La maison Saint-Laurent
La maison Saint-Laurent, Saint-Lambert, la SHED architecture
Photo : Maxime Brouillet

Pavillon construit en fond de cour, sous-sol d’un bungalow transformé en appartement, annexe latérale… Les unités d’habitation accessoires (UHA) gagnent en popularité au Québec et ailleurs en Amérique du Nord. Elles permettent la densification douce d’un quartier ou d’une banlieue. Leur déploiement à plus grande échelle se heurte toutefois à la réglementation municipale, souvent inexistante ou restrictive à cet égard. Portrait de la situation.

Le concept des UHA n’est pas nouveau. Il a été utilisé aux 19e et 20e siècles afin de remédier au manque de logis pour les plus démunis lorsque l’économie tournait au ralenti ou pour les soldats qui revenaient de la guerre. Les UHA (la traduction la plus usitée de l’abréviation anglaise ADU, pour accessory dwelling unit) ont toutefois disparu du paysage bâti au cours des années 1950-1960 pendant que se développaient les banlieues, royaumes de la maison unifamiliale détachée. La plupart des municipalités les ont alors interdites.

Ces constructions font un retour encore marginal, mais remarqué depuis les années 1990, sous l’effet des perturbations économiques qui se succèdent et des changements démographiques en cours. « Longtemps situées dans les villes centres, elles se sont déplacées vers les zones périurbaines », note Guillaume Lessard, chargé de projet, Recherche et développement, à la firme d’urbanisme L’Arpent, qui a publié un guide sur le sujet en 2018. « Les UHA facilitent la cohabitation multigénérationnelle et accroissent le parc de logements locatifs abordables. » 

Autre avantage des UHA : elles représentent des économies pour les municipalités puisqu’en densifiant les milieux de vie, elles optimisent l’utilisation des infrastructures collectives. De plus, elles génèrent des revenus fonciers supplémentaires pour les villes et des revenus locatifs pour les propriétaires.

Les villes ont donc tout intérêt à modifier leur réglementation pour favoriser les UHA. Or, les politiques en ce sens demeurent rares.

Un enjeu d’acceptabilité sociale

Pourquoi cette résistance? Selon Kol Peterson, gourou américain des UHA et auteur du livreBackdoor Revolution: The Definitive Guide to ADU Development, « elle vient souvent du fait que des propriétaires s’opposent à ce qu’il y ait des logements supplémentaires à proximité de chez eux. Ils craignent généralement que le caractère du quartier ne change et qu’il y ait des problèmes de stationnement. Il faut un leadership politique courageux pour vaincre cette opposition du type “pas dans ma cour” », explique-t-il par courriel.

Selon lui, seules quelques villes aux États-Unis disposent d’une réglementation claire. « Les UHA ont un bon potentiel de développement dans les villes qui sont dominées par le zonage unifamilial et qui connaissent une crise du logement. C’est le cas de la plupart des villes de la côte ouest, comme Portland ou Seattle », ajoute Kol Peterson, qui publie également un blogue sur les UHA, accessorydwellings.org.

Des villes canadiennes comme Ottawa, Edmonton, Calgary et Vancouver autorisent certains types d’UHA. Plusieurs ont aussi mis en place des incitatifs financiers pour aider les propriétaires à procéder aux travaux. À Montréal, la réglementation varie d’un arrondissement à l’autre en raison des contraintes du cadre bâti existant. Ainsi, les arrondissements de Ville-Marie, du Sud-Ouest et du Plateau-Mont-Royal approuvent sous certaines conditions les logements accessoires, principalement au sous-sol. Dans ces quartiers centraux, l’espace en fond de cour est trop restreint pour permettre l’ajout d’un bâtiment. Même si Montréal est en faveur du développement de logements variés et de qualité, les UHA ne font pas partie des solutions prévues au plan d’urbanisme pour atteindre ses objectifs de densité. La question pourrait être abordée lors d’une éventuelle révision, indique-t-on à la Ville de Montréal. 

« En périphérie, seule la municipalité de Mont-Saint-Hilaire a modifié ses règles pour régulariser la situation après que des propriétaires ont procédé à des conversions malgré l’interdiction, précise Guillaume Lessard. Il y en a encore un bon nombre qui se fait dans la clandestinité [un peu partout au Québec], vu le cadre réglementaire restrictif dans les différentes municipalités. »

Le parcours du combattant

Pour les propriétaires qui se lancent dans un projet d’UHA, c’est donc souvent le parcours du combattant. Ces dernières années, des particuliers ont cogné à la porte de la SHED Architecture pour construire une UHA. « Plusieurs ont toutefois dû y renoncer en raison de la réglementation », soutient Yannick Laurin, associé de la firme montréalaise.

Un des rares projets du genre que la SHED a réalisés est la maison Saint-Laurent, à Saint-Lambert, en 2017, une résidence accessoire en fond de lot. « Dans ce cas, le propriétaire a bénéficié d’un droit acquis vu la présence d’un bâtiment derrière la maison principale. Il a alors été possible de scinder le lot en deux. Le défi a été de préserver l’intimité des occupants, malgré la proximité des voisins. » Les architectes y sont arrivés en optant pour une volumétrie en L qui permettait d’aménager une terrasse extérieure à l’arrière du nouveau bâtiment, à l’abri des regards.

Ottawa pionnière

En 2016, Ottawa a été la première ville en Ontario à adopter un cadre réglementaire visant l’aménagement d’UHA. La Ville a pris cette décision à l’issue d’un exercice de consultation publique mené un an auparavant – une étape essentielle pour favoriser l’acceptabilité sociale. « Nous voulions faire les choses de la bonne façon », explique Alain Miguelez, gestionnaire, politiques d’urbanisme et résilience, au Service de l’urbanisme, de l’infrastructure et du développement économique de la Ville d’Ottawa. « La première ébauche de réglementation a aussi fait l’objet d’une consultation publique. Nous avons modifié certaines dispositions pour tenir compte des demandes de la population. »

À ce jour, la Ville a accordé 18 permis pour la construction d’une UHA, et 23 demandes sont en cours d’approbation. Alain Miguelez se réjouit que les projets achevés n’aient jusqu’ici entraîné aucune plainte de la part du voisinage. « Nous avons bien fait nos devoirs », dit-il.

De quoi inspirer les municipalités du Québec…