Pour mon premier éditorial en tant que président de l’OAQ, j’aborde un sujet qui m’a beaucoup interpellé au cours des dernières années : la densité urbaine. En effet, j’ai terminé ce printemps mon mandat de président du Comité Jacques-Viger, l’instance consultative de la Ville de Montréal en matière d’aménagement, d’urbanisme, d’architecture, de design urbain et d’architecture de paysage. La notion de densité, ses avantages et inconvénients, revenait souvent dans nos discussions. Ce thème me touche d’autant plus qu’on perçoit la densité de diverses manières, qu’on la vive ou qu’on la craigne.
L’urgence climatique nous pousse à intensifier la réduction de notre empreinte environnementale, quelle qu’en soit la forme (réduction des transports, de l’empreinte au sol, etc.). La densification de nos villes semble désormais nécessaire et incontournable. L’opération doit cependant être bien conçue et planifiée, comme le soulignent les experts cités dans le dossier du magazine Esquisses publié à l’hiver 2019-2020. Pour se justifier pleinement, elle doit s’adresser à tous et offrir de multiples lieux d’échanges. Pour ne pas contribuer à l’étalement, elle doit tirer profit des infrastructures existantes : électricité, égouts, aqueduc, voirie. Pour diminuer la congestion, elle doit faciliter le transport actif et collectif grâce à des réseaux adaptés, sécuritaires et efficaces qui tirent parti des proximités créées. Pour que les habitants d’un quartier puissent vivre sainement, elle doit prévoir des espaces verts filtrants et rafraîchissants, accessibles à tous. Et pour susciter l’adhésion de la population, elle doit offrir une qualité de vie de haut niveau à un coût raisonnable et à tout le moins comparable à celui des autres modèles.
S’il est vrai que le modèle de la maison unifamiliale en banlieue demeure prisé des ménages, la boulimie du temps de transport fait que même les plus convaincus en viennent à se demander si ses avantages sur le plan de la qualité de vie familiale ou sur le plan économique ne sont pas surestimés. Il faut donc proposer des modèles différents et tout aussi désirables.
Qu’il s’agisse de commerce, de travail, de culture ou de savoirs, c’est le foisonnement des échanges qui crée une ville saine et stimulante.
L’essence même de la ville, c’est l’échange. Qu’il s’agisse de commerce, de travail, de culture ou de savoirs, c’est le foisonnement des échanges qui crée une ville saine et stimulante. La densité monofonctionnelle n’est pas une solution viable; elle ne fait qu’alourdir les problématiques sans procurer d’avantages autres qu’une profitabilité à courte vue. Il faut juxtaposer les fonctions, les entremêler avec mesure, pour que la notion d’échanges se conjugue à celles d’accessibilité et de qualité de vie.
Cette juxtaposition peut se traduire de multiples manières – formelle, fonctionnelle, culturelle, économique ou sociale – pour que les échanges se produisent autant entre les groupes et les classes sociales qu’entre les activités. L’objectif est d’atténuer les frontières.
Car, insidieusement, on crée des frontières lorsqu’on érige des ensembles denses, mais au volume disproportionné par rapport au bâti existant. Paradoxalement, on crée aussi des frontières lorsqu’on délimite un territoire dans un but prétendument identitaire, que ce soit de manière physique, symbolique ou économique. Et surtout, on crée des frontières lorsque la ville ne permet pas à tous, universitaires ou manœuvres, de trouver un emploi convenable et un logement de qualité à prix abordable.
Les municipalités doivent exercer un contrôle sur la forme urbaine afin d’éviter les aberrations qui peuvent résulter de la densification débridée, quelle qu’en soit l’échelle. L’équilibre est parfois difficile à établir, et le passage d’une densité faible à une forme plus « urbaine » peut créer des frictions formelles et sociales qu’une planification sensible permet d’atténuer, voire de juguler. Les villes doivent faciliter le maintien en place des communautés historiques, qui ont forgé leur identité. Elles doivent s’assurer que cette densification ne se fasse pas au détriment des espaces naturels, du patrimoine construit. Elles doivent aussi maintenir la mixité fonctionnelle par des mesures parfois restrictives, parfois incitatives. Pour ce faire, elles doivent être dotées de pouvoirs et de moyens, quitte à se regrouper lorsque leur population ne permet pas la mise en place du soutien administratif et logistique nécessaire.
Comment s’assurer que les villes prennent les bonnes décisions en matière de densification ? La pression citoyenne peut certainement aider, et la voix des architectes en fait partie. J’invite donc la profession à mettre à profit son éloquence et son imagination pour promouvoir et concevoir des modèles de qualité de vie en milieu dense auxquels la population adhérera. Soyons citoyens !