Laurent McComber et son équipe en vidéoconférence. Image : L. McComber
Depuis le début de la pandémie, Laurent McComber, architecte principal et fondateur de L. McComber, se rend seul au bureau. Le reste de l’équipe est en télétravail. Photo : Laurent McComber

Par Anne-Hélène Dupont

Témoignages recueillis du 25 au 27 mars 2020

LAURENT McCOMBER, architecte principal et fondateur de L. McComber (Montréal; 3 associés, 5 employés)

État de la situation

Nous avons la chance d’être une équipe très soudée et d’avoir le soutien de nos clients, mais c’est dur. Quand le gouvernement québécois a décrété la fermeture des entreprises non essentielles, j’ai fait appel à un ami pour mettre sur pied un VPN [un RPV, réseau privé virtuel] en catastrophe. Deux jours plus tard, tout le monde travaillait depuis la maison – sauf moi. Je viens seul au bureau, j’ai une routine stricte de lavage de mains et de décontamination.

Gestion du télétravail

Tous les jours, à 8 h 45 et à 16 h, nous nous réunissons sur [l’application de vidéoconférence] Zoom. Nous parlons du travail, mais aussi de tout ce qui nous préoccupe. Ce qu’on mettrait 10 ou 15 minutes à dessiner en personne peut nous prendre une heure par vidéo… Mais on n’a pas le choix.

Au début de la crise, je poussais beaucoup l’équipe, mais j’ai relâché la pression. La priorité, c’est la santé physique et mentale de tous. Je veux que le travail soit une façon de nous changer les idées et que chacun y aille à son rythme.

Préoccupations

Les liquidités, surtout. Nous avons convenu avec les employés de réduire les heures de travail de 25 % et de geler les salaires, alors que nous allions les augmenter. Heureusement, presque aucun de nos clients ne nous laisse tomber. Nous continuons de travailler sur les plans, même si les chantiers sont sur pause. Les arrondissements montréalais tiennent les réunions de comités consultatifs d’urbanisme à distance et continuent de donner des permis; c’est un soulagement.

Je dois aussi finir à distance le cours théorique que je donne cette session à l’Université de Montréal. C’est difficile. Les enseignants subissent beaucoup de pression de l’administration, mais ont peu de ressources pour les soutenir.

JEAN-YVES MONTMINY, architecte associé principal chez STGM Architectes (Montréal et Québec; 5 associés principaux; 130 employés)

Jean-Yves Montminy (en haut, au centre) en vidéoconférence. Image : STGM Architectes

État de la situation

Nous avons plusieurs projets publics en cours, ce qui fait que nous sommes en assez bonne situation. Nous avons dû mettre à pied quelques employés, notamment à l’accueil, et une designer a demandé à partir pour se consacrer à sa famille, mais c’est tout.

En un sens, la situation nous donne un répit parce que nos équipes étaient débordées avant la crise et que nous avions du mal à recruter des ressources supplémentaires. Nous avons enfin l’occasion de nous concentrer sur le travail d’atelier. 

Gestion du télétravail

La plupart de nos chargés de projet et techniciens seniors avaient déjà l’équipement nécessaire pour travailler à distance. Nous avons tout de même dû former rapidement des équipes et doter tout le monde de comptes sur Zoom et Slack pour faciliter les échanges. Nous avons mis en place une structure pyramidale, où deux juniors rendent compte à un intermédiaire, deux intermédiaires à un senior, etc.

Tous les matins, les équipes déterminent les objectifs du jour et se distribuent les tâches. Le lendemain, on mesure ce qui a été fait, on discute des problèmes, on cherche des solutions, on les applique et on les diffuse dans l’organisation, de manière à ce que ces problèmes ne se reproduisent pas.

Préoccupations

Notre plus grand défi, c’est de soutenir nos jeunes employés. Au bureau, c’est plus facile de voir qui est bloqué et d’intervenir. Les employés ne demandent pas spontanément de l’aide… À distance, il faut leur poser des questions pour vérifier comment se passe leur travail.

Mais nous nous préoccupons surtout de l’efficience de notre travail et de la gestion de nos livrables. Nous espérons avoir l’aide des gouvernements pour couvrir les salaires ou encore profiter d’un accès assoupli au programme Temps partagé du gouvernement fédéral, surtout si les fermetures de bureaux se prolongent.

SUZANNE BERGERON, associée chez Louise Amiot et Suzanne Bergeron, architectes (Québec; 2 associées, 8 employés)

Suzanne Bergeron pendant une vidéoconférence. Photo : Louise Amiot et Suzanne Bergeron, architectes
Suzanne Bergeron pendant une vidéoconférence. Photo : Louise Amiot et Suzanne Bergeron, architectes

État de la situation

La plupart de nos mandats se poursuivent, mais deux de nos employés ne pouvaient pas travailler à distance : un stagiaire arrivé de Tunisie il y a quatre mois – il n’a plus du tout de revenu – et une technicienne intermédiaire qui avait un rôle de soutien à l’équipe.

Nous aurions aimé que le gouvernement nous fasse plus confiance. Je pense que nous avions la situation bien en main, que nous avions adopté les mesures nécessaires au bureau pour éviter la contagion : nettoyage des mains et du matériel informatique, distanciation physique… C’est dommage d’imposer la fermeture.

Gestion du télétravail

La moitié de l’équipe travaille avec le logiciel de conception Revit, qui permet le travail à plusieurs sur les plans en temps réel, peu importe où on se trouve; ça fonctionne très bien.

J’admets que ça nous demande beaucoup d’efforts, à mon associée et à moi, de tout faire par ordinateur et de participer à des vidéoconférences, par exemple. Heureusement, notre personnel est dévoué et nous aide.

Préoccupations

L’argent : il faut que les entrées continuent. Nous attendions des paiements de factures; nous avons demandé un réacheminement de courrier à Postes Canada, ce qui implique des frais. Mettre du personnel à pied suppose des démarches, des coûts aussi… C’est difficile, pour une entreprise, de tout fermer en une journée !

BRYAN FECTEAU-BERMAN, architecte-fondateur d’AURA Architecture & Design (Sainte-Marie; 2 associés, 1 employée)

Bryan Fecteau-Berman et son équipe en vidéoconférence. Photo : AURA Architecture & Design
Bryan Fecteau-Berman et son équipe en vidéoconférence. Photo : AURA Architecture & Design

État des lieux

Nous sommes une très petite équipe : moi, ma conjointe et associée, qui vient de terminer son stage en architecture, et une technologue qui travaillait déjà en partie de la maison. Ç’a donc été facile de nous adapter, il n’y avait qu’à récupérer nos ordinateurs.

Par contre, plusieurs de nos projets en cours sont bloqués : nous n’avons plus accès aux bâtiments existants pour les relevés. Tout ce qui était en début de projet a été arrêté. Nous avons du travail devant nous pour environ deux mois.

Gestion du télétravail

Nous utilisons l’infonuagique depuis la fondation de la firme. Les vidéoconférences, le partage d’écran… tout ça nous était déjà familier. Nous parlons à la technologue le matin pour planifier la journée, nous clavardons si des questions surgissent. Ça se fait bien !

Préoccupations

Le volume de travail à plus long terme nous inquiète. Nous nous demandons : est-ce qu’il vaut mieux réduire la cadence pour tenir plus longtemps ou maintenir notre rythme habituel, puis tout arrêter s’il n’y a pas de nouveaux mandats ?

Nous sommes polyvalents, mais comme nous sommes en région, notre situation est précaire. S’il y a une crise économique, nous allons en subir les contrecoups.