Quand l’occupation temporaire ou transitoire d’un bâtiment est une solution viable pour prolonger sa vie et répondre à un besoin social, elle fait « mot compte triple » pour le développement durable.
Ici, un espace commercial est vacant parce qu’un restaurateur a fait faillite. Là, un édifice public est vide, car le gouvernement a déménagé ses bureaux ailleurs sans planifier une nouvelle vocation pour le bâtiment. S’ils ne sont pas chauffés et entretenus, ces bâtiments vont se dégrader, et ils pourraient finir par être démolis.
Ron Rayside, architecte associé chez Rayside Labossière, cite le cas du centre hospitalier Jacques-Viger, un imposant édifice de l’arrondissement Ville-Marie, à Montréal, construit il y a plus de 150 ans. Il est inoccupé depuis 2012. Il fait l’objet d’un projet résidentiel, communautaire et muséal qui chemine au ministère dela Santé et des Services sociaux, à la Ville de Montréal et parmi divers partenaires sociaux.
En attendant, il faut quand même entretenir minimalement le bâtiment et le chauffer, ce qui ne le soustrait pas aux actes de vandalisme. Or, un bâtiment ainsi altéré fait tache d’huile dans le quartier. « C’est une plaie pour la dynamique commerciale », dit Ron Rayside. Alors, pourquoi ne pas permettre son occupation temporaire par des organismes ou des personnes, le temps que le projet se mette en place ? Si ces derniers participent à la définition d’un projet permanent, on parle plutôt d’occupation transitoire.
Temporaire, en attendant le projet pérenne
Le concept d’occupation temporaire est né en Europe au tournant des années 2000. L’idée est d’offrir à des propriétaires de bâtiments vacants un service d’entretien en permettant à des organismes, à des entreprises ou à des projets citoyens de les occuper dans leur état actuel en attendant que des projets pérennes se mettent en place. « L’idéal est qu’il y ait le moins possible de travaux à faire, prévient Ron Rayside. Et si des aménagements sont nécessaires, ils doivent être génériques pour pouvoir être réutilisés. »
« On essaie de faire des aménagements réversibles et déplaçables », confirme Francis Lacelle, architecte, directeur au développement des projets chez Entremise, un organisme voué à la valorisation des bâtiments vacants. Le rôle de l’architecte est d’évaluer le potentiel et la sécurité du bâtiment et de le rendre fonctionnel avec un minimum d’aménagements. « C’est souvent une approche de modestie, reconnaît Ron Rayside. On l’a fait pour un édifice du réseau de la santé sur la rue De La Gauchetière, à Montréal. Le bâtiment était vide, et il y avait un besoin de refuge pour itinérants durant l’hiver. On a installé des douches et le reste de l’immeuble est resté intact. »
L’occupation temporaire peut prendre de multiples visages : on y a recours entre autres pour abriter des bureaux ou des ateliers d’artistes, ou pour accueillir des expositions. « Ce qui est intéressant, c’est que ça peut être tous ces usages au même endroit et en même temps, ce qui est rare dans un développement immobilier conventionnel », observe Philémon Gravel, détenteur d’une maîtrise en architectureet cofondateur d’Entremise.
Il donne l’exemple d’un immeuble de la rue Young, dans le quartier Griffintown, à Montréal, que la Ville projetait de démolir pour construire des logements sociaux. « Le bâtiment était chauffé au coût de 40 000 $ par année. On a eu une entente d’occupation temporaire à coût nul pour une période de 22 mois. » Entremise l’a aménagé pour y accueillir une trentaine d’organisations, en plus d’assumer les coûts d’électricité et de chauffage ainsi que les taxes foncières. « Le travail a été de révéler le potentiel du lieu et d’accompagner les organismes pour qu’ils se l’approprient. Au début, ils n’y voyaient qu’un entrepôt. Ensuite, ils y ont vu un milieu de vie », confie Philémon Gravel.
Transitoire, pour concevoir le projet pérenne

Photo : Entremise
Le bâtiment du projet Young sera démoli, comme prévu, sans égard aux organismes qui ont occupé les lieux pendant presque deux ans. C’est là que l’occupation temporaire se distingue de l’occupation transitoire. « Il y a une énorme différence entre un usage transitoire, qui ouvre le chemin à une intégration à long terme, et un usage temporaire, qui doit prendre fin », nuance Ron Rayside. Si l’occupation est temporaire, cela doit être clairement énoncé pour éviter de faux espoirs de permanence et ne pas nuire au projet pérenne initialement prévu.
