Partout au Québec, des architectes mettent leur savoir-faire et leur créativité au service de la conception de logements abordables de qualité, malgré des budgets restreints et des exigences administratives et réglementaires strictes. En voici trois exemples récents.
Un Toit Vert
Abordable et écologique
Situé dans l’écoquartier D’Estimauville, à Québec, Un Toit Vert est un ensemble de 70 logements abordables conçu par Lafond Côté Architectes et TERGOS Architecture, qui ont remporté un appel d’offres de la Ville de Québec. Le projet a reçu en décembre dernier la certification LEED platine. Il s’agit du premier bâtiment au Québec à l’obtenir dans la catégorie des habitations de moyenne hauteur.
« Le fait de devoir proposer une équipe complète avec architectes, architectes de paysage et ingénieurs a été un facteur de succès, estime Geneviève Mainguy, architecte associée chez TERGOS et responsable du volet LEED du projet. Nous avons adopté dès le départ une approche de conception intégrée, autour d’une vision claire du projet, dans un objectif commun de qualité.»
« L’enveloppe permet un coût de chauffage de 30 kWh/m2 par an [*], dit Anne Côté, architecte associée chez Lafond Côté. Chaque logement est doté d’un écran qui permet aux locataires de suivre leur consommation d’énergie et d’eau. Nous avons aussi opté pour des matériaux sans composés organiques volatils.» Comme son nom le suggère, le bâtiment est surmonté d’un jardin, qui couvre 40 % de la toiture. Ses occupants bénéficient également d’une vaste cour intérieure végétalisée.
« Nous avons étudié soigneusement l’ensoleillement pour maximiser la lumière naturelle dans les logements, ajoute Geneviève Mainguy. C’était un défi parce qu’à côté de ce bâtiment de six étages s’élève un immeuble de bureaux de neuf étages. Nous avons opté pour une volumétrie en L, et 40 % des logements sont traversants, ce qui favorise la ventilation et l’éclairage naturel.»
« Nous avons la chance de travailler avec le groupe de ressources techniques Action-Habitation, qui a l’aplomb nécessaire pour créer de bons montages financiers et obtenir des subventions supplémentaires, ce qui nous donne plus de moyens que le seul financement du programme AccèsLogis », ajoute Anne Côté.
Action-Habitation a ainsi obtenu une subvention du gouvernement provincial dans le cadre de la Stratégie québécoise de développement de l’aluminium pour le recours à un revêtement en aluminium fait au Québec. « Nous voulions que la façade donne une impression de légèreté, explique l’architecte. J’ai donc demandé à un manufacturier de Québec d’imprimer des photos de ciel sur le revêtement en aluminium.» Un geste inventif par lequel le projet affirme sa singularité, tout en demeurant abordable.
Esperluette
La créativité à l’honneur
Au cœur du quartier Griffintown, connu pour les tours de copropriétés qui s’y multiplient depuis le début des années 2010, un bâtiment de neuf étages se distingue par sa mission: c’est la coopérative d’habitation Esperluette, qui a été conçue par une équipe d’architectes de la firme Ædifica et dont les travaux se sont achevés en août dernier.
« Le groupe de résidents à la base de cette coopérative est particulier: depuis le début, les membres ont une idée claire de ce qu’ils veulent et ont été très impliqués tout au long du projet », dit Hugues Daly, directeur architecture chez Ædifica.
Leur projet: une coopérative d’habitation à vocation artistique, comprenant une salle pouvant servir d’atelier ou d’espace de diffusion. « Le défi était de répondre à ces demandes tout en aménageant un nombre suffisant de logements sur le site pour que le projet soit viable », dit Hugues Daly. Au bout du compte, le bâtiment abrite 29 logements d’une chambre à coucher, autant de logements de deux chambres, neuf de trois chambres et trois de quatre chambres. Et neuf de ces logements sont adaptés aux besoins de résidents à mobilité réduite.
« Pour limiter les coûts, nous avons opté pour des coursives extérieures au lieu de couloirs intérieurs. Ces coursives sont aussi des espaces de vie, puisqu’elles relient les terrasses des logements. Ce choix nous a aussi permis d’aménager des logements traversants », dit Hugues Daly. En effet, tous les logements en bénéficient, à l’exception de ceux occupant les coins du bâtiment.
Les contraintes budgétaires ont en outre nécessité des compromis: dans le but d’allouer un maximum d’espace aux appartements, l’équipe d’architectes s’est résolue à situer la salle communautaire au sous-sol.
Par ailleurs, seuls les trois premiers étages sont revêtus de brique rouge. Les étages supérieurs, en retrait, sont quant à eux recouverts de carreaux d’acier, moins chers, mais aussi plus sobres. « Le plan d’aménagement nous imposait un recul au- delà du troisième étage. Mais ça a ses bons côtés: l’échelle du piéton est mieux respectée, et les étages supérieurs se font oublier. Ce retrait offre en outre davantage d’intimité dans les loggias.»
« Ces contraintes nous poussent à être créatifs, ce qui est caractéristique du milieu communautaire. Et je crois que c’est réussi, parce que les résidents se sont immédiatement approprié ce milieu de vie », dit l’architecte.
Projet pilote à Quaqtaq
Une leçon d’écoute
Au Nunavik, tout coûte plus cher que dans le sud du Québec, et le logement n’y échappe pas. Parmi les causes: les frais élevés d’expédition des matériaux et les coûts de chauffage colossaux. Alain Fournier, architecte principal chez EVOQ, et ses collègues, les architectes associés Sami Tannoury et Roxanne Gauthier, se sont penchés sur ces problèmes dans le contexte d’un projet pilote de logement social en maison jumelée implanté à Quaqtaq, dans la baie d’Ungava.
« Nous nous sommes inspirés des exigences de la norme Passive House, même si les grands froids du Nunavik nous ont empêchés de les atteindre », dit Alain Fournier. Ces maisons s’en rapprochent néanmoins, grâce à leurs murs et à leur toiture hautement isolés de même qu’à leurs fenêtres à triple vitrage.
« Les plans sont réversibles, ajoute Sami Tannoury. Selon le côté de la rue où l’on construit, on choisit la version du plan qui dispose les espaces de vie – et non les chambres – du côté où ils recevront le plus de soleil. Comme les matériaux sont livrés à l’avance par bateau, souvent avant le choix des sites, le fait d’avoir deux versions des plans réalisables avec la même commande de matériaux est économique.» Cette stratégie évite en effet de coûteux surplus de matériaux et limite la dépense énergétique grâce à la possibilité de choisir l’orientation la plus favorable.
« Un autre objectif du projet était d’adapter le logement à la façon dont les Inuits utilisent l’espace, dit Alain Fournier. En réponse aux demandes que la population a formulées lors d’une charrette visant à comprendre les besoins en matière de logement, nous avons aménagé un vaste porche qui peut accueillir l’équipement de chasse et les carcasses d’animaux. La cuisine et la salle à manger forment un seul espace, doté d’un îlot mobile que les occupants peuvent déplacer pour leurs rassemblements familiaux, où ils mangent traditionnellement assis à même le sol.»
« Ce projet est une leçon de frugalité, d’économie dans les ressources que nous utilisons », note Alain Fournier. « Il montre l’importance d’être à l’écoute des besoins des résidents », ajoute Roxanne Gauthier.