L’évaluation d’un projet par un comité consultatif d’urbanisme (CCU) peut être source de frustrations pour les architectes. Les recommandations sont généralement formulées en leur absence, au cours de processus à géométrie variable. Exploration de quelques CCU pour éclaircir leur mode opératoire.

Un projet enfin accepté par le CCU dans sa quatrième mouture; un autre accepté à condition de modifier la toiture; la recommandation de revoir le rythme des ouvertures sans autres précisions… C’est le genre de situations que vivent les architectes qui doivent soumettre des projets à un CCU et donner suite à ses demandes, souvent sans connaître les éléments de réflexion qui les ont motivées.

Constituées en vertu de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, les CCU existent depuis 1979. Si une petite ville comme Saint-Lambert n’en compte qu’un, les grandes villes comme Sherbrooke et Montréal en ont un par arrondissement, plus un CCU central. Le fonctionnement de ces comités est régi par la municipalité et par le règlement interne de chacun des CCU, d’où la variété des approches. Si l’architecte a de quoi être dérouté devant de telles disparités, le service d’urbanisme de la Ville peut lui apporter des solutions.

« On n’essaie pas nécessairement d’avoir des experts. On souhaite plutôt avoir l’avis de citoyens et citoyennes ordinaires qui vivent sur place. »

Vincent Boutin, président du CCU de l’arrondissement de Fleurimont et du CCU de Sherbrooke

Composition changeante

« Les CCU sont en général constitués de deux ou trois élus et de quelques citoyens recrutés sur appel de candidatures », explique Patrice Furlan, président de l’Association québécoise d’urbanisme. Par exemple, le CCU de Saint-Lambert comprend deux élus et six citoyens, dont un membre de l’Ordre des architectes du Québec et un membre de la société d’histoire locale. À Drummondville, selon Patrice Furlan, qui est aussi chef de la division d’urbanisme de cette ville, « on essaie de réunir des gens qui ont des connaissances de la structure urbaine, de l’intégration architecturale et de la qualité du paysage urbain ». Relationniste à la Ville de Montréal, Serge Tsoto donne l’exemple de l’arrondissement de Ville-Marie, où les membres du CCU sont « sélectionnés selon l’expertise, le parcours de formation et le lieu de résidence dans l’arrondissement ». La situation est différente à Sherbrooke. « On n’essaie pas nécessairement d’avoir des experts, dit Vincent Boutin, président du CCU de l’arrondissement de Fleurimont et du CCU central. On souhaite plutôt avoir l’avis de citoyens et citoyennes ordinaires qui vivent sur place. »

Patrice Furlan rappelle toutefois que la plupart des services d’urbanisme des villes disposent de ressources professionnelles pour analyser les projets, qui ne sont d’ailleurs pas seulement évalués à l’aune de l’architecture.

Avant le CCU, le service d’urbanisme

C’est le service d’urbanisme qui vérifie la conformité du projet aux divers règlements et aux plans d’intégration et d’implantation architecturale (PIIA), puis qui présente son analyse au CCU. C’est pourquoi Julie Larose, qui est chef du Service de l’urbanisme, des permis et de l’inspection à Saint-Lambert, recommande aux architectes de « communiquer avec ce service pour connaître les critères qui touchent le secteur concerné ».

« En appliquant la grille d’analyse du PIIA, l’architecte peut vérifier si son projet répond aux critères, ajoute pour sa part Patrice Furlan. Il doit le faire avec objectivité et non en espérant que ça passe. »

À Sherbrooke, Vincent Boutin assure qu’une analyse réglementaire menée par le Service d’urbanisme « permet de présenter au CCU un projet réfléchi qui respecte la vision de la Ville et qui passe le test de l’acceptabilité sociale ». Même chose dans l’arrondissement montréalais de Ville-Marie, où « des échanges en amont entre les concepteurs ou promoteurs et la Division de l’urbanisme alignent les projets sur les critères établis par les règlements de l’arrondissement », selon Serge Tsoto.

Par la suite, « quand le projet est avancé et susceptible d’être approuvé par le CCU, on l’inscrit à la prochaine séance du comité », dit Patrice Furlan au sujet du processus à Drummondville.

Derrière les portes closes

En règle générale, lors de la séance du CCU, le service d’urbanisme présente les projets du jour aux membres du comité, qui procèdent à leur propre analyse. Les architectes sont rarement invités à présenter eux-mêmes leur projet, reconnaissent les intervenants interrogés. « On gère beaucoup de dossiers et on veut garder notre indépendance », explique Vincent Boutin.

Les points de désaccord, le plus souvent, sont le respect des caractéristiques architecturales du bâtiment original lors d’une rénovation, l’intégration d’éléments contemporains dans un secteur plus ancien et la cohabitation entre les usages résidentiels et industriels. À Saint-Lambert, les membres reçoivent les dossiers à évaluer dans les jours précédant la séance, ce qui leur permet de se rendre sur les sites des projets pour mieux juger de leur intégration dans le quartier.

