Les exigences de performance énergétique des bâtiments ne cessent d’augmenter. Pour s’y conformer – et en tirer le maximum sur le plan conceptuel –, les architectes peuvent avoir recours à de nombreux logiciels de simulation thermique. Introduction.
Une pléthore de logiciels de modélisation permettent de simuler la performance thermique d’un bâtiment lors de sa conception ou même celle d’un ouvrage existant, en vue de sa rénovation. Cependant, encore bien peu d’architectes y ont recours, tendant plutôt à confier cette tâche à des spécialistes externes en génie, par exemple. Pourtant, la conception de l’enveloppe du bâtiment relève de l’architecte.
« Ces logiciels facilitent l’évaluation, en amont du projet, de l’impact de la conception sur la performance écoénergétique d’un bâtiment, précise Ivanka Iordanova, professeure au Département de génie de la construction de l’École de technologie supérieure (ETS). Ils permettent d’explorer différentes options en ce qui a trait à la fenestration, aux volumes, aux matériaux, etc. »
Par ailleurs, le nouveau chapitre I.1 du Code de construction du Québec sur l’efficacité énergétique du bâtiment rehausse considérablement les exigences pour les projets dont la réalisation commencera après le 27 décembre 2021.
« L’un des plus gros changements réside dans l’importance accordée à la performance de l’enveloppe et à la résistance thermique des ensembles de construction, qui visent à moins sous-estimer l’impact des ponts thermiques », explique Daniel Pearl, architecte associé principal à L’ŒUF architectes et professeur titulaire à l’École d’architecture de l’Université de Montréal.
« Les exigences sur le plan [énergétique] tendent à augmenter dans la réglementation, donc les simulations aident à s’y conformer »
– Mathieu Castonguay
Miser sur l’enveloppe
Bien sûr, les systèmes mécaniques peuvent aider à compenser une conception moins efficace sur le plan énergétique. « Mais ceux-ci nécessitent plus d’entretien et de réparations, donc, en termes de coûts, concevoir un bâtiment dont l’enveloppe est très performante en vaut la peine », avance Yan Ferron, ingénieur et directeur Écoénergie chez Pageau Morel et associés.
Les logiciels de simulation visent justement à atteindre cet objectif. Ils aident par exemple à calculer la valeur R réelle, c’est-à-dire la capacité d’un assemblage, tels un mur ou une toiture, à ralentir le flux de chaleur qui le traverse. Ils servent aussi à estimer la valeur U, qui indique le taux de transmission de la chaleur à travers les éléments d’un assemblage.
« Les exigences sur le plan de ces valeurs tendent à augmenter dans la réglementation, donc les simulations aident à s’y conformer », explique Mathieu Castonguay, ingénieur junior en mécanique à la firme Coarchitecture. De la même manière, ces logiciels appuient la quête des certifications environnementales, comme LEED ou Maison Passive.
La plupart des logiciels comprennent les données météorologiques historiques de différentes régions afin de tenir compte, dès la conception, des conditions climatiques du secteur où se trouve le site du bâtiment.
Une foule de logiciels
Les logiciels comportent deux éléments importants : l’interface et le moteur de calcul. L’interface sert à organiser et à visualiser les données tant à l’entrée qu’à la sortie. Le moteur de calcul analyse les données d’entrée qui portent sur la conception, les consommations énergétiques et les conditions climatiques.
L’un des moteurs de calcul les plus utilisés est EnergyPlus, que l’on trouve dans le logiciel SIMEB, ainsi que dans ArchiWIZARD, DesignBuilder et bien d’autres. Mis au point par le Département de l’Énergie des États-Unis, il simule l’impact de l’enveloppe, des systèmes mécaniques et des conditions d’éclairage naturel et artificiel.
Il est possible d’associer certains de ces logiciels à d’autres outils numériques, notamment dans un processus en modélisation des données du bâtiment (MDB/BIM). Par exemple, ArchiWIZARD est compatible avec les logiciels de conception de bâtiments Revit et Archicad ainsi qu’avec le logiciel de modélisation 3D SketchUp. Il permet d’importer des fichiers CAD/CAO. ClimaWin présente lui aussi une version BIM qui fonctionne sous Revit et Archicad.
Le grand défi consiste donc à faire son choix parmi cette vaste offre. Les logiciels gratuits, tels Therm ou SIMEB, constituent de bons points de départ.
Therm sert à modéliser les transferts de chaleur dans des éléments comme des fenêtres, des murs, des toits, etc., ainsi qu’à repérer et à mesurer les ponts thermiques. Il ne permet toutefois que des modélisations en deux dimensions.
Depuis 2011, l’emploi du logiciel SIMEB – conçu par l’équipe de recherche du Laboratoire des technologies de l’énergie (LTE) de l’Institut de recherche d’Hydro-Québec – est exigé pour obtenir un appui financier d’Hydro-Québec dans le cadre de projets d’optimisation de la performance énergétique d’un bâtiment neuf. Il est gratuit et accessible à tous les concepteurs et conceptrices. « Notre mandat consistait à démocratiser la simulation énergétique en offrant un logiciel gratuit et simple à utiliser », explique Karine Lavigne, chercheuse au LTE.
Rester critique
« L’apprentissage de ces outils n’est pas toujours simple, et les architectes doivent y consacrer un certain temps », concède Claudio Bardetti, directeur technique, consultation et mise en service chez UL Canada.
Les entreprises de conception de logiciels comme ArchiWIZARD, ClimaWin et Design Builder vendent des tutoriels et autres outils de formation. L’ETS offre des activités de formation qui portent sur la modélisation de la consommation énergétique d’un bâtiment réalisée à l’aide des logiciels eQUEST, CAN-QUEST et Open Studio. L’Institut canadien de formation en énergie propose pour sa part une journée de formation sur la modélisation de l’énergie des bâtiments.
Par ailleurs, ces outils ne sont pas des baguettes magiques. Il peut y avoir une différence entre les valeurs obtenues en simulation et la performance réelle du bâtiment construit. Parfois, cette différence s’explique par les limites des logiciels. « Les logiciels en 2D, par exemple, n’utilisent que la température de surface au milieu d’un élément, sans tenir compte d’aspects tels des coins plus froids, prévient Mihaela Badescu, chargée de projets, consultation et mise en service chez UL. Ils n’intègrent pas non plus l’humidité qui s’accumule dans certains matériaux comme le bois. »
D’autres variations n’ont rien à voir avec la simulation ou la réalisation. Ivanka Iordanova se souvient d’un bâtiment qui ne performait pas aussi bien que prévu durant l’hiver. Une petite enquête a permis de trouver la source du problème : des personnes sortaient fumer en laissant une porte ouverte pour ne pas se retrouver bloquées à l’extérieur. Difficile de prévoir une telle perte thermique lors d’une simulation numérique !
« L’efficacité de la modélisation dépend beaucoup de la qualité des données qui sont entrées et de la capacité à bien interpréter les résultats, prévient Normand Hudon, architecte senior principal et associé chez Coarchitecture. Même si les simulations se poursuivent tout au long du projet, il faut attendre la mise en service du bâtiment pour mesurer sa performance réelle. »
Mathieu Castonguay fait les mêmes constats et précise que ceux et celles qui emploient ces logiciels notent de légères différences entre les performances projetées et réelles. Il les estime à moins de 5 %, ce qui témoigne d’une efficacité acceptable en regard des avantages que ces simulations peuvent apporter dans la conception de bâtiments plus écoénergétiques. Les architectes ont donc tout intérêt à se les approprier. ●