Les stagiaires participent activement aux projets d’architecture de la firme qui les embauche. On est loin du cliché des tâches ingrates comme les photocopies ou le classement. Le stage, passage obligé pour passer l’ExAC et obtenir le titre d’architecte, permet d’aiguiser leurs compétences et d’apprivoiser le marché du travail. À condition de faire preuve de persévérance.
L’industrie de la construction étant cyclique, il a déjà été difficile de trouver un stage en architecture à certaines périodes – les années 1990, entre autres. C’est tout le contraire depuis quelques années : les firmes ont des carnets de commandes bien remplis. Bénéficiant de cette conjoncture favorable, Maude Tousignant-Bilodeau n’a mis qu’une semaine avant de dénicher un stage. « J’ai pu choisir entre deux offres. Le marché est bon actuellement pour les stagiaires », affirme la jeune femme de 25 ans, qui a commencé son stage chez Paul Bernier Architecte en juin 2022.
Comme bien d’autres, elle avait déjà effectué deux périodes de stage durant sa maîtrise à l’Université de Montréal. En effet, selon le Programme de stage en architecture (PSA), les étudiants et les étudiantes ont la possibilité de cumuler un maximum de 940 heures au cours de leurs études. Une façon de faire leurs premiers pas sur le terrain.
Dans son stage actuel, Maude Tousignant-Bilodeau a la chance de travailler sur des projets différents de ceux dont elle a l’expérience, notamment des bâtiments résidentiels à plus petite échelle. « Comme on est une petite équipe, cela me permet d’intervenir à différentes étapes, que ce soit les dessins techniques ou les visites de chantier, et d’avoir un contact direct avec le client. »
Compter les heures… par catégorie
Kevyn Durocher approche quant à lui de la fin de son stage. Il a cumulé plus de 2000 des 3720 heures obligatoires et prévoit passer l’ExAC en novembre 2023. Stagiaire à La Shed Architecture depuis quatre ans, d’abord à temps partiel durant son baccalauréat et sa maîtrise, le jeune homme de 32 ans travaille aujourd’hui à temps plein comme chargé de projet, principalement dans le domaine résidentiel. « J’ai le privilège de pouvoir mener un projet de A à Z, explique-t-il. À La Shed, qu’on soit architecte ou stagiaire, trois ou quatre projets nous sont attitrés, qu’on exécute avec un des architectes associés. C’est super formateur. Et c’est aussi plus facile d’accumuler les heures par catégories. »
En effet, le PSA exige que le ou la stagiaire cumule un certain nombre d’heures dans différentes catégories d’activité et domaines d’expérience. On doit par exemple consacrer un minimum de 80 heures à l’analyse de l’emplacement et de l’environnement, 200 heures à l’administration du contrat de construction sur les chantiers, 120 heures à la gestion de projet, etc. Il faut de plus faire la démonstration de sa compétence dans chacune de ces catégories.
C’est un des aspects du stage qui pose problème, selon les stagiaires avec qui nous avons parlé. « C’est parfois difficile de bien catégoriser les heures au fil du projet, dit Maude Tousignant-Bilodeau. On touche à différentes activités en continu, le calcul n’est pas toujours simple. »
C’est la catégorie liée à la gestion des affaires ou du bureau qui semble la plus complexe à réaliser. En tant que stagiaire, Kevyn Durocher se voit mal intervenir dans les processus financiers de la firme, comme la préparation des offres de service ou l’élaboration du budget d’exploitation, des décisions stratégiques qui relèvent des associés et de l’associée.
Après 15 mois de stage chez Bisson Fortin, Audrey Filiatrault a travaillé sur une variété de projets, dont la réalisation des esquisses de la Maison des aînés à Saint-Charles-Borromée, dans Lanaudière. Malgré cela, il manque toujours à la jeune femme de 26 ans l’expérience des chantiers. « Je n’ai pas encore fait le tour de la roue, dit-elle. Il faut faire un suivi rigoureux du cumul des heures et ne pas hésiter à lever la main pour s’assurer de participer à toutes les étapes du processus. »
« Il faut être à la fois observateur et participant pour découvrir les domaines de l’architecture qui nous intéressent le plus. »
— Maude Tousignant-Bilodeau, stagiaire en architecture
Apprendre au quotidien
Les stagiaires sont sous la supervision d’un ou d’une maître de stage, soit un ou une architecte de la firme apparaissant au tableau de l’Ordre depuis au moins cinq ans qui vérifie leurs tâches, évalue leur savoir-faire et certifie la qualité de leur travail dans des rapports de stage.
