En Andalousie et dans la région française des Pyrénées-Orientales, les traditions et les recherches entourant l’architecture bioclimatique, axée sur l’énergie solaire passive et la ventilation naturelle, permettent d’envisager des modes de vie plus résilients.
— Elizabeth Shove1Le confort n’est pas le produit du bâtiment lui-même, mais plutôt un objectif que l’habitant souhaite atteindre.
Notre rapport à l’architecture et nos modes de vie ont profondément changé à partir de la seconde moitié du 20e siècle. Dès lors, la technologie a été célébrée comme symbole du progrès moderne et synonyme de confort humain, une attitude qui a structuré nos pratiques énergétiques et nos normes de construction. Encore de nos jours, les exigences en matière de contrôle des climats intérieurs recommandées par l’industrie des systèmes CVC2 ont comme but de créer un environnement stable et homogène éliminant tout potentiel d’inconfort. Pour assurer cette neutralité thermique constante, les bâtiments sont devenus de complexes machines hermétiques, indépendantes du climat extérieur et contrôlées automatiquement au moyen de systèmes énergivores.
Or, ce conditionnement artificiel a perturbé notre expérience sensorielle des espaces intérieurs. De plus, cette abondance de confort risque d’entraver notre capacité à nous adapter à l’accélération et à l’imprévisibilité des changements climatiques.
Mais comment pouvons-nous vivre autrement ? Pour l’historien et architecte Daniel Barber, la profession d’architecte a pour défi d’imaginer et de propager une culture de l’inconfort, soit un mode de vie qui tient compte des extrêmes météorologiques grandissants3. Ainsi pourraient émerger des environnements intérieurs dynamiques favorisant les mouvements d’air et les échanges thermiques dans une perspective carboneutre.
Le mouvement de l’air comme projet architectural
L’architecture peut générer des cycles naturels de ventilation en mettant en place une série d’espaces graduellement plus chauds ou plus froids que l’extérieur. Cette cascade de températures, telle que l’ont schématisée Suerich-Gulick, Halepaska et Craig4, enclenche un mouvement d’air continu; l’air chaud étant plus léger s’élève et est remplacé par l’air froid, plus dense, permettant ainsi un transfert de chaleur entre les espaces adjacents. Cette approche de conception permet de réduire la demande énergétique en minimisant le recours aux systèmes de chauffage et de refroidissement, en plus d’augmenter la résilience des occupants et des occupantes et leur possibilité d’adaptation.
L’agence française Lacaton et Vassal explore ce potentiel climatique de l’architecture en concevant ses projets comme un enchaînement d’espaces intermédiaires et de gradients thermiques. Dans un tel schéma, les usagères et usagers s’approprient le bâtiment et utilisent les microclimats selon leurs souhaits et leurs sensations5.
Cascades de températures en Andalousie

Historiquement, cette diversité d’ambiances intérieures était commune à plusieurs cultures vivant dans des climats hostiles. Dans ces régions, on adaptait la forme des bâtiments, l’organisation des pièces et la sélection des matériaux aux éléments extérieurs et aux cycles naturels.
En Andalousie, au sud de l’Espagne, on observe encore des traces tangibles de cette adaptation climatique dans l’architecture vernaculaire. Les habitations troglodytes, qui se confondent à la topographie de la zone semi-désertique de Guadix, se révèlent par leurs cheminées de ventilation. Ces cavernes sophistiquées permettent de stabiliser les grands écarts de température en utilisant la masse thermique de la Terre. En parcourant la route des villages blancs de la province de Cadix, on découvre, perchés sur le flanc des collines, des bâtiments recouverts de blanc de chaux réfléchissant, des rues et des patios ombragés, signes d’un mode de vie apte à composer avec le soleil ardent.
Dans ces habitations, les gens s’adaptent aux variations de température tout au long de la journée, migrant d’un espace à l’autre en quête de conditions favorables à leurs besoins et activités. La cour intérieure constitue un sanctuaire de fraîcheur pendant les premières heures du jour, puis on la délaisse durant le pic de chaleur, en après-midi, et l’on se réfugie dans les pièces intérieures plus fraîches pour la sieste. En soirée, quand les températures redescendent, on se rassemble sur les toits-terrasses, où l’on passe parfois la nuit.
Les promesses du solaire en France

