Les architectes laissent l’intelligence artificielle (IA) entrer doucement dans leurs bureaux. Encore en phase d’exploration, la profession cherche à profiter de ses avantages, tout en s’inquiétant de voir l’originalité de son travail diminuer… ou de se faire remplacer.
Les architectes n’ont pas échappé au bouleversement qu’a représenté le lancement de l’outil d’IA générative ChatGPT à la fin de 2022. Le logiciel a été essayé par un million de personnes en cinq jours et compte désormais 180 millions d’utilisateurs et utilisatrices chaque mois. « ChatGPT nous a confrontés au fait que l’IA était maintenant facilement accessible et que nous devions accélérer notre réflexion quant à son utilisation », confie Claude Bourbeau, président et associé principal de Provencher_Roy.
Dans les bureaux québécois, des logiciels tels Read AI, Copilot, Adobe Firefly, ChatGPT ou Gemini ou encore NotebookLM (qui permet notamment d’écouter un résumé d’un long document sous forme de baladodiffusion) deviennent omniprésents. Des tâches comme la génération d’un brouillon de texte ou d’un courriel, la rédaction d’un procès-verbal, l’identification des principaux points d’un appel d’offres, la recherche d’informations dans un code du bâtiment ou la traduction de documents sont en voie d’automatisation.

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Une intégration progressive
On trouve encore peu de données sur l’utilisation de l’IA en architecture au Québec et ailleurs dans le monde. Le plus récent rapport de l’Institut royal des architectes britanniques (RIBA) sur l’IA donne tout de même un aperçu intéressant de son apport dans des domaines spécifiquement liés à l’architecture. Il indique que 41 % des firmes l’emploient, dont 6 % dans tous ou la plupart de leurs projets. Dans la gestion de projet, ces outils contribuent surtout à la production d’offres de services. Du côté de la conception, les fonctions les plus couramment utilisées sont l’imagerie dans les premières étapes de la création, la conception générative et la conception paramétrique. Dans la conception générative, le logiciel propose des options en fonction d’objectifs généraux, alors que dans la conception paramétrique, l’architecte propose des critères très précis (dimensions, angles, courbatures, etc.), et le logiciel produit des formes géométriques optimisées.
Au Québec aussi, l’IA commence à se tailler une place dans l’architecture. Certains logiciels sont déjà très répandus, principalement dans les phases d’idéation et dans l’habillement des concepts. C’est le cas, par exemple, de Midjourney, qu’utilise depuis un bon moment Marianne Charbonneau, architecte associée à l’Agence spatiale, située à Québec. Elle se sert également des modules d’extension IA de Photoshop pour améliorer le rendu des images.
« Nous les utilisons surtout pour trouver ou clarifier des idées, mélanger des concepts ou bonifier rapidement des planches d’inspiration, mais ce ne sont jamais des éléments que nous présentons directement à la clientèle, explique-t-elle. C’est vraiment pour stimuler notre créativité. » Pour générer ou améliorer des images, d’autres misent sur Topaz, Stable Diffusion, Twinmotion, Krea ou encore Rodin.

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L’économie de temps représente bien sûr l’avantage principal, dans un contexte où les échéanciers des projets se resserrent. Mais l’IA peut aussi apporter de la qualité, notamment en facilitant la succession rapide d’itérations de projets. « C’est intéressant, car on peut argumenter avec l’IA, ajoute Stéphane L’Abbé, vice-président et directeur d’atelier d’YHS Architecte, à Longueuil. Nous pouvons remettre en question les solutions ou les idées qu’elle nous propose, mais elle peut faire de même avec les nôtres, ce qui nous pousse à aller plus loin et à rehausser la qualité de nos projets. »

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Les architectes accordent une attention croissante aux aspects environnementaux de leurs projets, notamment climatiques. Or, l’IA peut contribuer à analyser rapidement l’empreinte carbone opérationnelle et le carbone intrinsèque d’un bâtiment. Le projet Phoenix, en Californie, issu d’une collaboration entre MBH Architects, Factory_OS et Autodesk, en représente un bon exemple. L’IA a aidé l’équipe de conception de cet ensemble d’immeubles modulaires de 316 logements à projeter la répercussion des compromis effectués pour atteindre des objectifs comme la réduction des carbones opérationnel et intrinsèque, le contrôle des coûts et l’habitabilité. Elle a contribué au choix de panneaux de façade composés de mycélium (l’appareil végétatif des champignons), qui a permis de diminuer de façon draconienne l’empreinte carbone du bâtiment.
