Maurice Desnoyers reçoit cette année le coup de chapeau suprême de l’OAQ : la médaille du Mérite. Celle-ci récompense l’ensemble de la carrière d’un architecte et sa contribution exceptionnelle à la profession. Portrait d’un professionnel à la vision inspirée.
L’architecte Moshe Safdie a connu Maurice Desnoyers à la fin des années 1960. Il a collaboré avec lui à plusieurs réalisations, notamment le Musée de la civilisation de Québec et le pavillon Jean-Noël Desmarais du Musée des beaux-arts de Montréal. « Nous partageons les mêmes valeurs, dit-il en entrevue. J’admire sa volonté de préserver le patrimoine historique au Québec. Il sait s’y prendre avec les gens, et ça l’a aidé à surmonter bien des objections. »
Le parcours d’un pionnier
Né en 1927 à Saint-Hyacinthe, Maurice Desnoyers est le sixième d’une famille de 11 enfants. Son père est boulanger. Quant à sa mère, elle verrait bien son petit Maurice en curé. Ce dernier souhaite plutôt apprendre l’anglais et exercer une profession. À la fin des années 1940, il s’inscrit donc en génie à l’Université McGill.
Deux ans plus tard, il passe à l’architecture. « J’avais trouvé ma passion », confie-t-il. À la fin de ses études, il quitte le Québec pour l’Europe avec sa femme. Il étudie à la Sorbonne, puis visite plusieurs pays européens en 1955 et 1956. Pendant ce séjour, il travaille notamment sur le bâtiment de l’UNESCO, à Paris, pour la célèbre agence Zehrfuss, Breuer, Nervi.
« Nous avions décidé dès le départ que, si un mandat n’améliorait pas la société, il n’était pas pour nous »
– Maurice Desnoyers
En 1957, il fonde au Québec la firme Desnoyers Mercure & Associés, avec André Mercure. « Nous avions décidé dès le départ que, si un mandat n’améliorait pas la société, il n’était pas pour nous, raconte-t-il. Ni lui ni moi n’étions dans ce métier pour faire de l’argent. »
Au fil des ans, Maurice Desnoyers a laissé sa griffe sur plusieurs édifices muséaux, institutionnels et résidentiels. L’architecte tire une fierté particulière de trois de ses réalisations des années 1970 : les Jardins Prince-Arthur et le cours Le Royer à Montréal ainsi que la planification et la construction de la ville de Fermont, sur la Côte-Nord.
Le respect du patrimoine
Vers 1969, l’Université McGill envisage de démolir cinq maisons victoriennes de la rue Prince-Arthur pour ériger à la place un immeuble de 10 étages. Maurice Desnoyers convainc les responsables de préserver ces maisons en les jumelant au nouvel édifice, ce qui créera un ensemble d’une grande valeur. Une fois terminé, le projet des Jardins Prince-Arthur remporte la médaille Massey du gouverneur général en 1975 et suscite des projets analogues dans d’autres secteurs historiques. « Ce projet de recyclage a retenu l’attention et a ouvert la voie à la réhabilitation du Vieux-Montréal », constate l’architecte.

Photo : DMA architectes
Dans la même veine, l’architecte entame par la suite le projet du cours Le Royer. Il s’agit de transformer quatre magasins-entrepôts du Vieux-Montréal en lofts résidentiels, une idée nouvelle. Clément Demers était alors architecte à la Ville de Montréal. « De très nombreux obstacles se dressaient devant ce projet », rappelle-t-il.

Photo : DMA architectes
C’est que cette idée allait à l’encontre de plusieurs règlements de l’époque. L’occupation au sol était de 100 %, alors qu’elle ne devait pas excéder 50 % pour des projets résidentiels. Les unités étaient construites dans des structures de bois qui dépassaient trois étages, le maximum alors permis. Le ratio de fenestration par rapport à la superficie de plancher ne respectait pas la loi. Bref, de nombreuses dérogations se sont avérées nécessaires. « Il a fallu beaucoup de courage, de détermination et de patience à M. Desnoyers pour aller de l’avant, dit Clément Demers. Il a une personnalité agréable, mais il sait se montrer tenace. »
Maurice Desnoyers n’a d’ailleurs pas hésité à en appeler directement au maire Jean Drapeau pour surmonter les objections de la Commission Jacques-Viger, alors chargée d’évaluer les projets de construction dans l’arrondissement historique. Plus tard, l’achat d’une unité résidentielle par le premier ministre du Québec, René Lévesque, aura un effet catalyseur sur les ventes, poussives au départ en raison du caractère novateur du bâtiment composé de lofts.
Le comité qui lui a décerné la médaille du Mérite a salué ce rôle de pionnier en matière de réhabilitation d’immeubles patrimoniaux désaffectés. Le cours Le Royer, notamment, a incité des centaines de résidents à s’installer dans le Vieux-Montréal et a contribué à le mettre en valeur.
Planifier une ville
Au début des années 1970, Maurice Desnoyers a aussi conçu et dirigé l’aménagement de la ville minière de Fermont avec l’architecte et urbaniste Norbert Schoenauer, une autre réalisation soulignée par le comité. La pièce maîtresse en est une version améliorée du concept de bâtiment-écran de l’architecte britannique Ralph Erskine.

Photo : DMA architectes
Le désormais mythique « mur », long de 1,3 km, coupe le vent du nord et crée un microclimat moins rigoureux dont bénéficient les maisons disposées au sud. En préconisant le recours à la préfabrication de composantes légères en bois, Maurice Desnoyers, en collaboration avec l’entreprise Désourdy et l’architecte Adrian Sheppard, a réussi à limiter les coûts de construction, ce qui a permis au projet de voir le jour.
Maurice Desnoyers conseille aux jeunes professionnels d’ouvrir leurs horizons et de s’intéresser à l’urbanité, à la place de l’architecture dans l’environnement et au patrimoine. « Avant de mettre une construction ou un ensemble urbain de côté, il importe vraiment d’en comprendre la valeur », conclut-il.