C’est discrètement que Pauline Roy-Rouillard, première femme architecte au Québec, a fait sa place au cours des années 1940. Celle qui a su s’imposer par son talent, à une époque où les femmes n’osaient pas s’aventurer en architecture, s’est éclipsée de la même manière, le 5 juillet, à l’âge de 92 ans.
Lorsque Pauline Roy-Rouillard fait sa première demande d’admission à l’École des beaux-arts de Montréal, en 1936, le directeur rejette sa candidature « en raison de l’effet néfaste qu’elle aurait sur les étudiants mâles », se remémore le fils de l’architecte, Marc Rouillard.
Elle insiste et lorsqu’elle obtient finalement son diplôme, en 1941, elle est première de classe. Selon Katia Tremblay, auteure d’un mémoire de maîtrise sur les pionnières de la profession, la carrière de Pauline Roy-Rouillard constitue une exception notable. Il faudra attendre une dizaine d’années avant de voir à nouveau des femmes sur les bancs des écoles d’architecture.
Les recherches de Katia Tremblay sont les seules qui répertorient la production de l’architecte, avec qui elle a passé de nombreuses heures. « Dans les années 1940, il n’y avait pas de courant féminin en architecture, explique-t-elle. C’était très marginal. Le métier demandait de faire des charrettes le soir. On redirigeait donc les femmes vers des professions plus appropriées pour elles. »
PERSÉVÉRER
C’est la mère de Pauline Roy-Rouillard qui lui suggère de devenir architecte lorsqu’elle observe chez sa fille une passion pour les arts et les mathématiques.
En 1942, la grande dame devient la première à être admise à l’Association des architectes de la province de Québec, l’ancêtre de l’Ordre des architectes du Québec.
Même si elle possède un talent évident, elle est cantonnée à travailler à des projets résidentiels. « Dans les années 1940, on développait la banlieue, affirme Katia Tremblay. Pauline Roy-Rouillard ne pouvait pas participer à de grands projets puisque sa crédibilité était encore à construire. »
Consultant en architecture et patrimoine de Québec, Martin Dubois observe que cette pionnière a fait son chemin petit à petit, dans un monde dominé par les hommes. « Elle n’a pas révolutionné l’architecture, dit-il. Toutefois, elle faisait des maisons bien construites et confortables. C’était la chose à faire pour une femme à l’époque. »
Sa place, elle ne se l’est pas taillée en brisant des murs. Elle était une force silencieuse, selon son fils. « Pour elle, la discrimination n’existait pas. Il appartenait aux personnes de se faire valoir. Elle n’a jamais été impressionnée par le mouvement féministe. Elle a fait quelque chose pour les femmes, non pas en montant sur les tribunes, mais grâce à sa ténacité. »
FAIRE VIVRE UNE MAISON
Même si sa production n’est pas extravagante, tous s’entendent pour dire que l’architecte était très à l’écoute des besoins de ses clients. « Pour elle, une maison n’était pas qu’une construction, c’était un endroit vivant, dit Marc Rouillard. Elle évoquait toujours la vie que les gens y mèneraient. »
C’est à l’intérieur d’une maison qu’on voit sa qualité, croyait-elle. « Quand elle voyait des bâtiments avec de grandes colonnes pour épater les voisins, ça ne l’impressionnait pas », poursuit son fils.
Toutefois, lorsque le client lui laisse plus de liberté, on décèle dans ses projets une certaine inspiration moderne, remarque Katia Tremblay. « Elle aurait pu faire des choses différentes des autres, mais je crois qu’elle n’a pas cherché à se distinguer sur le plan stylistique, dit-elle. Elle ne voulait pas soulever de polémique. »
On lui doit quelques plans d’intérieur au parc Falaise, à Sillery, non loin de l’Université Laval, où elle habitera avec sa famille pendant environ 25 ans. Elle a aussi conçu des maisons pour le parc Thornhill, le parc Lemoine et dans Sillery Garden. En tout, elle a dessiné une soixantaine de résidences et autant, sinon plus, de projets d’agrandissement et de rénovations.
CONCILIATION TRAVAIL-FAMILLE
Malgré ses grandes ambitions professionnelles, Pauline Roy-Rouillard a toujours placé sa famille au premier plan. C’est d’ailleurs pour s’occuper de ses enfants qu’elle travaille à temps partiel au cours des premières années de sa carrière. « Elle avait la capacité d’être une entrepreneure, d’élever une famille et de garder sa crédibilité », dit Katia Tremblay.
C’était une pionnière de la conciliation travail-famille, selon son fils. « À cette époque, il y avait peu de femmes professionnelles. La plupart de celles qui travaillaient cessaient lorsqu’elles avaient des enfants. Ma mère a continué, coûte que coûte. »
En 1962, la mort de son fils Michel, alors âgé de 16 ans, dans un accident violent, met pourtant un frein à sa carrière d’architecte. « À ce moment, elle s’est tournée un peu plus vers les arts visuels, se rappelle Marc Rouillard. Elle avait vraiment besoin d’occuper son temps. »
Pauline Roy-Rouillard a d’ailleurs fait partie du groupe du peintre paysagiste Albert Rousseau. Ses œuvres ont été exposées à Québec, à Montréal, à New York et à Paris.
De 1968 jusqu’à sa retraite, en 1978, elle est la première femme à siéger au Conseil canadien de l’habitation. Elle travaille alors à de nombreux projets d’habitations à loyer modique.
Lorsqu’elle prend sa retraite, à l’âge de 60 ans, elle se plonge complètement dans sa peinture et sa sculpture. Katia Tremblay se rappelle qu’elle était plus positive quand elle parlait de sa production artistique que de ses projets d’architecture. « Elle ne se sentait pas comme une pionnière de l’architecture, dit-elle. Mais lorsqu’elle peignait, elle le faisait sans censure. »
« Le plus grand défi de ma carrière fut de persévérer », affirmait-elle en 1990, dans une rare entrevue au magazine Continuité. La production architecturale de Pauline Roy-Rouillard est humble, mais elle est néanmoins l’œuvre d’une douce entêtée qui a ouvert la voie aux femmes qui l’ont suivie.