« Nous utilisons Autodesk Forma [un logiciel infonuagique qui offre des outils d’intelligence artificielle] pour formuler très rapidement des hypothèses de carbone intrinsèque basées sur des volumétries et des systèmes constructifs, explique Philippe Mizutani, concepteur principal et associé chez Provencher_Roy. On peut aussi l’employer pour mener des analyses d’ensoleillement, de vent, de microclimats, etc. Pouvoir juger nos hypothèses de manière plus concrète et plus rapidement qu’avant affecte forcément notre créativité. »
Dans le sondage du RIBA, 64 % des architectes estiment que l’IA aura un effet positif dans l’atteinte des cibles de carboneutralité, et une proportion semblable croient qu’elle aidera à augmenter la performance des bâtiments.
Prendre le taureau par les cornes
Puisque la vague de l’IA semble inévitable dans leur domaine, des architectes souhaitent avoir voix au chapitre et participer à l’élaboration de ces innovations. Depuis environ un an, le bureau montréalais Atelier L’Abri, dont le personnel compte une dizaine de membres, collabore avec Maket, une société québécoise qui conçoit un modèle de génération de plans architecturaux. Le projet est soutenu par le ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, par l’entremise de l’organisme à but non lucratif Prompt.
« Si nous ne participons pas au développement des logiciels, nous devrons nous contenter de les subir, prévient Nicolas Lapierre, cofondateur d’Atelier L’Abri. Notre collaboration vise à nous assurer que la plateforme en développement servira vraiment les architectes et répondra à leurs besoins et à leurs préoccupations. »
Un premier constat s’impose : plusieurs années de travail seront nécessaires avant qu’un modèle puisse générer des plans comparables à ceux produits par des architectes. Pour l’instant, les équipes d’Atelier L’Abri testent les capacités de l’algorithme en les comparant au travail que les architectes peuvent accomplir. Alimenté par une vaste base de données de plans, le système reste encore limité dans sa compréhension du processus de conception. L’objectif à ce stade-ci est d’identifier les erreurs récurrentes, qui révèlent les angles morts de l’IA dans la compréhension du cheminement créatif des humains, afin de renforcer l’outil.
« Cela nous oblige à décortiquer notre propre processus de création afin de bien guider le développement de l’algorithme, poursuit Nicolas Lapierre. Une grande part de notre travail repose sur l’intuition et le bon sens, deux notions étrangères au modèle IA. »
Nicolas Lapierre le réitère : les projets de logiciels de génération de plans basés sur l’IA se multiplient, au Québec comme ailleurs, et touchent directement le cœur du métier des architectes. Ces logiciels seront-ils conçus pour bonifier la qualité et la performance environnementale des projets, ou viseront-ils seulement à en accélérer la réalisation et à en réduire les coûts ? Nicolas Lapierre invite ses collègues à s’investir pour influencer l’évolution de ces outils.
Sur son site, Maket.AI affirme vouloir démocratiser l’architecture résidentielle en permettant « à n’importe qui de concevoir et de planifier sa nouvelle construction ou son projet de rénovation en quelques étapes faciles » (traduction libre). Cela ne représente-t-il pas un risque pour la profession d’architecte ?
Nicolas Lapierre ne s’en fait pas trop. « Des plans vite faits et pas chers, ça existe déjà, tout comme les catalogues de plans pour faire des spec homes, mais ça n’a pas remplacé le travail des architectes, rappelle-t-il. Les algorithmes ne sont pas conçus pour générer de l’originalité par eux-mêmes, c’est l’utilisateur qui peut les amener à contribuer à un projet original et de qualité. »
Par où commencer?
L’intelligence artificielle (IA) se décline déjà dans une multitude d’outils, dont le nombre ne fera que croître. Les cabinets doivent donc déterminer ceux qui créent réellement de la valeur pour leur pratique et mettre en place un encadrement clair pour en baliser l’usage.