En Europe, les expériences d’occupation temporaire ont fait évoluer le concept pour mener dans certains cas à des usages transitoires. « On s’est aperçu que [parfois] les occupants avaient le temps de se structurer, de mettre en place des modèles financièrement viables [de façon à créer] les prémices d’un projet pérenne. À partir de là, on a commencé à parler d’usage transitoire », explique Philémon Gravel.
Il donne l’exemple des Grands Voisins sur le site de l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul, à Paris. La Ville, qui prévoyait le transformer en écoquartier, en a autorisé l’occupation transitoire par quelque 250 associations, artisans et petites entreprises dont les activités ont teinté le projet pérenne. Même chose à l’hôtel Pasteur, à Rennes, où une occupation transitoire a pris forme à l’initiative de l’architecte Patrick Bouchain. Les acquis de cette phase transitoire ont plus tard été transmis au bureau d’architectes Encore Heureux, qui les a intégrés au projet pérenne, composé d’une école maternelle et d’espaces d’enseignement informels. Dans cette perspective, l’aménagement prend une tournure sociale. Il s’agit de tisser des liens avec les occupants et occupantes et de concevoir avec eux le projet en devenir.
C’est la voie que suit Entremise avec le projet La Cité des Hospitalières en transition*. L’organisme dispose de deux ans pour évaluer le potentiel de cet ensemble religieux montréalais en quête d’une nouvelle vocation, y installer des organismes qui formeront une communauté et trouver un modèle d’occupation économique viable.
Entremise mène aussi un projet avec la Société de développement Angus, à Montréal, et étudie la situation du patrimoine industriel de Shawinigan et du monastère des Ursulines à Québec.
Triple développement durable
« Le bâtiment qui respecte le plus le développement durable est celui qu’on garde, qu’on recycle et qu’on ne démolit pas », estime Ron Rayside. « L’énergie nécessaire pour extraire les matériaux, les transformer et construire le bâtiment a déjà été dépensée », précise Philémon Gravel. L’occupation temporaire ou transitoire est donc un bon pas vers le développement durable. Mais comme le dit Francis Lacelle, « un projet d’architecture n’est pas seulement un bâtiment dont on dessine les plans. C’est aussi un projet autour duquel on construit une communauté d’occupants pour faire vivre le bâtiment. En construisant les deux en parallèle, on arrive à un projet résilient et durable ». Le résultat se matérialise également par un projet viable sur le plan financier. L’occupation temporaire ou transitoire représente donc une contribution aux trois volets du développement durable : environnemental, social et économique. ●
* Une table ronde sur le projet La Cité des Hospitalières en transition a eu lieu en novembre 2020, lors du colloque de l’OAQ Quel avenir pour les ensembles et paysages patrimoniaux ?
La Fonderie Darling se fait une place dans la rue

Dans la Cité du Multimédia, à Montréal, l’ancienne fonderie des frères Darling a échappé à la démolition lorsque l’organisme d’évènements artistiques Quartier Éphémère (QE) s’y est installé au début des années 2000, avec le soutien de fonds publics et privés. Or le projet continue d’évoluer… à l’extérieur.
Caroline Andrieux, cofondatrice de QE et fondatrice et directrice artistique de la Fonderie Darling, se remémore les débuts de cette aventure. « Il y avait deux sections dans le bâtiment qui correspondaient à la direction qu’on voulait prendre, soit une salle d’exposition et des ateliers d’artistes. »
QE a d’abord racheté et rénové la section qui abrite les ateliers et loué la grande salle d’exposition en attendant de réunir les fonds pour l’acquérir. Dans cette salle, « on a gardé beaucoup de traces du passé comme la suie sur les murs, la patine de l’ancienne fonderie », dépeint Caroline Andrieux.
Au fil des ans, un volet urbain s’est ajouté au projet initial. « Ce qui s’est développé, et qu’on n’avait pas prévu, c’est la place publique devant les bâtiments », relate Caroline Andrieux. Pour présenter des installations artistiques à l’extérieur, QE demandait régulièrement à la Ville de fermer un tronçon de la rue Ottawa. « Petit à petit, on s’est rendu compte que ce tronçon pouvait devenir une place publique permanente », poursuit la directrice. La Ville a donné son feu vert et a retenu les services de l’agence Daoust Lestage pour la conception des espaces. L’inauguration est prévue pour 2022.