Le recours aux énergies renouvelables pour tempérer les bâtiments a fait l’objet de recherches intensives à partir du milieu du 20e siècle.
Dès 1950, le chercheur français Félix Trombe et son laboratoire du Centre national de la recherche scientifique s’intéressaient aux applications potentielles du solaire thermique dans le domaine de l’architecture domestique. À Odeillo, dans les Pyrénées-Orientales, les diverses techniques ont été testées sur des maisons-prototypes, puis adaptées à de plus grandes constructions résidentielles en France.
Issu de ces travaux, le mur Trombe permettait de réchauffer naturellement l’espace intérieur en absorbant le rayonnement solaire dans une maçonnerie doublée d’un vitrage. L’air chaud ainsi accumulé s’élevait, traversait une ouverture du mur pour être transporté vers la pièce située derrière, alors qu’une partie de l’énergie était stockée dans le mur, puis distribuée en soirée. La simplicité radicale du dispositif et son intégration à l’architecture lui ont valu l’éloge des adeptes du solaire passif et ont fait émerger de nombreuses déclinaisons architecturales, telles que la maison Kelbaugh dans l’État du New Jersey, aux États-Unis, construite en 1974 et largement médiatisée.
L’influence de la contre-culture et l’intérêt ravivé pour les méthodes passives durant le premier choc pétrolier de 1970 ont incité des architectes comme Michel Gerber à ouvrir la voie à la conception bioclimatique, plus sensible à son milieu naturel et à ses occupants et occupantes. Les trois maisons qu’il a conçues dans l’Aude étaient construites à partir de structures de pierre en ruines. De ces masses de murs réinvesties émerge une architecture qui protège des vents dominants et tire avantage des rayons de soleil l’hiver. La serre, élément au cœur de ses projets, reprenait les principes de chauffage solaire du mur Trombe, tout en enrichissant l’expérience spatiale de l’habitation. Vivant lui-même avec sa famille dans une maison bioclimatique, Michel Gerber affirmait qu’elle incarnait un rapport profond entre l’humain et la nature tout en renforçant le sentiment de responsabilité énergétique.

Une maison climatique québécoise ?
Afin de réduire le bilan des émissions de CO2 de l’industrie du bâtiment et de viser la sobriété énergétique, il est impératif de revoir nos attentes envers les environnements intérieurs et leur mode d’opération très rigide. En reconnaissant la dimension subjective et adaptative du confort, l’approche des cascades de températures invite à imaginer de nouvelles manières d’harmoniser nos milieux de vie en fonction du climat. Au Québec, cela représente certainement un défi de taille en raison de nos grands écarts de température saisonniers. Mais ces flux naturels et les gradients thermiques qu’ils engendrent constituent aussi une occasion idéale de réduire l’artificialisation des environnements habitables et de se les réapproprier.
Références
- Shove, E. (2003). « Converging conventions of comfort, cleanliness and convenience », Journal of Consumer policy, vol. 26, p. 395-418.
- Abréviation de chauffage, ventilation et climatisation.
- Barber, D. A. (2019). « After Comfort », Log, vol. 47, p. 45-50.
- Suerich-Gulick, F., A. Halepaska, S. Craig (2022) « Cascading temperature demand: The limits of thermal nesting in naturally ventilated buildings », Building and Environment, vol. 208 [accessible en ligne].
- Lacaton, J.-P. Vassal, « Freedom of use », présentation à la Harvard Graduate School of Design, 25 mars 2015 [vidéo en ligne].