Depuis 20 ans, l’architecte Marc Blouin a acquis une expertise précieuse au nord du 55e parallèle. Son approche sensible, fondée sur le respect et la collaboration, contribue à l’épanouissement des communautés nordiques.
La passion de Marc Blouin pour les projets nordiques est palpable. Pourtant, cette spécialisation n’était pas planifiée. C’est plutôt au gré des rencontres et des hasards que l’architecte, cofondateur de la firme Blouin Orzes architectes, s’est mis à explorer le Nunavik.
Son engagement envers les habitants du Nord et sa générosité à transmettre ses connaissances lui valent le prix Engagement social, qui récompense un architecte pour sa sensibilité au bien-être de la collectivité ou pour sa contribution exceptionnelle à l’amélioration du milieu de vie de populations vulnérables.
L’aventure arctique de Marc Blouin a commencé au tournant des années 2000 lorsqu’il a conçu l’hôtel coop d’Inukjuak pour la Fédération des coopératives du Nouveau-Québec, communément appelée les coops du Nunavik. « On a construit huit ou neuf [de ces hôtels coops] depuis. De fil en aiguille, on a obtenu d’autres mandats, notamment des centres culturels, et 75 à 80 % de notre travail se concentre aujourd’hui sur ce territoire », précise l’architecte.
Marc Blouin et son équipe se rendent sur place au moins une fois par mois. Les longs délais qui séparent chacune des étapes des projets sous ces latitudes – ils s’échelonnent parfois sur de nombreuses années – leur permettent d’en mener plusieurs de front.
Une intégration réussie
Pour Geneviève Vachon, professeure titulaire à l’École d’architecture de l’Université Laval et directrice du partenariat de recherche Habiter le Nord québécois, l’empreinte de Marc Blouin au Nunavik est importante. « Ses bâtiments s’intègrent bien dans le paysage et dans le quotidien des habitants. Sa force est de pratiquer une architecture de qualité, rigoureuse et qui en même temps fait écho à ce que sont les gens de l’endroit. Il ne travaille pas seulement pour les communautés, mais avec elles. »
Elle souligne d’ailleurs que l’architecte a généreusement participé à toutes les grandes séances de travail d’Habiter le Nord québécois depuis 2015. « Il est notamment venu en moto à Uashat pour collaborer à une activité de deux jours, même s’il n’avait pas beaucoup de temps. » Il a alors alimenté les discussions avec des professionnels allochtones et autochtones autour de l’aménagement autochtone durable.
Louis Gagnon, directeur du Département de muséologie de l’Institut culturel Avataq, connaît Marc Blouin depuis une quinzaine d’années et il abonde dans le même sens. « Son architecture provient d’une réflexion sur le paysage et les gens. Elle participe à la culture des Inuits sans la copier, sans tenter de s’y substituer », estime-t-il.
Ce spécialiste de la culture inuite admire également l’homme. « Il ne vend pas un design. Il vend une façon d’occuper l’espace et de remplir des fonctions. Il est très sensible, respectueux dans sa démarche. Il laisse place à la discussion, il écoute et s’adapte. »
La communication n’est toutefois pas toujours simple. « Quand on fait une présentation, on lance une ou deux phrases en anglais, puis l’interprète traduit en inuktitut. S’ensuit dans la salle une conversation sur le projet où on n’a aucune idée de ce qui se dit. On doit se fier au ton, aux émotions. On navigue à l’aveugle », dit Marc Blouin. Malgré tout, la petite équipe réussit à répondre aux attentes.
Place à la couleur
L’architecture de Marc Blouin se caractérise par l’emploi de la couleur. « Ce sont des bâtiments implantés dans des paysages spectaculaires. On fait appel aux couleurs vives pour qu’ils deviennent des repères », explique-t-il. Son hôtel coop à Umiujaq, paré de vert pomme, fait figure de phare. Même chose pour le bureau municipal de Puvirnituq, revêtu de bleu royal.
En raison des multiples contraintes et défis du travail dans le Nord – coûts de construction élevés, climat rude, éloignement, disparités linguistiques et culturelles –, l’architecte mise sur des formes simples. « De nombreuses communautés inuites étaient nomades jusqu’à il y a à peine 70 ans, rappelle Marc Blouin. Leur rapport au construit est donc nouveau. Il faut être à l’écoute de leurs besoins et aborder les mandats avec beaucoup d’humilité. »
Une tout autre réalité
On saisit à quel point la pratique de l’architecte au Nord est différente de celle au Sud en écoutant Marc Blouin décrire la réalisation dont il est le plus fier.
À Kuujjuarapik se dresse depuis 2018 un édifice d’un jaune pimpant, la salle multifonctionnelle Katittavik. Blouin Orzes a réalisé le mandat du début à la fin, ce qui entraîne des tâches qui vont bien au-delà de l’architecture. La firme a travaillé plusieurs années à la conception en dialoguant avec les membres de la communauté pour élaborer le programme, qui est passé d’une simple salle communautaire à un véritable centre culturel. Elle a même participé à la recherche de financement quand le projet a pris de l’ampleur. La salle multifonctionnelle de 300 places accueille aujourd’hui des spectacles, des projections cinématographiques et des activités traditionnelles tels le chant de gorge ou le conte.
Ce mandat a été déterminant pour Marc Blouin. « Malgré la dure réalité sociale que l’on voit dans les médias, il y a des choses extraordinaires qui se font au Nunavik. Des leaders locaux impliqués mènent les projets à bout de bras. Ce qui ressort [chez le peuple inuit], c’est une résilience qui impose le respect. »
Marc Blouin estime qu’il est du devoir de l’architecte de s’engager socialement. « Pour moi, ça s’est fait naturellement. Je ne peux pas nier que mon travail dans le Grand Nord a changé mon regard sur l’architecture. Ça a donné un sens à ma pratique. » Maintenant qu’il a saisi la culture, le contexte social et physique qui entoure la conception architecturale au Nunavik, l’architecte n’a aucune envie de se réorienter. Il continuera à y faire sa marque, un immeuble à la fois.