Avant toute chose, les ateliers auraient intérêt à savoir comment l’IA est déjà utilisée au sein de leurs équipes. Ces technologies sont peut-être plus présentes qu’ils ne le pensent. « Nous sommes un groupe assez important, et il est probable que nous ne mesurions pas notre niveau réel d’adoption de l’IA, notamment parmi les plus jeunes membres de notre équipe », reconnaît Claude Bourbeau, président et associé principal de Provencher_Roy.
Autre défi : arrimer le savoir-faire technologique des membres du personnel plus jeunes avec celui des membres qui ont le plus d’expérience afin d’intégrer ces nouvelles pratiques aux processus établis dans l’entreprise. « Il y a beaucoup de fébrilité au sujet de l’IA, ajoute le président. Dans notre prochaine planification stratégique, nous élaborerons un cadre pour guider notre expérimentation en fonction d’objectifs précis. »
Pour éviter la dispersion et garder la maîtrise des coûts, Jean-Nicolas Bouchard, architecte associé de Boon Architecture, une firme de Québec ayant à son service une dizaine de personnes, conseille de bien cerner ses besoins et d’identifier les outils qui généreront réellement de la valeur pour l’entreprise. Il ne croit pas que les plus petits bureaux sont nécessairement défavorisés, malgré des moyens financiers ou des ressources technologiques moindres. Leur agilité est un atout par rapport aux grands cabinets, souvent plus rigides, considère-t-il. Cette souplesse facilite l’intégration et l’expérimentation de l’IA.
La question des coûts mérite aussi réflexion. Si certains outils sont gratuits, la majorité – surtout les plus performants – exigent un abonnement. « Actuellement, c’est très rentable, car ces outils nous épargnent beaucoup de temps », soutient Ivan Rodriguez, architecte associé de GR7, qui compte 23 employés et employées. Cependant, cette rentabilité pourrait être mise à mal si les agences deviennent trop dépendantes de logiciels issus de monopoles. Les architectes ont souvent déploré, par exemple, les hausses de prix salées des licences du logiciel Revit. Si les logiciels d’IA prenaient la même tangente, les petits cabinets pourraient avoir de la difficulté à suivre. D’où la question soulevée par Marianne Charbonneau, architecte associée à l’Agence spatiale, où une trentaine de personnes sont à l’œuvre : « Est-ce qu’éventuellement, cela pourrait déboucher sur une architecture à deux vitesses, dont l’une serait plus humaine et l’autre plus automatisée ? »
La peur de se faire remplacer
La première inquiétude qui surgit souvent lorsqu’un domaine voit l’IA y faire son entrée est que cette dernière s’approprie le rôle de sa main-d’œuvre. Dans le sondage mené par le RIBA, plus du tiers des architectes estiment qu’elle entraînera des réductions de personnel d’ici deux ans, tandis que près d’un tiers demeurent indécis. Déjà, 7 % des firmes admettent avoir amorcé des réductions de personnel liées à l’IA.
Cette crainte monte d’un cran lorsqu’on imagine des IA capables de générer des plans ou de réaliser des études de faisabilité. Dans le résidentiel, par exemple, certaines personnes estiment qu’il suffit de fournir des paramètres de base à une IA pour qu’elle propose des configurations d’habitation prêtes à construire. En France, l’Ordre des architectes estime que la plus-value humaine jouera encore longtemps, mais craint tout de même que la production automatisée de plans issus de l’IA générative réduise le volume d’affaires des cabinets.
Hugues Daly, vice-président – Architecture de la firme montréalaise Ædifica, qui se spécialise justement en habitation, émet de sérieuses réserves vis-à-vis de cette approche. Il rappelle que l’architecte doit tenir compte de plusieurs éléments, parfois contradictoires, comme l’accessibilité universelle, les demandes de la clientèle, les besoins structuraux, la mécanique électrique et les programmes de subvention, dont les critères ne sont pas toujours cohérents.
