Offrir des services de proximité et des espaces publics attrayants dans un milieu densément peuplé : telle est la promesse de la « ville compacte », un concept qui commence à germer au Québec. Esquisses en discute avec quelques experts.
On attribue souvent le concept de ville compacte à l’auteure, journaliste et activiste Jane Jacobs et à son livre Déclin et survie des grandes villes américaines (1961). Il a notamment pris racine aux Pays-Bas où, dès les années 1980, les urbanistes ont favorisé des milieux de vie caractérisés par une densité résidentielle élevée qui respecte l’échelle humaine et par une grande offre de services de proximité.
Si densité et compacité vont de pair, les deux notions ne sont pas interchangeables. Comme l’organisme Vivre en Ville l’explique, « la densité brute se rapporte au nombre de logements sur une superficie donnée, peu importe la forme et l’agencement des bâtiments et des espaces publics ou privés ». La compacité, de son côté, tient dans le rapport entre les surfaces bâties et non bâties. Cette manière d’occuper le territoire permet de créer des liens entre les composantes en limitant les vides et les discontinuités.
« De manière théorique, la ville compacte engendre des noyaux de ville traditionnelle avec des services locaux (parcs, commerces, écoles, etc.) et des espaces de rencontres, tout en intégrant des considérations environnementales comme le transport actif », résume Ariane Perras, assistante de recherche – coordination de l’Observatoire des milieux de vie urbains. Voilà qui mérite l’attention des urbanistes et des architectes lorsqu’ils s’attaquent à de nouveaux projets.
Aucune approche intégrée
On trouve déjà quelques exemples de villes compactes au Québec, selon Christian Savard, directeur général de Vivre en Ville, un des plus ardents défenseurs du concept. « Les arrondissements de Montréal qui étaient desservis par le tramway, comme le Plateau ou Rosemont, ont été développés, avant l’heure, selon les caractéristiques de la compacité. De nouveaux quartiers se font aussi de manière intéressante, ajoute-t-il. Je pense notamment au secteur Angus. Victoriaville essaie de son côté de valoriser le développement en son centre. »
Or, les avancées québécoises en la matière sont rares, poursuit le directeur général. « La plupart des villes y touchent de près ou de loin, avec un programme particulier d’urbanisme par-ci par-là. Mais une stratégie systématique et intégrée ? Je n’en remarque pas encore », affirme-t-il.
Le président de l’Ordre des urbanistes du Québec, Sylvain Gariépy, voit la situation d’un tout autre œil. « Le concept est présent depuis avant la Deuxième Guerre mondiale, souligne-t-il. Les anciens villages du Québec, avec un cœur entouré de fonctions diverses où on pouvait se retrouver, étaient les premières villes compactes. Et aujourd’hui, le plan métropolitain d’aménagement et de développement (PMAD) intègre la notion de compacité. Toutes les villes desservies par le train de banlieue, que ce soit Saint-Hilaire, Candiac ou Saint-Basile-le-Grand, s’alignent également sur le modèle de la ville compacte. »
Reste que les quartiers en question font souvent figure de village d’irréductibles Gaulois, encerclés par de nouveaux développements qui, eux, sont tout sauf compacts.
Des obstacles
Le rêve de la maison unifamiliale demeure tenace malgré une certaine évolution des mentalités. « La maison unifamiliale ne domine plus le marché immobilier, mais le syndrome du “pas dans ma cour” est encore présent. Les citoyens sont d’accord avec le principe de densification… Tant que ça n’a pas lieu chez eux », constate Christian Savard.
Néanmoins, les compensations fournies par la compacité, comme l’animation des rues ou la proximité des services, peuvent-elles modifier les perceptions ? « Le concept a la cote. Le fort attrait de la population pour les milieux compacts, surtout à Montréal et à Québec, mais aussi à Trois-Rivières ou à Sherbrooke, le prouve. Il faut toutefois tout un travail de sensibilisation. Le mot en D [pour densité] suscite encore souvent une levée de boucliers », ajoute le directeur général, qui prend toujours soin de différencier les deux notions.
Ariane Perras illustre bien le casse-tête qui attend les urbanistes. « Pour réaliser ce modèle avec grands espaces verts, services de proximité et tout, il faut souvent le créer de toutes pièces sur de nouveaux terrains. On crée ainsi de l’étalement urbain. D’un autre côté, si on veut intégrer les principes de la ville compacte dans un quartier existant, il faut faire avec ce qu’on a déjà. On ne peut pas tout démolir. C’est également complexe en raison du nombre d’acteurs impliqués : la Ville, les promoteurs, la commission scolaire, le patrimoine… »
Pour la chercheuse, difficile d’imaginer une municipalité compacte qui serait à la fois complètement détachée et autonome. « La ville de Seaside, en Floride, qui sert de décor au film The Truman Show, représente sur plans l’idée de la ville compacte. C’est une ville magnifique, collée sur la mer, mais elle a été construite sur un terrain vacant, loin des autres villes. Ce n’est pas vrai que tous les résidents travaillent dans les commerces locaux. Ils en sortent pour gagner leur vie, pour magasiner. Ça implique beaucoup de navettage. »
L’avenir des banlieues ?
Alors qu’on associe généralement la densification aux grandes villes, Christian Savard souligne que la compacité convient particulièrement aux villes de banlieue, en particulier celles de la première couronne, qui s’en rapprochent. « L’avenir de villes comme Laval ou Longueuil va passer par là. Elles ont des terrains disponibles, elles ne sont pas loin des transports collectifs et toutes les infrastructures y sont déjà en place. »
Selon lui, l’argument financier peut contribuer à rallier la population. « Certaines villes expliquent qu’elles ont besoin de développement pour limiter la hausse du compte de taxes. D’autres mettent de l’avant que ça augmentera l’offre de services publics. Elles en profiteront par exemple pour faire un parc. » Sans compter que, lorsqu’on construit à l’intérieur des quartiers existants et qu’on réutilise des terrains, on n’a pas à ajouter de services, comme des égouts.
Contrairement à l’univers de The Truman Show, la compacité n’est pas un mirage. Il faudra néanmoins beaucoup de sensibilisation et de concertation si on veut la généraliser au Québec.