À Sherbrooke et à Saint-Lambert, si le CCU peine à trouver un consensus, il demande à l’architecte de modifier ses plans avant de les soumettre une deuxième fois. Autrement, le CCU recommande au conseil municipal d’accepter le projet tel quel, de l’accepter à certaines conditions ou de le refuser. « Le CCU peut par exemple recommander d’accepter le projet à condition d’en bonifier les espaces verts, d’y ajouter une piste cyclable ou d’harmoniser son revêtement extérieur avec celui qui caractérise le quartier », illustre Vincent Boutin.

Avant la tenue du conseil municipal, le CCU de Sherbrooke informe l’architecte de sa recommandation. À Saint-Lambert, c’est plutôt le Service d’urbanisme qui assure le suivi avec l’architecte, lequel peut poser des questions pour mieux comprendre la nature de la recommandation.

Dans Ville-Marie, lorsqu’un avis est défavorable ou conditionnel, l’architecte est invité à revoir son projet en suivant les recommandations du comité. La version révisée du projet est ensuite présentée à une séance ultérieure du CCU, et la Division de l’urbanisme assure le suivi avec l’architecte, indique Serge Tsoto.

La véritable instance : le conseil municipal

Le CCU a un rôle consultatif : il transmet son avis au conseil municipal, à qui revient la décision. À Sherbrooke et à Saint-Lambert, le conseil renverse rarement l’avis du CCU. « Certaines municipalités se fient entiè­rement au CCU, admet Patrice Furlan. Mais, parfois, les municipalités acceptent un projet qui n’avait pas la faveur du CCU parce qu’il va relancer l’activité économique dans un secteur. » À Ville-Marie, « l’avis du CCU est pris en compte, mais ne garantit pas que le projet sera autorisé par le conseil municipal », affirme Serge Tsoto. Pour sa part, l’architecte Luc Gélinas a déjà défendu avec succès devant le conseil municipal de l’arrondis­sement de Rosemont–La-Petite-Patrie un projet résidentiel que le CCU avait refusé.

La situation varie donc d’un endroit à l’autre. Mais dans tous les cas, le service d’urbanisme est un allié dans la préparation d’un projet susceptible d’être accepté par un CCU.

Les conseils d’un habitué des CCU

Depuis le début de sa carrière d’architecte, Luc Gélinas a déposé plus de 225 dossiers devant des CCU. Formateur pour l’OAQ, il offre un cours portant sur la transformation des petits bâtiments dans lequel il traite notamment de la présentation de projets à un CCU.

Avant toute chose, Luc Gélinas recommande de connaître le règlement d’urbanisme et le PIIA du secteur d’implantation du projet. « S’il est mal informé, l’architecte perd de la crédibilité aux yeux des membres du CCU. Son projet ne sera pas pris au sérieux », dit-il.

Une rencontre avec le service d’urbanisme peut aider à « tâter le pouls » quant à la conformité du projet. « Il ne faut pas faire l’économie de ces rencontres, souligne le formateur. Le service d’urbanisme fait partie de la solution et doit croire au projet. Sinon, il ne sera pas capable de le défendre devant le CCU. »

L’architecte doit souvent défendre l’intégration du projet dans son environnement. Comme il s’agit d’un aspect plus subjectif de l’évaluation, le professionnel doit faire comprendre ses intentions et celles de son client au service d’urbanisme et au CCU. Or, comme les membres du CCU ont rarement une connaissance approfondie de l’architecture, l’architecte a tout intérêt à adapter son vocabulaire afin de vulgariser ses intentions.

En cas d’avis défavorable du CCU, l’architecte peut demander à rencontrer le service d’urbanisme pour mieux comprendre les points de désaccord et modifier le projet en conséquence. Le conseil final de Luc Gélinas : « Multiplier les présentations dans différentes municipalités pour gagner de l’expérience. »

Deux ans et demi pour un permis

Modélisation de l’église Saint-Victor
Illustration : Douglas Alford Architecte

L’église Saint-Victor, dans l’arrondissement montréalais de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, sera transformée en un ensemble comprenant un centre de jour, des logements pour personnes âgées en situation de précarité et une coopérative d’habitation. Ce projet, mené par le Groupe CDH et Douglas Alford Architecte, a été soumis au CCU de l’arrondissement en juillet 2016. Le CCU disposait d’un énoncé d’intérêt patrimonial de la Division de l’expertise en patrimoine et de la toponymie de Montréal. Après une première analyse, une révision des plans par les architectes et une deuxième analyse, le CCU a requis l’avis du comité mixte, composé du Comité Jacques-Viger et du Conseil du patrimoine de Montréal.

Les concepteurs se sont donc retrouvés avec trois séries de commentaires, parfois contradictoires. « Le CCU voulait une hauteur maximale de trois étages, l’énoncé patrimonial demandait de ne pas dépasser la hauteur de l’église et le comité mixte demandait d’envisager l’ajout d’un quatrième étage », dit Étienne Côté, l’architecte chargé du dossier. Les architectes ont cherché un consensus et modifié le projet, qui est retourné au comité mixte, puis au CCU n juillet 2018. Le permis a finalement été délivré en février 2019. « Les commentaires étaient pertinents et ont amélioré l’ensemble », reconnaît Étienne Côté. Il déplore cependant la longueur et l’incertitude du processus, qui compliquent l’évaluation des honoraires et le lancement des appels d’offres.