Le désir de transmettre des connaissances aux stagiaires en architecture est au coeur des préoccupations des maîtres de stage. Or, beaucoup déplorent l’écart entre la formation des stagiaires et la réalité de la profession. Témoignages.
Ce qui motive Réjean Savoie, architecte, fondateur de RSArchitecture, à accueillir des stagiaires, c’est l’envie de leur transmettre sa passion pour la profession. « C’est crucial pour moi de les guider afin qu’ils acquièrent la polyvalence que requiert notre rôle. Je leur apprends à être autonomes et à maîtriser toutes les facettes de la pratique. »
Après avoir évalué leur niveau de connaissances et de compétences, il les met constamment en situation, leur présente des mandats clairs, variés et stimulants. « Je leur confie des tâches importantes. Par exemple, je les envoie sur les chantiers pour qu’ils tâtent la réalité du terrain et gagnent en aplomb. Puis, j’assure une supervision à chaque étape. » Tout cela dans le but de compléter la formation universitaire, à laquelle il reconnaît de nombreuses forces, mais aussi certaines lacunes. « Les premières années d’études architecturales doivent rester théoriques et nourrir l’imaginaire, et on y parvient très bien, soutient-il. En revanche, la dernière année devrait être davantage axée sur la pratique. »
Pour Patrick Littée, architecte et directeur de la pratique professionnelle à l’OAQ, la formation offerte par les écoles d’architecture est à la hauteur, et il faut la voir comme une étape parmi d’autres dans le processus menant au titre d’architecte. « Même si la formation universitaire répond aux standards du Conseil canadien de certification en architecture, la profession s’apprend aussi par itération. Il faut faire et refaire, approfondir ses connaissances. Cela demande une réelle volonté de la part des stagiaires et des maîtres de stage. »
En échange de leur engagement, les maîtres de stage bénéficient de la contribution des stagiaires à court ou à plus long terme. De leur côté, les stagiaires ont l’occasion d’acquérir une véritable expérience en architecture. « Le stagiaire aura pu tester ses compétences dans le feu de l’action, de même que sa faculté d’intégration au sein de ses équipes », dit Patrick Littée. Pas de doute, c’est une relation donnant-donnant.
Un encadrement exigeant
Une architecte d’un grand cabinet, qui a requis l’anonymat, estime cependant que nombre de stagiaires que sa firme reçoit ne sont pas en mesure d’exécuter l’ensemble des tâches exigées par le Programme de stage en architecture. « À l’école, les finissants consacrent 90 % de leur temps à faire de la conception et à peine 10 % à se pencher sur les aspects pratiques, dit-elle. Or, la réalité est inverse sur le marché du travail. » Elle préconise une formation plus pragmatique « qui lie les compétences conceptuelles et pratiques ».
« C’est stressant et difficile pour les plus motivés et talentueux ! » ajoute-t-elle. Si l’encadrement est exigeant pour les stagiaires, l’architecte croit néanmoins à l’importance de rester constructive dans ses interventions, du début à la fin de chaque stage qui se déroule à son bureau.
La mission de maître de stage est stimulante, poursuit-elle, mais elle peut s’avérer complexe sur les plans du soutien aux apprentissages et de la disponibilité des équipes. C’est pourquoi elle recommande fortement de maintenir un ratio de cinq personnes par stagiaire.
L’architecte demeure malgré tout optimiste et donne un dernier conseil aux maîtres de stage et aux établissements de formation : « Ayons confiance en nos jeunes, ils sont inspirants, talentueux et avides d’apprentissages. Donnons-leur les outils pour qu’ils performent à la hauteur de leurs talents dès leur entrée sur le marché du travail. »
Pour sa part, Réjean Savoie participerait volontiers à une activité de formation de l’Ordre sur la gestion des ressources humaines. « Les façons de gérer ne cessent d’évoluer. Comment recruter et encadrer ceux et celles qu’on prend sous notre aile ? C’est un enjeu réel. »
Comment mieux soutenir les maîtres de stage ? Doit-on établir une limite quant au nombre de stagiaires que l’architecte peut former ? « Ce sont des questions qu’on se pose », dit Patrick Littée, évoquant la réflexion en cours à l’OAQ.
Une contribution informelle
Des membres émérites de la profession, à la retraite ou toujours en activité, offrent un accompagnement informel à la relève. C’est le cas de Claude R. Bisson, architecte, président fondateur de Bisson | Associés, aujourd’hui devenue Circum architecture. Fort de ses 50 ans d’expérience, il n’est pas près de s’arrêter. « Le contact humain, c’est ce qui me pousse à me pointer régulièrement au bureau. »
Son modus operandi ? « J’interviens de façon ponctuelle auprès des stagiaires ou des jeunes architectes qui se mesurent à des projets d’envergure. » Ainsi, lorsqu’une lacune technique lui saute aux yeux, il va droit au but. « Si on veut vraiment transmettre son savoir, il ne faut pas avoir peur de soulever ce qui pourrait poser un problème, et en aviser la personne. C’est la condition pour former des architectes de qualité. Cela dit, je ne me prononce jamais sur l’aspect conceptuel. »
Pragmatique, l’architecte préfère se concentrer sur les aspects techniques et la coordination des parties dans un projet. À son avis, c’est là que le bât blesse. « Je le constate : des jeunes manquent parfois de connaissances dans le développement d’un chantier. Certains réflexes leur échappent. » Est-ce par manque de temps ou de formation ? « Probablement un peu des deux, croit-il. Mais une fois que les stagiaires intègrent les compétences voulues, on note la rapidité de leur progrès et leur contribution à l’avancement de nos projets. C’est d’ailleurs ce qui m’apporte le plus
de satisfaction. »