L’œuvre architecturale de Pierre Thibault se distingue par sa simplicité formelle et son profond respect de l’environnement. Cette démarche exemplaire, alliée à ses engagements sociaux, lui vaut la médaille du Mérite 2025 de l’OAQ.
À sa mère qui s’inquiétait de ses retours tardifs de l’école primaire, le jeune Pierre Thibault expliquait qu’il prenait le temps de sillonner les rues pour dénicher la plus belle maison du quartier. En classe, durant son temps libre, il noircissait des cahiers entiers de croquis d’habitations de toutes sortes. Il s’amusait également à concevoir et à construire des tentes et des cabanes. Devant cette passion dévorante, son père ne put que constater : l’architecture était chez son fils « une vocation impérieuse ».
Né à Montréal, mais ayant grandi à Québec, Pierre Thibault garde un profond souvenir du chalet de l’un de ses oncles situé sur une île, en pleine nature. De ses yeux d’enfants, il constatait que son parent se comportait différemment quand il se retrouvait dans ce havre de paix. « J’ai eu très tôt ce plaisir de bâtir, et aussi le sentiment que certaines habitations dans des lieux singuliers étaient propices pour se rassembler et passer du bon temps avec les autres », avance-t-il.
S’adapter à l’environnement
Cette idée que l’habitation doit s’inscrire harmonieusement dans son environnement, que ce soit en pleine nature ou dans un milieu déjà construit, reste au cœur de son œuvre. Une approche un peu oubliée dans les pratiques architecturales à partir des années 1960, mais qui n’est pourtant pas nouvelle, à son avis.
Il se remémore des discussions à ce sujet avec son grand-père charpentier, qui lui expliquait comment, autrefois, les gens de son village offraient leurs conseils pour choisir l’emplacement d’une grange ou d’autres bâtiments en tenant compte de la direction des vents, de l’exposition au soleil, de la pente du terrain, etc.
« Ils construisaient avec des matériaux locaux, portaient attention à la disposition des fenêtres, se chauffaient avec du bois mort et puisaient l’eau près de chez eux, en plus de s’inscrire dans la topographie des lieux sans bouleverser l’environnement, rappelle-t-il. Plusieurs de ces bâtiments seraient considérés comme LEED Or aujourd’hui ! »
Selon lui, la société de consommation et l’évolution des techniques de construction ont gâché cela, en offrant un accès facile à des matériaux étrangers et en favorisant la standardisation d’une architecture détachée du territoire.
Ce souci du rapport à l’environnement, on le trouve dans plusieurs créations de Pierre Thibault. Que l’on pense à la maison Les Abouts, à Saint-Edmond-de-Grantham, qui semble littéralement perchée dans la forêt, ou encore à l’Abbaye Val Notre-Dame, à Saint-Jean-de-Matha, dans Lanaudière, dans laquelle une partie de la forêt existante a été préservée au cœur même du cloître.
En milieu urbain, la résidence de la rue Resther, sur Le Plateau-Mont-Royal, à Montréal, illustre une approche tout aussi sensible envers l’environnement bâti qu’envers la nature. On y trouve notamment des teintes en harmonie avec les couleurs du quartier ainsi que des éléments architecturaux – entrée, balcons – qui réinterprètent les typologies locales.

Atelier Pierre Thibault
Photo : Maxime Brouillet

Des valeurs à transmettre
Pour l’architecte de Québec, la qualité du bâti repose sur cinq éléments : l’efficience de la construction, l’amélioration de la vie des personnes qui l’utilisent ou l’habitent, l’intégration culturelle, le respect du budget et la durabilité. Ce dernier point est devenu crucial, selon lui. « Nous devons apprendre à bâtir systématiquement carboneutre », soutient-il.
Il s’efforce de transmettre ces valeurs comme professeur à l’École d’architecture de l’Université Laval, son alma mater. C’est là que Luis Casillas, qui y enseigne aussi, l’a rencontré en 2011. « Dès nos premiers échanges, j’ai été frappé par la clarté de sa pensée architecturale et par la cohérence remarquable entre sa posture pédagogique et ses réalisations », dit-il.
D’après lui, Pierre Thibault est un pédagogue inspirant et bienveillant. « Il invite les étudiants à développer leur propre regard sur le monde en les amenant à explorer le projet architectural comme une expérience sensorielle et contextuelle », ajoute-t-il. Dans ses ateliers, il privilégie le travail en maquette, l’étude attentive du site et la connaissance des matériaux. Il insiste sur l’importance du silence, de la lenteur et de l’intuition pour aider les architectes en devenir à se débarrasser du superflu.

des fumoirs à poisson longtemps en usage sur l’île, Atelier Pierre Thibault.
Photo : Alex Lesage
Un architecte engagé
La générosité de Pierre Thibault dépasse les murs de l’université. L’architecte Martin Houle, directeur et fondateur de Kollectif, se souvient de sa disponibilité lorsqu’il lui a proposé, en 2015, de participer au jury du concours de design rural Les sept épouvantails. Dans celui-ci, des designers et des architectes devaient concevoir sept épouvantails géants pour bonifier le parcours du géorallye, qui traverse sept municipalités de la MRC de Pierre-De Saurel. « J’étais un peu gêné de le solliciter, mais il a dit oui tout de suite, raconte-t-il. Lorsqu’on a besoin de lui, il répond toujours présent. »
Martin Houle admire également sa volonté d’amener l’architecture hors des grands centres. Il cite en exemple la résidence des stagiaires des Jardins de Métis, qui reprend la volumétrie des maisons pittoresques de la région. Son enveloppe en lattis de cèdre laissé à l’état naturel se patinera au fil des saisons pour se fondre encore plus dans l’esprit du lieu.
Autre réalisation emblématique de cette approche : Les boucaneries, présentées à la 19e Exposition internationale d’architecture (Biennale d’architecture 2025 de Venise) en cours. Avec la participation d’une cinquantaine de personnes résidant sur l’île Verte, dans le Bas-Saint-Laurent, l’Atelier Pierre Thibault a réinterprété les anciens fumoirs de poisson pour imaginer de nouveaux usages comme des serres communautaires, des ateliers d’artistes et des lieux de rencontre.
Mais au-delà de l’architecture, Martin Houle souligne la bienveillance, l’ouverture et l’esprit de collaboration de Pierre Thibault. « Je me souviens de lui avoir fait part de certaines périodes où j’étais plus découragé, et il m’a immédiatement dit de l’appeler quand je ressentais cela, confie-t-il. C’est quelqu’un qui te regarde droit dans les yeux et qui semble toujours content de te voir. »

Un regard critique
Pierre Thibault se montre toutefois plus intransigeant envers la direction que prend le bâti résidentiel au Québec. Il déplore qu’au nom de la crise du logement et du besoin de densification, on construise de grandes tours d’habitation à la hâte, dans des endroits inhospitaliers, comme le long des autoroutes, et sans tenir compte des besoins en lieux de rassemblement.
Il appelle à un changement de cap dans la planification urbaine pour y intégrer plus de vision. « Les architectes ne doivent pas rester cloîtrés dans l’indignation, avance-t-il. Nous devons nous engager pour améliorer les choses. Nous avons le talent et le pouvoir de le faire. »