« Ce sont des questions complexes que le professionnel doit trancher, estime-t-il. Si je me retrouve face à un plan généré par un logiciel, plusieurs microdétails risquent de m’échapper. C’est comme regarder un plan fini dessiné par un collègue. Je pourrais ne pas voir les petites erreurs de marge de recul, de dégagement de corridors ou d’ouverture de portes. »
Il ne rejette pas l’IA en bloc : elle peut, selon lui, jouer un rôle utile pour produire un premier jet, fournir des idées ou éprouver des concepts. L’IA peut d’ailleurs avoir une grande utilité dans les tâches moins intéressantes, comme générer des cases de stationnement. Elle peut aussi accélérer certaines analyses de vents, d’ensoleillement ou de consommation d’énergie. Mais il rejette l’idée que la machine puisse se substituer à l’architecte dans la réalisation de plans. « L’IA est là pour nous appuyer dans nos démarches, pas pour nous enlever notre créativité ou nous soustraire à nos responsabilités », croit-il.
L’IA dans les salles de classe
Relativement à l’émergence de l’intelligence artificielle (IA), les universités adaptent progressivement leur programme en architecture. Elles cherchent à le faire de manière contrôlée, sans sacrifier l’acquisition de compétences traditionnelles.
À l’Université de Montréal, les étudiantes et étudiants en architecture peuvent expérimenter avec l’IA grâce à une série d’exercices structurés afin que la faculté puisse conserver le contrôle sur la façon dont ces outils sont utilisés. Au baccalauréat, l’approche reste simple, avec des plateformes très accessibles comme ChatGPT et Midjourney. À la maîtrise, d’autres outils sont explorés comme ControlNet et Stable Diffusion.
« Nous avons une ligne directrice qui limite l’utilisation de ces outils partout dans le programme, explique le professeur de formation pratique agrégé Thomas Balaban. Il y a des risques par rapport non seulement à la qualité de l’information que ces plateformes proposent et aux droits d’auteurs, mais aussi au danger du plagiat, qui pose problème à l’université. »
Pour lui, il est essentiel que les étudiantes et étudiants développent une autonomie réelle dans leur pratique, tout en apprenant à tirer parti des possibilités offertes par l’IA. Il estime par exemple que celles et ceux de première année, qui possèdent peu de culture architecturale, ont un accès élargi au patrimoine architectural grâce à l’IA. Cela stimulerait leur créativité et leur apprentissage.
« La créativité repose sur trois principes : l’association, l’analogie et l’appropriation, rappelle-t-il. Or, l’IA est très bonne pour appuyer ces démarches. »
Des enjeux éthiques
Comme dans toute profession réglementée, l’IA soulève des questions sur la responsabilité professionnelle. En cas de problème, l’architecte ne peut ni blâmer l’IA ni attribuer la faute à l’éditeur du logiciel : sa responsabilité demeure entière. Il lui faut aussi pouvoir justifier ses décisions et démontrer qu’il ou elle a agi avec prudence et rigueur professionnelle.
Or, l’un des problèmes avec l’IA, c’est que l’on peine souvent à comprendre pourquoi elle émet une proposition précise. C’est le fameux problème de la « boîte noire » : on connaît les données fournies à l’IA et on voit le résultat, mais il est très difficile de suivre le raisonnement algorithmique qui a mené à cette réponse.
À cela s’ajoute un autre écueil : l’IA peut commettre des erreurs, voire carrément inventer des faits inexistants. « Pour l’instant, je trouve que l’IA reste assez peu fiable, avance Daniel Henao, architecte associé à la firme de Longueuil GR7, qui emploie une vingtaine de personnes. Par exemple, sur ChatGPT, les erreurs sont courantes, donc on doit toujours vérifier et s’assurer que les informations proviennent d’une source fiable. »
Ces préoccupations sont prises très au sérieux en France, où l’Ordre des architectes a récemment mis sur pied un groupe de travail sur l’IA. Parmi ses mandats : cerner les enjeux éthiques et professionnels de l’emploi de ces nouvelles technologies. L’Ordre réfléchit à la meilleure approche d’encadrement. Devrait-elle rédiger une charte du bon usage de l’IA en architecture ? Exiger que son utilisation soit clairement indiquée dans un projet ? Revoir le code de déontologie ? Toutes ces approches, et bien d’autres, sont à l’étude. « Nous sommes au service de l’intérêt public, nous devons donc nous assurer que notre déontologie répond aux défis posés par l’IA », explique Olivier Celnik, conseiller national de l’Ordre des architectes.
