Bon nombre de donneurs d’ouvrage croient qu’il en coûte moins cher de démolir pour construire à neuf que de préserver et requalifier l’existant. Selon certaines méthodes de calcul, c’est peut-être vrai. Mais ces méthodes font abstraction des coûts cachés de l’élimination des déchets et de ceux, collectifs, liés à l’impact écologique, aux émissions de gaz à effet de serre (GES) et au gaspillage de ressources. Or, d’un point de vue global, l’existant représente une économie de ressources, et en faire fi est de plus en plus discutable à l’heure de la responsabilisation.
Le dossier d’Esquisses de l’hiver 2022-2023 s’intéresse à la requalification du bâti existant. Cette pratique n’est pas systématique au Québec, mais on a tout intérêt à ce qu’elle le devienne, et rapidement. L’urgence d’atténuer les crises climatique et écologique ne nous laisse guère le choix.
Des occasions de faire mieux
Comme architectes, il faut apprendre à voir chaque bâtiment délaissé comme un appel à l’imagination plutôt que comme une entrave à la créativité. En effet, chaque transformation constitue une excellente démonstration de cette capacité qui nous est propre de considérer le contexte avant d’y intervenir. Or, cela peut paraître évident, mais le bâti existant fait partie intégrante de ce contexte.
Ainsi, il nous faut prendre le temps d’analyser l’existant, de soupeser le potentiel de son tout ou de ses parties pour déterminer comment nous pouvons le mettre à profit. Peut-être devra-t-on refaire une enveloppe si elle est insalubre ou inadaptée, mais si la structure ou la fondation ont gardé leur potentiel, pourquoi s’en priver ? Retenons que ce qu’on conserve et exploite permet de réduire les émissions de GES et la perte de milieux naturels qu’entraîne la consommation de nouvelles ressources.
Si nous pouvons valoriser un espace quelconque en en faisant ressortir des caractéristiques que personne n’a su remarquer, si nous en faisons un lieu signifiant, notre créativité n’en sera que plus manifeste, et les raisons que nous aurons de nous satisfaire n’en seront que plus pertinentes. Certaines fois, il est vrai, l’intervention sera discrète, mais son impact environnemental le sera possiblement d’autant. Et c’est très bien, car nous en sommes au jour où il nous faut définir la beauté d’une intervention avec le biais de son impact climatique. Il faut prendre l’habitude de considérer cet élément dans les facteurs de succès d’un projet, au même titre que le respect des échéanciers et des budgets.
Toujours considérer l’existant, vétuste ou non, comme un actif financier permettra-t-il de faire évoluer les mentalités ? J’ose le croire.
L’existant, un actif financier
Certains et certaines parmi nous diront que c’est la clientèle qui dicte leurs interventions, qu’une part de cette clientèle aime mieux le paraître que le renaître, que la fibre patrimoniale et la conscience environnementale ne sont pas encore généralisées. Peut-être… Sortons alors de nouveaux arguments : le construit existant a une valeur financière réelle. C’est un actif solide et tangible. Le démolir correspond à jeter son argent par les fenêtres ! Les déchets de démolition sont bien plus que ce qu’on envoie au site d’enfouissement. Ils sont le résultat de la destruction de quelque chose qu’on n’a pas su valoriser et dont on se départit en pure perte. En plus, on paye pour s’en débarrasser ! Toujours considérer l’existant, vétuste ou non, comme un actif financier permettra-t-il de faire évoluer les mentalités ? J’ose le croire.
Pour éviter d’envisager la démolition, l’entretien est bien sûr un prérequis. En effet, il est plus facile de conserver ce qui est bien entretenu que ce qui menace de s’effondrer. Le maintien d’actif et la prévention de la désuétude feront d’ailleurs l’objet d’un dossier d’Esquisses en 2023. Mais qu’il s’agisse de requalification ou d’entretien, nous, architectes, devons saisir toutes les occasions d’intervenir pour éviter les pertes irréparables qu’engendrent les démolitions. Ce réflexe, nous l’avons pour la plupart quand il est question de patrimoine. Il est temps que nous l’acquérions aussi dans une optique de développement durable.