Le rôle de cette personne est fondamental. C’est elle qui s’assure que les stagiaires sont aptes à devenir architectes, explique Laurence St-Jean, architecte directrice chez ABCP Architecture et présidente du comité de la relève à l’OAQ. Son défi : assurer des suivis réguliers avec les stagiaires.
Pour Audrey Filiatrault, l’encadrement du stage ne repose pas seulement sur les épaules de la ou du maître de stage, mais sur toute l’équipe. « Les échanges qu’on peut avoir au quotidien avec les collègues nous aident aussi à grandir, affirme-t-elle. Il faut écouter les conseils et ne jamais hésiter à demander une rétroaction sur notre travail. C’est ce qui permet d’apprendre et de s’améliorer. »
Le ou la stagiaire doit devenir une éponge et absorber le plus possible de connaissances, ajoute Maude Tousignant-Bilodeau. « On apprend beaucoup de l’expérience des autres. Il faut être à la fois observateur et participant pour découvrir les domaines de l’architecture qui nous intéressent le plus. »
Un long parcours de formation
En principe, le stage est d’une durée de deux ans, mais il est rare que les stagiaires le terminent en moins de trois ans. Plusieurs l’étirent sur quatre ou cinq ans, soit le délai maximal permis, selon Laurence St-Jean. Les compétences que les jeunes auront acquises seront évaluées à l’ExAC, l’ultime étape pour accéder à la profession et au titre d’architecte.
Alors, le stage, tremplin ou purgatoire ? Même s’il s’avère très exigeant, les stagiaires ne s’en plaignent pas. « Il est complémentaire à la formation générale, soutient Kevyn Durocher. Chaque jour, on apprend quelque chose de nouveau, que ce soit sur un détail technique, la procédure de demande de permis ou le développement durable. On acquiert une expérience concrète qui prépare bien à l’ExAC et à la profession. »
« Ça paraît long deux ou trois ans de stage, mais ça passe vite, assure Laurence St-Jean. Les stagiaires peuvent s’inscrire à l’ExAC, qui exige une solide préparation, dès que les 2800 heures requises sont cumulées. »
Pour Audrey aussi, le stage est un passage nécessaire. « Je ne vois pas ce qui aurait pu en être retiré. Je vois déjà la différence entre le début de mon stage et tout ce que j’ai acquis depuis. J’ai une meilleure idée de ce à quoi ressemble l’univers de l’architecture et de la construction. L’université ne nous montre
pas ça. »
L’ABC du Programme de stage en architecture
Élaboré par le Regroupement des ordres d’architectes du Canada (ROAC), le Programme de stage en architecture (PSA) est appliqué dans l’ensemble du pays. Il impose d’effectuer 3720 heures dûment consignées, dans le contexte d’un emploi, sous la supervision d’un ou d’une architecte maître de stage. Le ROAC, dont fait partie l’OAQ, fixe les paramètres de base tels que la répartition des heures de stage entre 17 catégories d’activités obligatoires. Cela dit, les ordres d’architectes de chaque province peuvent adapter le PSA à leur réalité. Par exemple, l’OAQ exige la maîtrise du français, ne requiert pas le mentorat durant le stage (sauf si le ou la maître de stage compte moins de cinq ans d’inscription au tableau) et autorise le stage dans tous les milieux de pratique, notamment dans le secteur public.
Le PSA est actualisé périodiquement en fonction de l’évolution de la profession et de la société. Sa quatrième édition, en vigueur depuis 2021, comprend deux nouvelles catégories d’activité : « Vérification et coordination de documents » ainsi que « Littératie énergétique et durabilité ». D’autres changements pourraient ainsi avoir lieu au cours des prochaines années.