Le droit d’auteur constitue un autre sujet de préoccupation de l’Ordre. Dès 2018, l’Union Nationale des Syndicats Français d’Architectes (UNSFA) est montée au créneau après qu’Autodesk eut annoncé le lancement de solutions de conception générative pour la construction. Son algorithme analyse des millions de designs afin de choisir ceux qui correspondent à un contexte ou à un cahier des charges précis. L’UNSFA a dénoncé un pillage de la propriété intellectuelle des architectes à l’échelle mondiale. Elle craint aussi une dérive vers une architecture du « remâché », qui ne fait que recycler le passé au lieu d’inventer l’avenir.
« Nous recommandons déjà aux architectes de ne pas entrer leurs données dans des logiciels s’il y a un risque qu’elles soient ensuite reversées dans le domaine public, explique Olivier Celnik. Cocher une case de refus de partage de données ne constitue pas une garantie suffisante. »
Provencher_Roy est bien consciente de ce risque. « Au départ, je souhaitais trouver un concepteur de logiciels qui pourrait nous fabriquer un outil IA qui puiserait uniquement dans nos référents et qui les garderait chez nous, raconte Claude Bourbeau. Mais actuellement, c’est une solution inabordable. »
Le cabinet cherche un point d’équilibre qui lui permettrait de tirer profit de l’intelligence collective pour améliorer sa pratique, sans dilapider son savoir-faire ni affaiblir son identité créatrice. « Cette identité réside dans notre processus et dans la manière dont nous effectuons la synthèse de différents éléments, notamment ceux proposés par l’IA », estime Philippe Mizutani.
Il s’interroge tout de même, dans un contexte où l’architecte peut très bien demander à un logiciel comme Midjourney de concevoir un bâtiment qui ressemble à une œuvre de l’architecte et urbaniste Zaha Hadid. « Si un logiciel peut simuler facilement le langage associé à une pratique, cela soulève la question de ce qui fonde l’identité et la qualité d’une pratique architecturale, reconnaît-il. Je n’ai pas encore de réponse à cette question. »

de rétroaction humaine, génération de 42 plans
Photo: Atelier L’Abri, Maket
Entretenir son savoir-faire
Il n’y a pas qu’au Québec et en France que l’on se questionne sur l’avenir de l’IA dans la profession. Sergei Tchoban, directeur général de la société allemande Tchoban Voss Architekten, est un passionné des esquisses dessinées à la main, une technique qu’il continue d’utiliser malgré le règne d’AutoCAD. Il a même créé une fondation et un musée à Berlin consacrés au dessin architectural. Pour lui, l’enjeu le plus fondamental est le risque que le recours à l’IA engendre une érosion des compétences ou de la force créatrice des architectes.
« Il y a un ascenseur dans le bâtiment où je travaille, mais je prends les escaliers, car ça m’aide à rester en santé, illustre-t-il. C’est la même chose avec l’IA. Si je lui délègue trop de tâches, je risque de perdre des habiletés. »
Il s’inquiète aussi de voir apparaître une architecture un peu fade et répétitive. « En 1910, Walter Gropius a bouleversé l’architecture européenne en concevant l’usine Fagus, qui rompait avec l’architecture traditionnelle, évoque-t-il. L’IA ne m’apparaît pas capable de produire ce type de rupture. Elle choisit parmi tout ce qui a déjà été construit. » Rappelons que l’usine Fagus a introduit plusieurs fondements importants de l’architecture moderne fonctionnaliste, avec ses murs-verrières et une structure porteuse épurée.
Un certain consensus semble donc s’installer : l’IA peut devenir un outil puissant, à condition d’être conçue pour bien servir les architectes, d’être encadrée de manière éthique et de rester cantonnée à un rôle d’assistance.
Il demeure que l’IA devient rapidement un incontournable dans la profession, estime Stéphane L’Abbé. « Les premiers cabinets qui l’adopteront se démarqueront alors que ceux qui refusent de l’utiliser ou dont les structures rigides en compliquent l’adoption risquent d’en souffrir sur le marché », affirme-t-il.