Il serait réducteur de croire que c’est leur densité qui a rendu les grandes villes plus vulnérables à la propagation du coronavirus, selon plusieurs experts. Du reste, la crise sanitaire actuelle fournit une belle occasion de repenser la conception des villes pour réagir plus efficacement aux épidémies émergentes.
« Ce ne sont pas forcément les milieux hautement densifiés qui sont les plus touchés, affirme Éric Robitaille, conseiller scientifique à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). Certaines grandes villes comme Séoul et Hong Kong ont réussi à contraindre la propagation [du coronavirus] grâce à une intervention rapide des autorités et à des mesures de confinement plus strictes. »
Selon le chercheur, qui se spécialise dans l’étude des liens entre l’environnement bâti et les saines habitudes de vie, d’autres facteurs que la densité influent sur la fameuse courbe des cas. « La structure d’âge de la population, la prévalence de maladies chroniques comme le diabète de type 2 sont des facteurs aggravants. Les inégalités sociales, l’accès plus limité à des services de santé de qualité sont aussi des causes sous-jacentes à la prolifération », ajoute-t-il.
Pour Christian Savard, directeur général de Vivre en Ville, il serait irrationnel de créer une nouvelle vague d’étalement urbain sur la base d’un évènement ponctuel comme la pandémie de coronavirus. Si les métropoles sont fortement touchées, c’est d’abord et avant tout parce qu’elles constituent la porte d’entrée des virus en raison des déplacements de voyageurs internationaux et des grands rassemblements plus fréquents, a-t-il expliqué lors d’un Facebook Live tenu début avril.
« C’est vrai que, dans les villes, les résidents sont plus proches les uns des autres. Mais il y a aussi une concentration de services de santé. Cela vient contrebalancer », ajoute Éric Robitaille.
Entre un centre-ville vers lequel tout le monde se dirige en même temps pour consommer et travailler – et qui devient ainsi un point chaud pour la propagation des virus – et la banlieue très étendue, il faudrait viser la « voie du milieu ».
La voie du milieu
« La COVID-19 met en lumière le besoin de mieux penser la densité, affirme Patrick Marmen, chercheur associé à la Chaire en paysage et environnement de l’Université de Montréal. Elle fournit une occasion incroyable de revoir l’organisation urbaine. » Entre un centre-ville vers lequel tout le monde se dirige en même temps pour consommer et travailler – et qui devient ainsi un point chaud pour la propagation des virus – et la banlieue très étendue, il faudrait viser la « voie du milieu ». Il donne l’exemple de Paris, qui aspire à devenir une « ville du quart d’heure ». « En gros, c’est une ville où la population a accès à tout ce dont elle a besoin, que ce soit le travail, les loisirs, les commerces, les services publics, à 15 minutes ou moins à pied ou à vélo de son habitation, un concept qui est appelé à se répandre. »
Cela implique des quartiers qui misent sur la mixité des usages et les transports actifs. Parce que les lieux de convergence y sont de moins grande taille (qu’il s’agisse des commerces de proximité ou des infrastructures de loisirs), ils accueillent de moins grands rassemblements et sont donc moins propices à la contagion. En outre, ces quartiers requièrent l’élargissement des trottoirs et des pistes cyclables, ce qui facilite la circulation locale en tout temps, et particulièrement lorsqu’il faut se tenir à au moins deux mètres de distance des autres passants. Montréal en fait d’ailleurs l’expérience avec l’installation de corridors sanitaires sur plusieurs artères commerciales.
« Les espaces publics doivent contribuer à la santé de la population. Rendre la densité plus acceptable [dans un monde post-COVID-19] passe par une meilleure conception des lieux de rassemblement. »
– Ron Rayside
« Un autre aspect important, c’est de revoir la place de la nature dans la ville, ajoute Patrick Marmen. Plutôt que des parcs fermés sur eux-mêmes, il est plus intéressant d’avoir un réseau de voies piétonnières et cyclables facilitant l’accès à ces espaces naturels. » Un exemple à reproduire, selon lui, est le corridor de biodiversité de Saint-Laurent, qui prévoit des passages entre le milieu urbain et la nature. « Les espaces publics doivent contribuer à la santé de la population, souligne Ron Rayside, associé principal de Rayside Labossière. Rendre la densité plus acceptable [dans un monde post-COVID-19] passe par une meilleure conception des lieux de rassemblement. » Autrement dit, il faut les rendre moins propices à la propagation.
Repenser les habitations
Si tous s’entendent pour dire que la pandémie n’arrêtera pas le mouvement de densification, elle pourrait toutefois ralentir la course à la hauteur, croit l’architecte Pierre Thibault. « On va remettre en question la très grande hauteur, qui rend plus difficile l’application des mesures de distanciation. Il est possible de densifier une ville avec des bâtiments de cinq ou six étages. » Ces immeubles peuvent même aider les occupants à rester en forme étant donné que le recours à l’ascenseur y est moins systématique. De nombreuses études ont en effet démontré que le fait d’emprunter régulièrement les escaliers au lieu de l’ascenseur diminue les risques de maladies cardiovasculaires. « Il faudra toutefois concevoir des escaliers larges et fenêtrés, plus lumineux et plus invitants. Cela aura aussi un impact sur la santé publique », ajoute Pierre Thibault.
« Offrir des logements de qualité pour une population plus en santé, c’était vrai avant la pandémie, et ça va l’être encore plus après », soutient Éric Robitaille. Selon lui, l’élément qui compte le plus dans le taux de mortalité en général, c’est le fardeau des maladies chroniques. « Or, ce qui peut en ralentir la prévalence, ce sont des villes qui favorisent le transport actif et mettent de l’avant différentes mesures pour réduire la pollution atmosphérique », dit-il.
Autant de bonnes raisons de poursuivre le mouvement de densification.
Des leçons à tirer
Peste, choléra, grippe espagnole… Ce n’est pas la première fois que les sociétés sont touchées par une pandémie. « À chaque crise, il y a eu des leçons à tirer, affirme Éric Robitaille, conseiller scientifique à l’Institut national de santé publique du Québec. Le choléra, une infection virulente causée par l’ingestion d’aliments ou d’eau contaminés, a incité les villes à améliorer le système d’aqueducs. » Au début du 20e siècle, il a été démontré que des lieux lumineux et bien aérés favorisaient la guérison des personnes atteintes de tuberculose. Les épidémies forcent à l’innovation. La crise sanitaire actuelle n’y fera pas exception.