L’indignation était à son comble, le 13 mai dernier, alors qu’on apprenait la démolition de la partie classée du centre commercial du Domaine-de-l’Estérel, à Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson.
L’indignation était à son comble, le 13 mai dernier, alors qu’on apprenait la démolition de la partie classée du centre commercial du Domaine-de-l’Estérel, à Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson. Dernier vestige d’un des premiers ensembles modernes au Québec, vision audacieuse du baron belge Louis Empain, œuvre de son compatriote architecte et lauréat du prix de Rome Antoine Courtens, bien classé par le ministère de la Culture et des Communications du Québec (MCC)… Pareils joyaux sont rares au Québec. Il n’y a pas de mots pour exprimer cette perte.
Comment obtenir réparation et, surtout, quelles leçons tirer de ce drame ?
Passons rapidement sur les circonstances. La démolition aurait eu lieu en toute illégalité, dans la foulée de celle de la partie non classée qui, elle, avait été autorisée par le MCC. Le propriétaire, le promoteur immobilier Olymbec, prétend qu’il s’agit d’un accident découlant d’une erreur commise par l’entrepreneur. On doit lui donner le bénéfice du doute en attendant les conclusions de l’enquête du MCC et, s’il y a lieu, l’aboutissement du processus judiciaire. S’il s’agit bien d’un accident, aurait-il pu être évité ? De quel encadrement ce chantier hautement sensible a-t-il fait l’objet ? C’est ce qu’on saura, espérons-le, au terme du processus. Mais ce feuilleton se poursuivra sur un autre terrain.
Reconstruire, un leurre ?
Plusieurs voix se sont rapidement élevées pour exiger la reconstruction du bâtiment à l’identique. Une pétition a été lancée à cet effet, et le propriétaire l’a même proposée. Au risque de paraître à contre-courant, et sans vouloir pontifier, je ne suis pas certain que la reconstruction doive être envisagée. On aurait beau travailler à partir des plans d’origine, reconstruire un bijou qui pourrait ressembler à celui qui a été perdu, on n’obtiendrait au final qu’une copie, produite dans le contexte d’aujourd’hui, forcément imparfaite, et dont le sens et l’essence même seraient édulcorés.
Préserver nos acquis, les valoriser, les adapter avec discernement pour mieux les occuper, tout cela est écologiquement sain, culturellement cohérent et économiquement raisonnable. Or, peut-on aujourd’hui justifier de recouler du béton qu’on vient de réduire en gravats ? Je n’en suis pas certain. Mais, tout en faisant confiance au gouvernement du Québec pour obtenir juste réparation s’il y a eu méfait dans le cas de l’Estérel, je pense que, si on ne reconstruit pas, il faut quand même que le deuil serve à quelque chose.
À mon avis, la leçon à tirer réside dans l’application rigoureuse de la récente Loi sur le patrimoine culturel.
Appliquons la loi
À mon avis, la leçon à tirer réside dans l’application rigoureuse de la récente Loi sur le patrimoine culturel, que l’État devrait lire avec l’obligation morale d’exercer les pouvoirs qu’elle lui donne. Premièrement, il faudrait systématiquement obliger les propriétaires de biens classés à en préserver la valeur patrimoniale. Deuxièmement, pour les cas de négligence, il faudrait appliquer les dispositions d’expropriation avec plus d’empressement – et acquérir les biens concernés à des prix inversement proportionnels à l’ampleur du laisser-aller. La protection du patrimoine prendrait alors tout son sens. Ça ne ramènerait pas l’Estérel, certes, mais ça pourrait éviter que sa triste histoire ne se répète.
J’irais même plus loin en obligeant tout propriétaire de bâtiment, protégé ou non, à en faire l’entretien adéquat. C’est plus qu’une question de patrimoine : il s’agit de réduire notre empreinte écologique collective en limitant la consommation de ressources. On dit que le bâtiment le plus écologique est celui qui existe déjà. Pour que cela soit vrai, il faut le concevoir dès l’origine pour le long terme, l’entretenir sagement et contrer ainsi notre foutue tentation de le démolir sous prétexte que c’est plus simple ou, pire, inévitable.
Nous ne savons pas encore ce qui constituera le patrimoine de demain. Mais nous savons qu’il faut réduire dès maintenant notre empreinte écologique. Alors obligeons-nous à entretenir ce que nous nous permettons de construire. Si nous léguons des ruines en devenir, les générations futures céderont au même découragement qui nous afflige aujourd’hui, et les démolitions se poursuivront. Il faut donc que notre société accepte de prendre collectivement la responsabilité de transmettre un cadre bâti qui inspire la fierté.