Au Québec, de nombreux anciens sites industriels pourraient bénéficier d’une requalification. Toutefois, mener un tel exercice en tenant compte de leur intérêt patrimonial exige des connaissances historiques et en aménagement.
L’ancienne brasserie Molson – établie depuis 1786 au centre est de l’île de Montréal – est entrée dans un processus de requalification depuis que l’entreprise a déménagé sa production à Longueuil, en 2021.
Le consortium qui a acquis le site de six millions de pieds carrés, composé du Groupe Sélection*, de Montoni et du Fonds immobilier de solidarité FTQ, a l’ambition d’en faire un quartier à usage mixte qui intégrera jusqu’à 6000 logements (incluant des logements sociaux), des bureaux, des espaces commerciaux et des places publiques.
La première phase du projet, lancée au printemps 2022, s’attaquera à la plus ancienne portion du site, l’îlot des Voltigeurs, qui rassemble l’essentiel des bâtiments ayant un intérêt patrimonial, dont « 75 % (…) seront conservés ou transformés », assurent les promoteurs.
Bien des regards sont donc tournés vers ce projet qui, en raison de son envergure, pourrait faire école en matière de requalification de notre patrimoine industriel.
Une valeur patrimoniale à reconnaître
Trouver une nouvelle vocation à un bâtiment industriel inutilisé, c’est souvent devoir réfléchir à la préservation d’un legs qui est encore moins reconnu que l’est, par exemple, le patrimoine religieux. Même si un projet d’inventaire a été réalisé au début de la décennie 2010 par l’Association québécoise pour le patrimoine industriel, et bien qu’on note une plus grande sensibilité qu’avant à l’égard du patrimoine industriel, la valorisation de nos anciennes manufactures et autres silos à grains se heurte notamment à des contraintes comme la contamination des sols ou un emplacement excentré ou périphérique.
Or, certains de ces bâtiments conçus pour une industrie disparue ou délocalisée demeurent des témoins précieux du passé d’une ville, de l’histoire d’une communauté.
Ainsi, le patrimoine industriel comporte notamment un important volet immatériel, souligne Christophe-Hubert Joncas, urbaniste à l’Enclume, une coopérative de travail qui accompagne les communautés dans la mise en valeur de leur territoire. L’Enclume a entre autres réfléchi, vers 2020, au potentiel de requalification du site de l’ancienne usine Canadian Celanese, à Drummondville. « Des savoir-faire et des innovations de portée locale à internationale ont été développés dans ces lieux, rappelle-t-il. Ceux-ci peuvent aussi être associés aux luttes ouvrières et aux mouvements sociaux. »
Viser la cohérence
Plusieurs variables entrent en jeu dans le choix d’une nouvelle vocation – nombre de bâtiments, année de construction, taux de contamination des sols, capacités du milieu, etc., mais, en fin de compte, c’est l’espace qui doit dicter le nouvel usage et non l’inverse. Trouver une vocation servant de trait d’union entre le passé et le présent semble être la voie à suivre.
Dans le cas de l’usine Celanese, l’équipe de l’Enclume a épluché les documents d’archives de la Société d’histoire de Drummond et de la municipalité. « Nous voulions comprendre la logique d’organisation du site et son évolution ainsi que l’histoire et les fonctions des bâtiments », raconte Christophe-Hubert Joncas.
Inaugurée en 1927, la Canadian Celanese produisait des fibres artificielles à une époque où cela représentait une grande nouveauté. Selon l’urbaniste, le site gagnerait à renouer avec la technologie de pointe. « Étant donné sa taille et le nombre de terrains contaminés, ce site pourrait constituer un superbe endroit pour expérimenter de nouvelles techniques de phytodécontamination, ce qui respecterait sa vocation traditionnelle d’innovation, en plus de l’embellir et de l’assainir. »
Préserver l’esprit du lieu
Il demeure que requalifier un ancien site industriel nécessite de « saisir l’esprit du lieu afin de le conserver et d’arriver à l’intégrer aux lignes directrices du nouveau projet », résume Luce Lafontaine, architecte, experte en patrimoine et consultante pour le consortium qui assure le réaménagement du site de l’ancienne brasserie Molson. « Il s’agit de laisser un cumul de traces qui maintient la compréhension de l’ancienne vocation. »
Parmi les éléments qui seront préservés sur le site Molson, il y aura non seulement l’horloge, l’enseigne, la cheminée et des bureaux administratifs, mais aussi des matériaux – pierre grise sur la rue Notre-Dame et brique rouge sur les façades côté fleuve. Sans oublier les vestiges archéologiques qui seront mis au jour durant les travaux, car « toutes sortes d’objets participent à la définition du caractère industriel d’un site », relève Martin Leblanc, associé principal de
Sid Lee Architecture, qui agit comme conseiller architectural dans ce projet.
« Le site de Molson est déjà une icône. Notre travail est de nous assurer [que ce caractère] demeure », conclut-il.
* Au moment d’aller sous presse, mi-novembre 2022, Groupe Sélection venait de se placer sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies.
Erratum : dans les légendes d’une version antérieure de cet article, nous avons omis de mentionner la collaboration de STGM Architecture dans le projet de redéveloppement de l’ancienne brasserie Molson.