En juin dernier, le gouvernement du Québec a enfin adopté la Politique nationale de l’architecture et de l’aménagement du territoire (PNAAT), 40 ans après la demande initiale de l’OAQ. Six protagonistes réagissent à la vision exprimée et formulent leurs propositions pour le futur plan d’action.
Valorisation du patrimoine existant
Un pas en avant important : c’est ainsi que Dinu Bumbaru décrit la PNAAT. « On parle d’architecture dans un contexte, dans son environnement. C’est un point essentiel. On peut faire quelque chose qui sera digne du 21e siècle avec ce qu’il y a là-dedans », croit le directeur des politiques d’Héritage Montréal.
Sans surprise, celui-ci s’est surtout attardé à la question du patrimoine. « En 2022, on devrait viser la qualité et l’excellence, pas juste dans le nouveau bâti, mais également dans la transformation des bâtiments existants. J’aurais aimé que la qualité dans la requalification du patrimoine fasse partie des orientations », admet-il.
Héritage Montréal travaillera donc avec le gouvernement pour s’assurer que le plan d’action prévoie des mesures concrètes pour le patrimoine, comme des prix d’excellence récompensant les meilleurs projets.
La fiscalité est aussi une avenue à considérer, selon Dinu Bumbaru. Ce dernier fait remarquer par exemple que les États-Unis ont mis au point une approche qui valorise l’investissement dans le bâti existant par l’entremise de crédits d’impôt et d’autres incitatifs. « La province pourrait se doter d’un modèle québécois qui encourage l’entretien et la requalification du patrimoine. »
L’expert souhaite également que l’on revoie les codes du bâtiment pour mieux y intégrer le patrimoine. « On s’attend à une nouvelle interprétation des codes
pour reconnaître le capital environnemental du bâti. »
De la formation sur le patrimoine serait par ailleurs utile aux professionnels et professionnelles et aux gens de métier, selon lui.
Accompagnement technique
L’Union des municipalités du Québec (UMQ) accueille favorablement la vision portée par la PNAAT. « Elle va contribuer à la lutte aux changements climatiques et au développement de milieux de vie dans chaque ville et chaque village au Québec », estime le président et maire de Gaspé, Daniel Côté.
Ce dernier croit que son adoption facilitera la tâche des villes au cours des prochaines années, en particulier en aménagement du territoire. Il salue la volonté du gouvernement de concentrer le développement dans les périmètres urbains, en misant sur des projets à échelle humaine.
L’UMQ souhaite que le plan d’action comporte des réformes législatives pour alléger certains processus. « On veut voir une nouvelle mouture de la Loi sur l’expropriation pour donner davantage les coudées franches aux municipalités qui désirent acquérir des propriétés pour améliorer le milieu de vie », illustre Daniel Côté.
En matière de qualité architecturale, les municipalités auront besoin d’un accompagnement technique, considère le président de l’UMQ. Il se réjouit d’ailleurs du futur partenariat renforcé entre le milieu municipal et le gouvernement pour réaliser des projets inspirés des meilleures pratiques, comme le précise la PNAAT.
« On n’a pas l’expertise, au niveau municipal, pour juger de la qualité architecturale des bâtiments. C’est un art, l’architecture. »
Le maire espère également que de l’aide financière sera prévue pour conserver et mettre en valeur les bâtiments patrimoniaux.
Place aux concours d’architecture
La politique réjouit le Bureau du design de la Ville de Montréal. « On attendait cet engagement depuis que Montréal a adopté l’Agenda 2030, qui prône aussi la qualité. On sent que plusieurs éléments de la PNAAT vont dans la même direction », souligne le chef d’équipe et commissaire Patrick Marmen.
La vision large de la qualité, qui inclut le développement durable, sa contribution à la vitalité économique, à la diversité et à la résilience des milieux, ainsi qu’au bien-être des populations, correspond à celle du Bureau du design. « On est contents de partager le souhait très clair de développer une culture de la qualité. Celle-ci demande un effort quotidien et une mobilisation du public », affirme Patrick Marmen.
Les municipalités étant au cœur de l’action en aménagement, celui-ci espère que le gouvernement deviendra un partenaire dans ce domaine. « On a besoin d’outils concrets pour nous aider à réaliser de la qualité en architecture. Le concours architectural est la meilleure technique pour y arriver. Ces projets obtiennent des prix d’excellence, démontrent l’exemplarité de la Ville. » Or, le recours au concours se trouve freiné par la règle du plus bas soumissionnaire. Patrick Marmen aimerait donc que le plan d’action y remédie.
En matière de sensibilisation à la qualité architecturale, ce dernier espère que Québec reconnaîtra l’expertise de la Ville de Montréal. « On fait la promotion
de la qualité depuis 30 ans. On a conçu beaucoup d’outils qu’on met en commun avec les autres villes. On a déjà parcouru un bout de chemin. »
En attente du plan d’action
Très investie dans le dossier lorsqu’elle était présidente de l’OAQ, Nathalie Dion considère le dévoilement de la vision de la PNAAT comme un succès. « C’est un premier jalon. Ça répond aux enjeux identifiés par l’Ordre. Je suis aussi contente que le gouvernement reconnaisse qu’il a des lacunes dans sa gestion et dans l’atteinte de la qualité architecturale. »
Elle attendra toutefois des mesures concrètes avant de sabler le champagne. « Est-ce que la PNAAT sera suffisante pour que le gouvernement prenne des décisions difficiles, comme la fin de la règle du plus bas soumissionnaire ? J’ai hâte de voir », illustre l’architecte associée chez Provencher_Roy.
