L’entrée sur le marché du travail est une étape de vie anxiogène pour bien des jeunes, et il semble que ce soit particulièrement difficile en architecture.
Dans le dossier de ce numéro d’Esquisses, beaucoup d’architectes et de stagiaires affirment que la formation en architecture ne prépare pas suffisamment à la pratique professionnelle.
La formation universitaire est surtout axée vers l’idéation et la conception spatiale, relève-t-on. De son côté, le Programme de stage en architecture, établi par le Regroupement des ordres d’architectes du Canada (ROAC), comprend son lot d’exigences pratiques. Il faut effectuer 3720 heures dans 17 catégories d’activités telles que l’intégration des systèmes d’ingénierie (140 heures) ou encore l’administration de contrats de construction sur les chantiers (200 heures). Plusieurs diront que la formation et le stage sont complémentaires, et c’est vrai. Le problème, selon moi, est le manque de chevauchements entre les deux.
Rapprocher deux univers
Dans un mémoire adressé en 2022 au Conseil canadien de certification en architecture (CCCA), l’OAQ a suggéré de rapprocher les univers scolaire et professionnel en rendant obligatoire de réaliser une partie du stage durant les études.
Les écoles d’architecture, toutefois, ne semblent pas toutes chaudes à l’idée. Elles font souvent valoir que leur rôle est principalement de structurer la pensée, pas de voir à l’acquisition des aspects pratiques de la profession. Pourtant, il me semble que les praticiens et praticiennes peuvent s’inscrire dans ce processus de structuration de la pensée auprès de la relève. Après tout, ces architectes recourent quotidiennement à la rigueur intellectuelle acquise à l’université pour résoudre des problèmes de nature variée – conceptuels, techniques ou organisationnels. Malheureusement, leur apport arrive souvent très tard dans le cheminement vers la profession, ce qui rend difficile pour les stagiaires de faire les liens entre théorie et pratique professionnelle.
Vrai, il est permis de commencer le stage après avoir cumulé 60 crédits, ce dont beaucoup de stagiaires se prévalent. Mais la marche demeure haute pour une forte proportion de ceux et celles qui arrivent sur le marché du travail.
Certaines écoles d’architecture redoutent que l’inclusion d’un stage dans leur programme les oblige à remplacer ou à ajouter des crédits. Il leur faudrait alors soit sacrifier d’autres éléments de programme, soit trouver du financement supplémentaire. Je mesure bien l’ampleur de ces obstacles. Cependant, les écoles ne seraient pas les seules à devoir s’ajuster. Tout l’écosystème de l’architecture devrait s’adapter pour le bien de la profession et du public. En amont de l’implantation d’une telle mesure, l’Ordre, notamment, devrait s’assurer que ses membres puissent mieux encadrer les stagiaires, et ce, plus tôt dans le processus. Mais, disons-le, ce changement est loin d’être acquis, car il nécessite l’aval du CCCA, une instance où les ordres professionnels et le milieu universitaire sont représentés à parité.
Des ponts entre les générations
Qu’à cela ne tienne, dans son plan stratégique 2022-2025, l’OAQ prévoit consacrer des efforts importants au transfert de connaissances intergénérationnel. Parallèlement, son comité de la formation, qui regroupe les parties prenantes des milieux professionnel et de l’éducation, constitue un forum de réflexion quant à cette responsabilité partagée. Son comité d’admission continue pour sa part de s’assurer de la qualité des stages, en vérifiant qu’au-delà de la compilation des heures, les stagiaires aient assimilé le contenu souhaité.
Mais quand on parle de formation, quand on parle comme on le fait souvent de transition socioécologique, c’est de l’avenir dont on parle. C’est pourquoi l’Ordre s’est entre autres assuré de faire une place à la relève dans sa structure de gouvernance, afin de mieux prendre en compte ses préoccupations. En plus d’avoir créé un comité de la relève, il a réservé des sièges aux architectes de moins de cinq ans de pratique dans certains de ses comités, dont les plus structurants.
Mais au-delà de ces cinq ans, qu’est-ce que la relève, au fond ? Si on y réfléchit bien, comme architecte, peu importe où nous en sommes dans notre parcours, nous restons toujours, d’une manière ou d’une autre, la relève de quelqu’un d’autre, voire notre propre relève. En effet, tout au long de notre carrière, nous faisons face à de nouveaux défis et avons le devoir de nous réinventer. Heureusement, peu importe notre nombre d’années de pratique, nous pouvons nous connecter à notre relève intérieure pour continuer de grandir.