier érigées autour de l’enveloppe. Je ressentais donc une certaine inquiétude, mais je suis heureux de constater que le public apprécie le résultat. »
Ce succès est d’autant plus bienvenu que les édifices de l’époque brutaliste restent mal aimés au Québec. « Nous avons amélioré le Grand Théâtre de Québec sans le dénaturer, estime l’architecte Christian Bernard. Les gens peuvent toujours percevoir l’apparence originale de ce bâtiment majeur du patrimoine moderne, mais sous une forme plus actuelle. »
Le Prix du public met en compétition tous les projets lauréats et finalistes des Prix d’excellence. Cette année, l’OAQ a soumis 25 projets au vote populaire en ligne. « Ce processus constitue une belle occasion de sensibiliser les citoyens à l’architecture, puisque le portail présente des réalisations de tailles et de natures très diverses, avance Eric Pelletier. Plus les gens s’intéresseront à l’architecture, plus ils deviendront exigeants et réclameront des aménagements de qualité. »

EMPLACEMENT
Québec
MAÎTRISE D’OUVRAGE
Grand Théâtre de Québec
ARCHITECTES
Lemay : Eric Pelletier
Atelier 21 : Christian Bernard
ENTREPRENEUR
Pomerleau
INGÉNIERIE
Structure, électrique, mécanique : WSP
Conception de verre : ELEMA
Matériaux : SIMCO
ÉCLAIRAGE
Lemay, Atelier 21, Guy Simard architecte
ARCHITECTURE DU PAYSAGE
Lemay
Atelier 21