Celle-ci souhaite également que l’ensemble des ministères adhère au plan de mise en œuvre et que le milieu municipal, qui est un grand donneur d’ouvrage, soit accompagné dans la démarche. « Les jeunes maires me donnent l’espoir que les choses changeront. Ils sont plus visionnaires que leurs prédécesseurs. »
Nathalie Dion croit fermement à l’importance d’une structure de gouvernance qui chapeauterait la politique et son application. « Ça prend une révision de la commande publique en architecture, qui a une grande influence sur le résultat », ajoute-t-elle.
Cette dernière apprécie par ailleurs que la vision présentée traite du cycle de vie des bâtiments. « Il faut qu’on arrête de penser dans l’immédiat et que l’on considère le long terme. Il faut analyser ce qu’un projet va coûter dans 50 ans. »
De l’avis de l’architecte, il faudrait définir les critères de la qualité architecturale pour l’évaluer. « On reconnaît néanmoins déjà que la qualité ne se limite pas à l’esthétique, qu’elle participe au bien-être. »
Importance des paysages
Comme Nathalie Dion, Rémi Morency a représenté l’OAQ au comité de rédaction de la Stratégie québécoise de l’architecture, l’un des documents qui ont servi de base à la PNAAT. Il s’inquiète toutefois d’une certaine dilution du volet architecture dans cette dernière. « En englobant l’aménagement du territoire, la vision embrasse très large. C’est presque une liste d’épicerie », constate l’architecte associé et urbaniste chez Groupe A/Annexe U.
Malgré tout, il estime que le Québec progresse. « C’est une grande avancée quant à la préoccupation de la qualité, qui nous faisait auparavant défaut. »
Il espère que le futur plan d’action se révélera réaliste. « La PNAAT vise une harmonisation des politiques de la part de plusieurs ministères et organismes territoriaux et municipaux. C’est déjà un objectif très ambitieux. »
Selon lui, les décisions prises dans le cadre de réglementations municipales ont beaucoup d’influence sur l’architecture. « Or, il y a souvent des contraintes incompréhensibles, des règles copiées-collées qui n’ont rien à voir avec les caractéristiques essentielles des milieux. » Rémi Morency estime donc qu’il faut revoir la réglementation municipale du cadre bâti.
Il souhaite également que le plan d’action sensibilise les instances décisionnelles et la population aux paysages et à leur valeur économique importante. « Il serait aussi essentiel de réaliser des études pour savoir dans quels milieux on doit intervenir. Le nerf de la guerre, c’est de choisir nos interventions avec soin. »
« Champions » de la qualité
Jacques White a passé toute sa carrière à espérer une politique semblable à la PNAAT. S’il considère comme « formidable » la reconnaissance par le gouvernement de l’intérêt public de l’architecture, il estime que la nouvelle politique manque pour l’instant de concret.
« La démarche a contribué à une prise de conscience commune qu’on ne peut pas continuer comme on le faisait au 20e siècle, se réjouit le professeur titulaire à l’École d’architecture de l’Université Laval. Le plus gros talon d’Achille de cette politique, c’est sa mise en œuvre. Ce n’est pas parce qu’on écrit de belles choses que ça donne des résultats. »
Pour passer de la parole aux actes, le professeur propose de nommer des « champions » de la qualité architecturale qui piloteraient tous les aspects d’un projet, du début à la fin.
Jacques White souhaite en fait que le plan d’action crée un écosystème de discussions sur la qualité architecturale. « Pour connaître la réalité vécue sur le terrain et ses conséquences, il faut mobiliser une forme d’intelligence collective. Ça prend une vision large et approfondie », explique-t-il.
Puisque la qualité est l’élément clé, celui-ci aimerait également que l’on fasse davantage confiance à ceux et celles qui la comprennent : architectes, ingénieures et ingénieurs et autres. « Ailleurs dans le monde, les milieux de qualité ont en commun cette liberté qu’ils accordent aux professionnels pour proposer des idées et innover. »
Selon le professeur, le Québec gagnerait lui aussi à laisser plus de place à l’innovation, à un certain goût du risque et aux expérimentations exemplaires. l
Une vision en quatre axes
Le document dévoilé le 6 juin par le gouvernement du Québec est une vision stratégique déclinée en quatre axes :
1 Des milieux de vie de qualité qui répondent aux besoins de la population;
2 Un aménagement qui préserve et met en valeur les milieux naturels et le territoire agricole;
3 Des communautés dynamiques et authentiques partout au Québec;
4 Un plus grand souci du territoire et de l’architecture dans l’action publique.
Le gouvernement dit s’être appuyé sur ses propres activités de consultation en aménagement du territoire tenues en 2021, sur la tournée de conversations publiques qu’a menée l’OAQ dans 13 villes du Québec en 2017 ainsi que sur l’apport de multiples spécialistes.
Le plan de mise en œuvre est attendu à l’hiver 2023.