L’architecte français Roger Taillibert s’est éteint le 3 octobre 2019 à l’âge de 93 ans. Celui à qui on doit le Parc olympique de Montréal et son fameux stade a profondément marqué le paysage architectural montréalais. Quel héritage nous laisse-t-il ?
Le Stade olympique de Montréal a toujours fait partie de la vie de l’architecte Maxime-Alexis Frappier, né sur la rive sud du Saint-Laurent et aujourd’hui président d’ACDF Architecture. « Enfant, j’étais émerveillé par sa silhouette impressionnante. Adolescent, j’ai fréquenté le Collège de Maisonneuve, où il faisait partie du paysage. Le Stade me rappelait que Montréal avait eu des projets audacieux et que la génération qui m’a précédé pensait que tout était possible. »
ACDF a réalisé des projets à Vancouver, à Ottawa et à Taipei. Mais c’est surtout la conception du Centre d’art Diane-Dufresne, à Repentigny, qui a rapproché Maxime- Alexis Frappier du plus québécois des architectes français : il a été invité à être cocommissaire et scénographe de l’exposition Roger Taillibert : Volumes et lumière, qui y a été présentée de juin à septembre 2019. « Je l’ai rencontré plusieurs fois pour ce mandat. »
Entre deux anecdotes sur sa prolifique carrière, l’homme lui a donné un précieux conseil : « Le rôle principal de l’architecte est de créer de l’émotion, parce que l’être humain a besoin d’émotion pour vivre. »
Le Parc olympique de Montréal incarne cette philosophie, croit l’architecte Claude Provencher, cofondateur de Provencher_Roy, la firme qui y a récemment réaménagé la Tour de Montréal (communément appelée le « mât du Stade »). « Chaque fois qu’on entre dans un des espaces du Stade, on a une impression forte : les points de vue extraordinaires, la façon dont la tour est connectée à l’enceinte de jeu, l’imposant squelette apparent… »
Claude Provencher et Roger Taillibert ne se sont jamais rencontrés, mais ont été en contact par l’entremise de Michel Labrecque, président-directeur général du Parc olympique. « Au début, [Taillibert] était sceptique à l’égard de notre travail [de transformation], mais finalement il a été ravi. Nous nous étions donné comme objectif de revenir aux sources du projet. Je pense que ça lui a fait plaisir », se réjouit Claude Provencher, en soulignant que l’équipe du projet s’est « beaucoup inspirée » de ses premiers croquis.
Regain d’intérêt
Les experts interrogés pensent que la communauté architecturale a longtemps cherché à se distancier du Stade olympique, principalement à cause des dépenses astronomiques qui lui sont associées. « L’extravagance de l’objet a marqué les esprits et a rendu les Québécois méfiants envers les architectes, estime Claude Provencher. Mais il n’y a pas deux pièces identiques dans ce projet, donc ça ne pouvait pas faire autrement que de coûter une fortune ! »
Le vent est cependant en train de tourner, constate l’architecte et architecte paysagiste Philippe Lupien. « La nouvelle génération d’étudiants en design et en architecture va se réconcilier avec [le Parc olympique] et découvrir ses qualités », croit ce professeur de design de l’environnement à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Il prévoit que cette attirance sera canalisée par l’intérêt qu’il observe chez les jeunes pour le brutalisme, « car l’utilisation de la matière brute n’est pas mieux incarnée que dans ce grand geste plastique expressionniste qu’est le Stade olympique » !
Les nouveaux usages de cet ensemble emblématique favorisent également sa réhabilitation. « Restaurer la tour et la remettre en activité – 1200 personnes y travaillent actuellement – a changé les perceptions », fait valoir Claude Provencher. « La programmation [de spectacles et de concerts] sur l’Esplanade contribue aussi au regain d’intérêt, renchérit Maxime-Alexis Frappier. Cet été, M. Taillibert sentait ce mouvement populaire et en était très heureux. »
Un héritage à célébrer
Maintenant que Roger Taillibert n’est plus, comment lui rendre hommage ? D’abord par l’entretien et la protection des bâtiments qu’il a conçus, estiment les trois architectes. « Il faut respecter l’intégrité de son oeuvre. Il faut donc que le Stade ait un toit ouvrant », dit Philippe Lupien. La Régie des installations olympiques a d’ailleurs lancé en octobre dernier un appel d’offres pour une nouvelle toiture.
« Le Parc olympique mettra sur pied au cours des prochains mois un groupe de réflexion afin de baptiser une installation, un lieu, un espace ou une place sur notre site du nom de l’architecte », a par ailleurs déclaré Michel Labrecque.
Si Claude Provencher penche pour le funiculaire ou un espace d’observation au sommet de la tour, Maxime-Alexis Frappier est plus hardi. « À la hauteur de sa contribution, pourquoi ne pas tout renommer le Stade Taillibert ? »