En s’associant, en reprenant une firme ou en démarrant leur propre boîte, de nombreux jeunes architectes osent l’entrepreneuriat en début de carrière. Une aventure qui n’est cependant pas toujours de tout repos.
En 2020, l’architecte Geneviève Poirier se retrouve en télétravail en raison de la pandémie. Elle réalise alors qu’elle n’éprouve pas de difficulté à travailler seule et qu’elle aime le degré d’autonomie que la situation lui offre. Cet épisode l’amène à penser qu’elle se verrait bien lancer sa propre affaire.
À ce moment, elle rêve d’architecture durable et écoresponsable. « Je commençais à développer une clientèle pour des projets privés résidentiels et commerciaux, mais le bureau où je travaillais alors occupait plutôt le créneau institutionnel, raconte-t-elle. Donc, en juillet 2022, j’ai fondé ma firme, Atelier Boréal. »
L’architecte de Sherbrooke s’est lancée dans l’aventure les yeux bien ouverts. « Mes parents sont tous les deux des entrepreneurs, j’ai donc vu les bons,
mais aussi les mauvais côtés de l’entrepreneuriat, comme le fait de gérer des risques et de travailler de longues heures », explique-t-elle.
Ce n’est pas anodin. L’Indice entrepreneurial québécois 2021 du Réseau Mentorat indiquait que les trois quarts des personnes de 18 à 34 ans qui ont l’intention de créer leur entreprise avaient un parent qui est ou qui a été en affaires.
Travailler en partenariat
Certains jeunes préfèrent ne pas démarrer leur entreprise en solo. C’est le cas d’Élisa Gouin, qui a lancé LANTERNE architectes à Québec, en septembre 2020, avec son amie Caroline Boivin. Cette dernière est membre de l’Ordre depuis 2017, alors qu’Élisa Gouin l’est depuis 2019.
« À l’été 2020, ma sœur ouvrait un restaurant et nous a confié la réalisation du design intérieur, explique-t-elle. C’est à ce moment que nous avons décidé de fonder notre firme. » Même si le restaurant n’a pas survécu à la pandémie, il leur a offert un beau rayonnement.
« Pour élargir notre réseau, nous avons rencontré des entrepreneurs de Québec, poursuit l’architecte. Ils se font souvent approcher par des clients qui n’ont pas de plan pour leur projet, alors ils ont commencé à nous recommander. »
Les deux associées avancent petit à petit. « Nous apprenons à refuser des clients qui ne nous semblent pas réalistes ou en phase avec nos valeurs, même si, au début, nous avions envie d’accepter toutes les propositions », admet Élisa Gouin. Les deux jeunes architectes ont aussi réalisé que de faire les choses trop rapidement pour économiser n’est pas toujours la voie à suivre. « Mieux vaut expliquer le temps que l’on doit prendre pour réussir un beau projet. »
Élisa Gouin ne s’inquiète pas des risques financiers. « Si ça ne marche pas, il y a des emplois d’architectes partout, donc ce n’est pas un drame », relativise-t-elle. La pénurie de main-d’œuvre pousse aussi les donneurs d’ouvrage à faire plus rapidement confiance aux jeunes.
Prendre la relève
Ouvrir sa propre boîte n’est pas la seule manière de se lancer en affaires. En 2017, Vincent Leclerc propose à sa collègue Krystel Flamand de reprendre les rênes de sa firme. Le bureau, situé à Brossard, employait 21 personnes et était bien établi, mais Krystel Flamand n’avait aucune expérience en entrepreneuriat. « J’ai mis six mois à me décider, dit-elle. Je pensais beaucoup au fait que 21 familles dépendraient de moi, mais M. Leclerc croyait en moi et j’ai fini par accepter. »
Elle est associée depuis 2018 et détient, depuis 2021, l’entièreté des parts de l’entreprise. Cette année-là, la firme est devenue Prisme architecture. Elle emploie désormais 45 personnes. « Je n’ai pas accepté pour gérer le statu quo, mais pour donner un nouvel élan au bureau », affirme l’architecte.
De leur côté, Sara Doyon-Lefebvre et Elizabeth Auclair, deux architectes au début de la trentaine, ont amorcé un processus de reprise du bureau VBGA, actuellement dirigé par Stéphanie Bastien et Vicki Gosselin. Elizabeth, entrée au service de cette firme en 2011, caressait depuis toujours le rêve d’exploiter son entreprise, alors que Sara, engagée en 2018, n’avait jamais envisagé cette possibilité.
« Nous nous partageons les tâches, souligne Sara Doyon-Lefebvre. Elizabeth s’occupe plus de la gestion et de la planification de la charge de travail
de l’équipe et moi, des ressources humaines. »
Elizabeth Auclair estime que l’un des plus grands apprentissages que l’on fait en devenant gestionnaire est celui du courage managérial. « On doit apprendre à équilibrer les besoins des membres de l’équipe et ceux de l’entreprise, explique-t-elle. Certaines décisions sont difficiles à prendre. Annoncer un licenciement, par exemple, ça n’a rien d’amusant. »
Toute une aventure
Les architectes à qui nous avons parlé affirment toutes et tous avoir beaucoup à découvrir du côté de l’entrepreneuriat. La gestion des ressources humaines et des finances, en particulier, constitue au départ un domaine plus nébuleux. « Quand on lance une entreprise, tout est à construire : les processus comptables, les méthodes d’embauche, les feuilles de paie, le marketing, etc., souligne Geneviève Poirier. On doit se former et surtout s’entourer de spécialistes, comme des comptables. »
Krystel Flamand conseille de créer des liens avec des entrepreneuses et des entrepreneurs qui n’évoluent pas en architecture. « Ça donne un autre regard sur l’entrepreneuriat et, en même temps, ça permet de discuter d’enjeux que nous rencontrons tous », croit-elle. Plusieurs ressources aident à y arriver, comme le Regroupement des jeunes chambres de commerce du Québec, le Réseau des femmes d’affaires du Québec ou EntreChefs PME.